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Contrôle renforcé des investissements étrangers en période de COVID

21 avril 2020 Bulletin sur l'investissement étranger Lecture de 7 min

Sécurité nationale : une approche plus large

Le Canada a discrètement, mais considérablement élargi l’étendue et la portée de son examen des investissements étrangers en réponse aux défis sanitaires, sécuritaires et économiques sans précédent découlant de la pandémie de COVID-19. Dans un énoncé de politique publié le samedi 18 avril, le ministre responsable de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC ») a indiqué que les pouvoirs en matière de sécurité nationale prévus par la LIC seront utilisés pour un examen attentif des investissements dans les secteurs liés à la santé ainsi que dans d’autres secteurs qui participent à la fourniture de biens et de services essentiels[1].

Alors que l’annonce de la politique réitère la reconnaissance de longue date par le Canada des avantages des investissements étrangers en tant que moteur de la croissance, du commerce, de la concurrence et de l’innovation dans une économie mondiale, le ton du premier ministre Trudeau a été ferme lors de sa conférence de presse du dimanche 19 avril : « Il y a des entreprises vulnérables qui vont jouer un rôle important dans notre reprise et qui sont peut-être exposées à des achats étrangers à un moment vulnérable… Nous allons donc renforcer notre surveillance et accorder une attention particulière aux investissements étrangers dans ce pays pour nous assurer qu’il n’y a pas de gens qui profitent de cette crise »[2].

Tout investissement réalisé par des entreprises d’État ou par des investisseurs privés ayant des liens étroits avec des gouvernements étrangers, quelle que soit la taille de l’investissement, sera également examiné. Le gouvernement canadien craint que certains investissements au Canada par des entreprises d’État puissent être motivés par des impératifs non commerciaux qui pourraient nuire aux intérêts économiques ou de sécurité nationale du Canada.

Jusqu’à ce que l’économie se remette des conséquences de la pandémie, une attention accrue sera portée à tout type d’investissement qui pourrait avoir un impact négatif sur des secteurs critiques. Certes, les inquiétudes concernant la capacité du Canada à assurer l’approvisionnement en matériel médical, en médicaments, en tests et en fournitures similaires sont bien connues. Toutefois, les mesures annoncées vont au-delà de la simple réponse à ces préoccupations. Elles traduisent un désir évident de protéger les entreprises canadiennes contre les acquisitions « prédatrices » lorsque les valeurs d’entreprise sont faibles. Nous espérons que cette approche sera le reflet de la prudence, mais pas du protectionnisme. Dans l’immédiat, cependant, le régime de la LIC risque de devenir moins prévisible, et une planification soignée et des conseils pourraient être nécessaires en ce qui concerne les transactions importantes. Les programmes de relations gouvernementales, y compris le lobbyisme direct et les relations avec les médias afin que les transactions soient présentées de manière positive, deviendront des impératifs stratégiques dont les investisseurs devront tenir compte.

Le Canada adopte une tendance internationale

Le Canada n’est pas le seul à avoir pris des mesures pour permettre un examen minutieux des investissements étrangers pendant la crise de la COVID-19. Plusieurs pays ont annoncé des changements réglementaires ou politiques concernant les investissements étrangers directs. Par exemple, le 25 mars 2020, la Commission européenne (CE) a publié des orientations à l’intention des États membres, notant que la COVID-19 a augmenté le risque de tentatives d’acquisition de « capacités de soins de santé » et d’« industries connexes » au moyen d’investissements directs étrangers, et qu’il fallait être vigilant afin d’éviter que ces investissements ne « portent atteinte à la capacité de l’UE à répondre aux besoins de ses citoyens en matière de santé». De même, le 29 mars 2020, l’Australie a annoncé des modifications temporaires à son cadre d’examen des investissements étrangers qui exigent l’approbation du Conseil australien d’examen des investissements étrangers pour tous les investissements étrangers proposés. En Inde, le département de promotion de l’industrie et du commerce intérieur du ministère du Commerce et de l’Industrie a publié le 17 avril 2020 une « note de presse » précisant qu’une approbation était requise pour les investissements des pays qui partagent des frontières terrestres avec l’Inde, comme la Chine.

Ce qui change

Au cours de la dernière décennie, le Canada a considérablement relevé ses seuils pour l’examen et l’approbation préalables à la clôture des acquisitions étrangères de sociétés canadiennes importantes en vertu des dispositions de la LIC relatives à l’« avantage net du Canada », de sorte que de nombreux investissements qui étaient auparavant soumis à un examen ne le sont plus. Il a également introduit un régime de sécurité nationale axé principalement sur les risques liés à la défense (questions militaires) et au terrorisme, les infrastructures et les technologies critiques (principalement les télécommunications) et certains investissements par des entreprises d’État qui n’ont pas nécessairement un mode de fonctionnement commercial normal. Comme les examens relatifs à l’avantage net et ceux relatifs à la sécurité nationale ont été relativement peu fréquents, peu de transactions ont été bloquées et le Canada conserve une excellente fiche pour son ouverture au milieu des affaires[3].

Le nouvel énoncé de politique lié à la COVID-19 élargit l’approche historique de l’examen relatif à la sécurité nationale dans trois domaines clés :

  1. Il est clairement indiqué que les investissements concernant les biens, services et technologies liés à la santé et les autres biens, services et technologies essentiels seront systématiquement examinés au regard de tout problème de sécurité nationale. Il s’agit là d’une extension potentiellement importante du concept de sécurité nationale, compte tenu des nombreuses chaînes d’approvisionnement dans les domaines de la santé, de l’alimentation, des transports et autres qui sont considérées comme essentielles dans les réponses gouvernementales à la pandémie[4].
  2. Les investissements des entreprises d’État et des « investisseurs privés considérés comme étant étroitement liés à des gouvernements étrangers ou soumis à leurs directives » seront examinés avec une attention particulière. Cela suggère un éventail potentiel de préoccupations plus large que l’accent historique mis sur les entreprises d’État de pays qui ne sont pas de proches alliés.
  3. L’observation selon laquelle les « brusques baisses de valeur pourraient conduire à des comportements d’investissement opportunistes » et le commentaire selon lequel « les investissements étrangers directs de toute valeur » pourraient être revus indiquent un nouveau type de préoccupation concernant la perte du processus décisionnel au Canada pour des entités dont la décision d’approvisionner des clients canadiens plutôt que des clients étrangers pourrait être importante pour les Canadiens. Cette sensibilité n’est pas surprenante compte tenu des sentiments populistes et protectionnistes récemment observés dans divers autres pays, notamment en ce qui concerne les équipements et fournitures médicaux.

Ce qui ne change pas

Aucune modification n’est apportée au processus formel de l’examen relatif à la sécurité nationale, aux seuils de l’examen relatif à l’avantage net, aux seuils d’examen spéciaux (inférieurs) applicables aux investisseurs qui sont des entreprises d’État, ni aux délais formels connexes pour les processus d’avis et d’examen prévus par la LIC.

Toute prise de contrôle d’une entreprise canadienne (même si elle est déjà détenue par des étrangers) par un non-Canadien doit faire l’objet d’un avis avant la clôture ou dans les 30 jours qui suivent. Ces avis jouent un rôle crucial en permettant au gouvernement d’envisager d’entamer un examen relatif à la sécurité nationale pour toute transaction qui n’est pas soumise à un examen relatif à l’avantage net et à une approbation connexe avant la clôture. Le gouvernement doit prendre des mesures dans les 45 jours suivant la réception d’une notification s’il veut procéder à un examen relatif à la sécurité nationale.

Les dispositions sur l’examen relatif à la sécurité nationale peuvent également s’appliquer aux investissements étrangers qui n’aboutissent pas à une prise de contrôle (par exemple, une participation minoritaire). L’énoncé de politique indique clairement que le gouvernement prévoit d’examiner attentivement les investissements sans contrôle dans le secteur de la santé et des biens et services essentiels. Toutefois, ce pouvoir n’est déclenché concrètement que lorsque le gouvernement a connaissance d’une telle transaction, après quoi il dispose de 45 jours pour procéder à un examen relatif à la sécurité nationale[5].

Les pouvoirs du gouvernement dans le cadre d’un examen relatif à la sécurité nationale sont considérables. Il peut bloquer des transactions ou imposer des mesures d’atténuation à l’égard d’une transaction proposée. Si une transaction a déjà été réalisée, le gouvernement peut ordonner le désinvestissement.

Conséquences pratiques pour les investisseurs

En raison de la nouvelle politique, les investisseurs doivent s’attendre à ce qu’on envisage d’effectuer des examens de sécurité nationale à l’égard de divers types de transactions, y compris celles qui sont de faible envergure et même dans le cas d’investisseurs qui proviennent de pays avec lesquels le Canada entretient des relations commerciales et politiques étroites. L’énoncé de politique reprend la pratique récente de la Division de l’examen des investissements et invite les investisseurs à consulter le personnel à l’avance dans le cas de transactions susceptibles de faire l’objet d’un examen. Il note également la suggestion pratique selon laquelle les investisseurs qui veulent savoir avant la clôture si un examen relatif à la sécurité nationale aura lieu doivent fournir leur notification au moins 45 jours avant la clôture.

Bien que les prévisions économiques soient toujours difficiles, compte tenu de l’incertitude économique, on aurait pu s’attendre à ce que les volumes d’investissement soient plus faibles en 2020 qu’au cours des années précédentes – même si la baisse du dollar canadien et les difficultés que connaissent les secteurs des exportations et des ressources naturelles peuvent jouer en sens inverse et donner l’impression qu’il y a des aubaines. En plus de cette incertitude, si l’énoncé de politique est appliqué tel qu’il est rédigé, l’augmentation potentielle des activités au titre des examens relatifs à la sécurité nationale rendra les accords plus complexes. La Division de l’examen des investissements pourrait avoir besoin de ressources supplémentaires pour mettre en œuvre efficacement l’énoncé de politique tout en respectant les délais applicables à ces examens. En particulier, il pourrait être difficile de maintenir la pratique actuelle de tri, selon laquelle la plupart des dossiers qui ne soulèvent pas de problèmes importants sont clos dans la période initiale de 45 jours au cours de laquelle un examen peut être engagé.

Pour les cas qui soulèvent des problèmes dans les contextes plus larges signalés par l’énoncé de politique, les investisseurs peuvent devoir investir davantage dans les relations gouvernementales et les efforts de communication afin de démontrer qu’il n’y a pas lieu de craindre des problèmes de sécurité nationale ou de proposer des mécanismes permettant de prévenir ou d’atténuer ces problèmes.

par Neil Campbell, Joshua Chad et Melanie Paradis

[1] Division de l’examen des investissements d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, déclaration ministérielle, « Énoncé de politique sur l’examen des investissements étrangers et la COVID-19 » (2020-04-18), disponible en ligne.
[2] Conférence de presse du premier ministre Justin Trudeau du 19 avril 2020, disponible en ligne. Les commentaires du premier ministre à ce sujet commencent à 11 : 20.
[3] Voir par exemple notre bulletin de 2018 traitant d’un rare où les pouvoirs en matière de sécurité nationale ont été utilisés, « L’utilisation par le Canada de ses pouvoirs en matière de sécurité nationale » (mai 2018).
[4]  Voir nos bulletins sur les listes de services essentiels en Alberta, en Colombie-Britanniqueen Ontario et au Québec. Veuillez consulter également notre récent webinaire sur les lieux de travail et les services essentiels, disponible en ligne.
[5] Le processus d’examen relatif à la sécurité nationale comporte plusieurs étapes et peut prendre jusqu’à 200 jours (ou plus avec le consentement des parties) dans les cas où il est déterminé qu’un recours est nécessaire. Ce processus est décrit en détail dans la partie 8 d’un bulletin dans lequel nous donnons un aperçu du régime canadien d’examen relatif à la sécurité nationale, Canadian National Security Reviews: 10 Takeaways” (October 2019).

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l., 2020

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