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La pandémie de COVID-19 incite les sociétés canadiennes à envisager la tenue d’assemblées d’actionnaires virtuelles

17 mars 2020 Bulletin sur les marchés financier Lecture de 8 min

Étant donné les préoccupations grandissantes concernant la propagation de la COVID-19, un grand nombre de sociétés partout dans le monde examinent les solutions de rechange à la tenue d’assemblées où les actionnaires sont présents. Plus particulièrement, les sociétés sont de plus en plus intéressées à tenir leurs assemblées d’actionnaires entièrement ou en partie par un moyen de communication électronique ou virtuel.

Bien que la tenue d’assemblées d’actionnaires virtuelles soit permise en vertu de certaines lois sur les sociétés canadiennes[1], cette pratique est loin d’avoir été adoptée par l’ensemble des sociétés au Canada. Par contre, Broadridge Financial Services a déclaré que, en 2019 seulement, elle avait facilité la tenue de 326 assemblées d’actionnaires virtuelles aux États-Unis, la grande majorité de celles-ci ayant été entièrement tenues par un moyen de communication virtuel[2]. La tenue d’assemblées d’actionnaires virtuelles par les sociétés canadiennes au cours de la période de sollicitation de procurations qui vient aura vraisemblablement des incidences importantes sur l’adoption de cette pratique par un plus grand nombre de sociétés canadiennes au cours des années à venir.

Qu’est-ce qu’une assemblée d’actionnaires virtuelle?

Un assemblée d’actionnaires virtuelle est une assemblée d’actionnaires qui se déroule entièrement ou en partie par un moyen de communication électronique. Les sociétés peuvent tenir une assemblée « entièrement virtuelle », soit une assemblée qui se tient en ligne, sans composante physique. Les sociétés peuvent également tenir une assemblée d’actionnaires « hybride », c’est-à-dire une assemblée qui se tient dans un lieu physique mais où l’on a recours à la technologie pour permettre aux actionnaires d’y participer à distance.

Les sociétés pourraient, comme troisième option, décider d’offrir aux actionnaires l’accès par un moyen de communication électronique à la diffusion en direct (par webdiffusion) d’une assemblée d’actionnaires qui se tient selon les moyens traditionnels, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un type d’assemblée d’actionnaires virtuelle.

Assemblées d’actionnaires entièrement virtuelles

La capacité d’une société de tenir une assemblée d’actionnaires entièrement virtuelle dépend à la fois de son acte constitutif et de la loi sous le régime de laquelle elle a été constituée. Parmi les principales questions qui doivent être prises en considération figure celle de savoir si la tenue d’une assemblée d’actionnaires entièrement virtuelle nuira à la capacité de la société de respecter les exigences en matière de quorum, entrera en conflit avec l’obligation de la société de tenir une assemblée d’actionnaires à un endroit précis, ou permettra effectivement aux actionnaires de communiquer entre eux.

Le régime législatif prévu par la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO ») est le plus ouvert à la possibilité de tenir des assemblées d’actionnaires entièrement virtuelles. Sauf indication contraire dans l’acte constitutif d’une société, la LSAO permet expressément aux sociétés de tenir des assemblées d’actionnaires par un moyen de communication électronique et prévoit que les actionnaires qui votent par un tel moyen lors des assemblées ou qui établissent un lien de communication avec elles sont réputés y être présents aux fins de la constitution du quorum.

D’autres lois canadiennes sont moins accommodantes et imposent des conditions qui doivent être satisfaites avant qu’une société puisse tenir une assemblée d’actionnaires entièrement virtuelle. Par exemple, le paragraphe 132(4) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») prévoit que les actionnaires qui participent à une assemblée entièrement virtuelle ne seront réputés avoir assisté à l’assemblée que si la technologie utilisée pour faciliter la tenue de l’assemblée permet à tous les participants de communiquer « adéquatement » entre eux. De même, le paragraphe 174(3) de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Business Corporations Act (la « BCBCA ») ne permet pas aux actionnaires de participer à une assemblée par un moyen de communication électronique à moins que les actionnaires ne puissent « communiquer entre eux » (communicate with each other). Certaines lois sur les sociétés exigent également que la participation des actionnaires par un moyen de communication électronique soit expressément permise par l’acte constitutif de la société[3].

Les sociétés doivent également noter que les dispositions de leur acte constitutif ou de la loi sous le régime de laquelle elles ont été constituées qui exigent que leurs assemblées soient tenues à un endroit précis pourraient implicitement interdire la tenue d’une assemblée d’actionnaires virtuelle qui ne comporte aucun lieu physique.

Bien que certaines lois sur les sociétés limitent la capacité des sociétés à tenir des assemblées entièrement virtuelles, les tribunaux ont habituellement compétence pour accorder une dispense à cet égard. La plupart des lois sur les sociétés canadiennes renferment des dispositions qui permettent aux sociétés de tenir des assemblées d’actionnaires en conformité avec les directives émanant d’un tribunal[4]. Le 11 mars 2020, Telus a obtenu une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, en vertu d’une telle disposition, qui lui permet de tenir son assemblée annuelle de 2020 entièrement par un moyen de communication électronique.

Assemblées d’actionnaires hybrides

Les assemblées d’actionnaires hybrides peuvent permettre de contourner certains des défis que posent les assemblées entièrement virtuelles. Dans la plupart des assemblées d’actionnaires hybrides non contestées, les sociétés seront en mesure de s’assurer que le quorum est atteint en demandant aux candidats de la direction qui agissent en qualité de fondés de pouvoir d’être présents physiquement à l’assemblée. En effet, ces candidats de la direction détiennent généralement un nombre de procurations suffisant pour permettre que les exigences en matière de quorum soient respectées. Par conséquent, les sociétés n’auront souvent pas besoin, dans ces circonstances, de se fonder sur des dispositions législatives en vertu desquelles les actionnaires qui participent à une assemblée d’actionnaires par un moyen de communication électronique sont réputés y être présents.

Les sociétés doivent savoir que certaines lois sur les sociétés permettent le vote par un moyen de communication électronique, même dans les cas où les actionnaires participant par un moyen de communication électronique ne sont pas réputés être présents aux fins de la constitution du quorum. Par exemple, le paragraphe 141(3) de la LCSA mentionne que, sauf disposition contraire des règlements administratifs de la société, tout vote à une assemblée d’actionnaires peut être tenu entièrement par un moyen de communication téléphonique, électronique ou autre offert par la société. La LCSA n’exige pas que les actionnaires soient « présents »[5].

Étant donné que les assemblées d’actionnaires hybrides nécessitent un lieu physique, elles peuvent également être utilisées pour permettre la participation des actionnaires par un moyen de communication électronique aux assemblées qui doivent se tenir à un endroit précis.

Webdiffusions

Il n’est pas inhabituel pour les sociétés de diffuser sur le Web (une « webdiffusion ») leurs assemblées d’actionnaires, donnant ainsi à leurs actionnaires la possibilité d’avoir accès à la diffusion audio ou vidéo en direct ou sur demande de l’assemblée. Les webdiffusions ne permettent pas aux actionnaires de voter par un moyen de communication électronique à l’assemblée, et les actionnaires qui visionnent une webdiffusion ne sont pas considérés comme étant présents aux fins de la constitution du quorum. Par conséquent, les actionnaires qui décident de visionner une webdiffusion sont invités à voter par procuration avant l’assemblée sur les questions devant faire l’objet d’un scrutin. Étant donné que les webdiffusions n’offrent pas le même niveau d’engagement de la part des actionnaires qu’une assemblée d’actionnaires virtuelle, les sociétés devraient également offrir un forum où les actionnaires peuvent soumettre leurs questions. Les webdiffusions constituent une solution de rechange utile lorsque la tenue d’une assemblée virtuelle n’est pas une option viable ou souhaitable. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19 actuelle, cette option pourrait s’avérer intéressante pour les sociétés qui n’ont pas les ressources ou le temps nécessaires pour organiser une assemblée virtuelle mais qui souhaitent limiter la participation en personne à leur assemblée. Le 13 mars 2020, Teck Resources Limited a annoncé que, étant donné les risques que présente la COVID-19, elle adopterait cette approche.

Incidences liées aux services-conseils en vote par procuration

Par le passé, les agences de conseils en vote, notamment Institutional Shareholders Services, Inc. (« ISS ») et Glass Lewis & Co. (« Glass Lewis »), se sont toujours opposées à la tenue d’assemblées d’actionnaires entièrement virtuelles. Étant donné les préoccupations extraordinaires liées à l’éclosion de COVID-19 à l’échelle mondiale, toutefois, autant ISS que Glass Lewis ont indiqué qu’elles assoupliraient leurs politiques concernant les assemblées d’actionnaires entièrement virtuelles au cours de la période de sollicitation de procurations de 2020.

Bien que les politiques d’ISS et de Glass Lewis soient assouplies, les émetteurs doivent quand même se rappeler que ISS et Glass Lewis continuent d’avoir des attentes en ce qui a trait à la conduite des assemblées d’actionnaires entièrement virtuelles et à l’information qui doit être communiquée dans le cadre de ces assemblées. ISS a indiqué qu’elle s’attendait à ce que les émetteurs fassent preuve de transparence et à ce qu’ils favorisent le dialogue dans le cadre des assemblées entièrement virtuelles, en permettant aux actionnaires de poser des questions, de critiquer le rendement et la gouvernance des sociétés et à soumettre des propositions. De même, Glass Lewis a indiqué qu’elle examinerait soigneusement l’information qui est communiquée dans les documents relatifs aux procurations des sociétés concernant la logistique d’accès aux assemblées entièrement virtuelles et la possibilité accordée aux actionnaires de poser des questions. Si une société décide de remplacer une assemblée à laquelle les actionnaires sont présents par une assemblée entièrement virtuelle après le dépôt de ses documents relatifs aux procurations, Glass Lewis s’attend à ce que la société : (i) divulgue le fait que l’assemblée ne pourra plus se tenir en présence des actionnaires en raison de la l’éclosion de COVID-19; (ii) fournisse de l’information sur le mode d’accès à l’assemblée entièrement virtuelle; et (iii) confirme le fait que les actionnaires auront la possibilité de poser des questions.

La conduite des sociétés dans le cadre des assemblées d’actionnaires entièrement virtuelles au cours de la période de sollicitation de procurations qui vient aura vraisemblablement une incidence importante sur les positions que ISS et Glass Lewis prendront à l’égard de ces assemblées au cours des années à venir.

Résumé et pratiques exemplaires

Les assemblées d’actionnaires virtuelles offrent aux sociétés la possibilité de réduire les risques pour la santé que présente la COVID-19 tout en augmentant potentiellement la participation des actionnaires et en permettant de réduire les coûts.

Pour décider si elles devraient tenir une assemblée d’actionnaires entièrement virtuelle ou hybride, les sociétés devraient d’abord :

  1. Vérifier si la loi sous le régime de laquelle elles ont été constituées prévoit des restrictions concernant la participation aux assemblées d’actionnaires par un moyen électronique ou des exigences selon lesquelles les assemblées d’actionnaires doivent se tenir à un endroit précis;
  2. Vérifier si leur acte constitutif renferme des dispositions qui autorisent expressément la participation aux assemblées d’actionnaires par un moyen de communication électronique ou des dispositions qui empêchent ou interdisent l’utilisation d’une composante électronique au cours d’une assemblée d’actionnaires.

Si une société décide de tenir une assemblée d’actionnaires entièrement virtuelle ou hybride, elle devrait prendre en considération les pratiques exemplaires suivantes :

  • Communiquer avec ses conseillers juridiques pour vérifier si la loi sous le régime de laquelle elle a été constituée et ses documents permettent la tenue d’une assemblée d’actionnaires par un moyen de communication électronique;
  • Communiquer avec des fournisseurs de services de technologie et les agents des transferts afin de discuter des questions de logistique;
  • Indiquer clairement aux actionnaires pourquoi l’assemblée ne peut être tenue en personne;
  • Donner aux actionnaires un préavis et leur communiquer de l’information détaillée sur la façon de participer à l’assemblée par un moyen de communication électronique;
  • Indiquer aux actionnaires la façon dont ils peuvent obtenir de l’aide s’ils ont de la difficulté à participer à l’assemblée par un moyen électronique;
  • Élaborer et communiquer des règles de conduite officielles sur la façon de poser des questions et de formuler des commentaires et, plus particulièrement, aviser les actionnaires des limites ou restrictions auxquelles ils seront assujettis;
  • Envisager d’offrir aux actionnaires la possibilité de soumettre des questions à l’avance;
  • Évaluer le risque que l’assemblée soit litigieuse (en général, il faudrait éviter de tenir des assemblées virtuelles s’il y a un risque de course aux procurations).

On peut trouver d’autres pratiques exemplaires dans le document intitulé Principles and Best Practices for Virtual Shareholder Meetings, qui a été publié en 2018 par le comité sur les pratiques exemplaires pour la participation des actionnaires aux assemblées annuelles virtuelles[6].

Si elles sont menées en bonne et due forme, les assemblées d’actionnaires virtuelles peuvent minimiser efficacement les risques pour la santé que posent actuellement les grands rassemblements tout en continuant d’offrir un forum permettant aux actionnaires de s’exprimer, à l’instar des assemblées d’actionnaires traditionnelles. Les sociétés qui considèrent qu’il est difficile, voire impossible de tenir une assemblée d’actionnaires virtuelle devraient envisager fortement de donner à leurs actionnaires l’accès à une webdiffusion et de les encourager à participer à leur assemblée par procuration.

par Mark Neighbor, Jeffrey Gebert et Christopher Tworzyanski

[1] Noter que les lois sur les sociétés de Terre-Neuve-et-Labrador et de LA Nouvelle-Écosse sont silencieuses à cet égard, du fait qu’elles n’autorisent pas ni n’interdisent expressément la participation aux assemblées d’actionnaires par un moyen de communication électronique.
[2] Broadridge : Virtual Shareholder Meetings-2019 Facts and Figures (en anglais seulement)
[3] La LCSA ainsi que les lois sur les sociétés de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest prévoient toutes que la tenue des assemblées d’actionnaires par un moyen de communication électronique doit être expressément autorisée par l’acte constitutif de la société.
[4] La LCSA ainsi que les lois sur les sociétés de chacune des provinces et de chacun des territoires du Canada, à l’exception de la Nouvelle-Écosse, renferment des dispositions à cet effet.
[5] Noter toutefois que, en vertu du paragraphe 141(3) de la LCSA, le vote doit être tenu entièrement par le moyen de communication électronique qui est offert.
[6] Broadridge : Principles and Best Practices for Virtual Annual Shareowner Meetings (en anglais seulement)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020

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