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Attention à vos mises en garde – La Cour d’appel du Québec place la barre très haut

10 septembre 2024 Bulletin Litige et règlement de différends Lecture de 6 min

Le 11 juillet 2024, dans Reckitt Benckiser (Canada) inc. c. Société d’assurance Beneva inc. (La Capitale Assurances Générales Inc.)[1], la Cour d’appel du Québec a rendu une décision clarifiant l’obligation du fabricant, du fournisseur et du distributeur de fournir des mises en garde et des renseignements adéquats au consommateur. Ces obligations découlent des articles 1468, 1469 et 1473 du Code civil du Québec  C.c.Q. ») et des articles 37, 38 et 53 de la Loi sur la protection du consommateur  L.p.c. »).

La décision en question confirme celle de première instance rendue par l’honorable juge Alain Michaud de la Cour supérieure du Québec dans le dossier La Capitale assurances générales inc. c. Construction McKinley Inc.[2]

Par son analyse approfondie de l’obligation d’information incombant aux fabricants et aux distributeurs, la Cour d’appel a tenu Reckitt Benckiser (Canada) Inc. (« Reckitt ») responsable de ne pas avoir divulgué avec suffisamment de précision les risques et dangers inhérents à leurs produits, et Céramique Décor M.S.F. (« Céramique Décor ») responsable d’avoir omis d’informer ses clients antérieurs de ces risques et dangers.

Contexte

Décision de première instance

Le 2 février 2017, un robinet de marque Rubi vendu par Céramique Décor s’est brisé en raison de la corrosion, causant un dégât d’eau à la maison des demandeurs. Ladite corrosion a été causée par le produit Lysol Advanced, un produit d’entretien domestique contenant 12 % d’acide chlorhydrique, qui a été stocké par les demandeurs sous l’étagère de leur évier, de sorte que le bouchon du produit s’est retrouvé à quelques centimètres du chemin d’accès du raccord flexible qui alimente le robinet d’eau froide.

La Capitale, subrogée dans les droits de ses assureurs, a donc déposé une réclamation de 137 239,23 $ contre notamment Céramique Décor, le fournisseur du robinet, et Reckitt, le fabricant du produit Lysol Advanced.

La décision dont il est ici question traite du défaut allégué du connecteur flexible, de l’obligation du fournisseur du connecteur flexible d’avertir les acheteurs antérieurs des dangers de corrosion, ainsi que de la suffisance des mises en garde fournies avec le produit Lysol Advanced.

La faute de Céramique Décor (distributeur de robinets et de connecteurs flexibles)

a. Vice caché

La Cour supérieure a conclu que les robinets Rubi vendus par Céramique Décor ne présentaient pas de vice caché. En effet, bien que La Capitale ait soutenu que les connecteurs flexibles du robinet étaient affectés par un défaut important et un défaut fonctionnel, en raison du fait que la corrosion aurait prématurément affecté les composants des connecteurs, le Tribunal n’a pas conclu à l’existence d’un défaut pour les raisons suivantes :

  1. Il n’est pas raisonnable de présumer que les conditions normales d’utilisation d’un robinet et de ses accessoires comprennent un élément d’environnement corrosif.
  2. Le robinet et ses accessoires sont conformes aux normes et ont été certifiés.
  3. Même si le produit avait été affecté par un vice caché, Céramique Décor aurait été en mesure de réfuter la présomption à son encontre, étant donné qu’il n’y avait aucune preuve à l’audience qui suggérait que le distributeur, au moment de la vente du robinet en 2012, était au courant que les vapeurs d’acide chlorhydrique pouvaient altérer les raccords tressés en acier inoxydable.

b. Manquement aux obligations d’information

Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il ne s’agit pas d’un litige relatif au vice caché, mais plutôt d’un litige relatif à l’obligation d’informer.

Céramique Décor savait depuis 2014 que les robinets Rubi étaient sensibles à la corrosion lorsqu’ils étaient exposés à un environnement chloré, et elle a modifié le texte du guide d’installation en 2015 pour divulguer ces risques. Toutefois, le juge de première instance a estimé que Céramique Décor aurait dû également envoyer un avis à ses clients antérieurs, et il l’a tenue responsable de ne pas l’avoir fait.

La faute de Reckitt (fabricant de Lysol Advanced)

a. Vice caché

En ce qui concerne la responsabilité de Reckitt, le juge de première instance a conclu que, même si Lysol Advanced était un produit agressif et corrosif contenant une forte dose d’acide chlorhydrique, rien ne l’empêchait d’être offert en vente libre aux consommateurs. Reckitt ne peut donc être tenue responsable d’avoir mis le produit sur le marché, et le produit était exempt de tout vice caché.

b. Manquement aux obligations d’information

Toutefois, la Cour supérieure a jugé que le fabricant était responsable de ne pas avoir informé les consommateurs de façon précise et complète des risques et des dangers liés à l’utilisation de Lysol Advanced, ainsi que des moyens de protection contre ceux-ci. La Cour a conclu que Reckitt était consciente du danger lié à l’utilisation du produit, puisqu’elle l’a clairement indiqué sur sa fiche de données de sécurité, destinée à l’usage industriel, en indiquant que Lysol Advanced peut être corrosif pour les métaux. Toutefois, la divulgation faite aux consommateurs visait seulement à garder le contenant hermétiquement fermé dans un endroit frais et bien aéré, sans fournir d’autres explications. L’entreprise avait le devoir d’énoncer clairement le risque encouru par les consommateurs, comme elle l’a fait pour le monde industriel.

Conclusion

Le jugement répartit la responsabilité, à faire valoir contre les défendeurs, à hauteur de 25 % pour Céramique Décor et à 75 % pour Reckitt.

Reckitt a interjeté appel de la décision de la Cour supérieure.

Un bref aperçu de la législation québécoise

Code civil du Québec

Article 1468 C.c.Q.

L’article 1468 impose à tous les participants au processus de fabrication l’obligation de réparer les dommages, qu’ils soient physiques, moraux ou matériels, causés à autrui par un défaut de sécurité d’un bien. Ce régime de responsabilité s’étend également aux distributeurs qui distribuent un bien en leur propre nom, ainsi qu’à tout fournisseur du bien.

Article 1469 C.c.Q.

L’article 1469 énonce les critères permettant de déterminer quand un défaut du bien peut être considéré comme un défaut de sécurité qui peut engager la responsabilité du fabricant, du distributeur ou du fournisseur. Le critère d’évaluation est l’insuffisance de la sécurité du bien par rapport aux attentes légitimes du public.

Loi sur la protection des consommateurs

Article 38 L.p.c.

L’article 38 stipule qu’un bien doit être utilisé à des fins normales pendant une durée raisonnable, compte tenu des conditions d’utilisation.

Article 53 L.p.c.

En vertu de l’article 53, un consommateur peut intenter une action contre un commerçant pour avoir omis de lui fournir les indications nécessaires pour le protéger contre un risque ou un danger dont il n’aurait pas pu lui-même se rendre compte.

Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358

La décision dans l’affaire Imperial Tobacco est une décision historique qui clarifie la double obligation de sécurité qui incombe au fabricant ou au distributeur d’un bien. Ces obligations sont les suivantes :

  •  Le fabricant doit s’assurer que le bien n’est pas affecté par un défaut ou un dommage susceptible de présenter un danger et, le cas échéant, il doit en avertir les utilisateurs.
  •  Même si le produit n’est pas défectueux, le fabricant doit informer l’utilisateur du danger inhérent et de la manière de s’en protéger ou d’y remédier.

Décision de la Cour d’appel

Dans sa décision, la Cour d’appel appuie la décision du tribunal inférieur tout en précisant et clarifiant l’obligation d’information qui incombe aux fabricants et aux distributeurs.

Premièrement, la Cour d’appel a confirmé que Reckitt était consciente du danger que présentait son produit, soulignant l’écart important entre la divulgation par Reckitt des risques et des dangers liés au produit pour usage industriel et pour les consommateurs.

Deuxièmement, dans sa décision, la Cour réitère un principe bien établi dans la jurisprudence, selon lequel l’obligation du fabricant augmente en intensité avec le danger et le risque liés au bien, et avec la gravité des conséquences possibles du défaut de sécurité. Par conséquent, étant donné que la dangerosité d’un produit comme Lysol Advanced impose l’obligation d’informer, Reckitt avait l’obligation de fournir des renseignements exacts, précis, complets et exhaustifs qui donnaient une juste mesure de la nature et de la gravité du danger, du risque de la matérialisation du danger et de l’étendue du préjudice susceptible d’en découler. Étant donné que Reckitt n’a pas clairement précisé la raison pour laquelle le bouchon du produit devait être hermétiquement fermé et qu’il devait être tenu à l’écart des métaux, la responsabilité ne pouvait être partagée avec le consommateur. En effet, on ne peut reprocher à une victime ne disposant pas des informations requises de ne pas avoir pris les précautions nécessaires qui auraient été requises si elle avait eu connaissance desdites informations.

Troisièmement, le respect par un fabricant des normes réglementaires relatives à la sécurité des produits de consommation n’a pas pour effet de l’exempter du régime général de responsabilité civile, d’autant plus lorsque lesdites normes réglementaires concernent les risques liés à la santé et à la sécurité d’une personne et non les dommages matériels, comme en l’espèce.

Quatrièmement, les juges réitèrent que le défaut de sécurité attribuable à l’appelant est plus grave puisque c’est son produit qui a endommagé la tuyauterie. Céramique Décor connaissait le risque de corrosion sur ses robinets depuis 2014 et a averti ses futurs clients en ajoutant une note à ce sujet. Par conséquent, la Cour d’appel estime que Céramique Décor aurait également dû mettre en garde ses clients antérieurs, ce qu’elle n’a pas fait. Il n’en demeure pas moins que les omissions de Céramique Décor sont moins graves que les actions de Reckitt et que, selon les termes de la Cour, les tuyaux sont en quelque sorte « victimes » des biens Lysol Advanced.

Commentaire

La Cour d’appel du Québec précise clairement qu’une mise en garde doit non seulement donner des directives adéquates aux consommateurs, mais elle doit aussi les informer des motifs qui sous-tendent les actions ou les inactions y étant prescrites. Gérer le contenu et l’espace de la précieuse surface de l’étiquette d’un bien peut constituer un défi pour les fabricants. En outre, les dispositions particulières d’autres agences et organismes de réglementation, tels que Santé Canada, influencent également le contenu des étiquettes. Toutefois, les fabricants devront dans l’avenir tenir compte de cet arrêt de la Cour d’appel et des autres exigences applicables lorsqu’ils conçoivent des étiquettes et des mises en garde.

De plus, la Cour d’appel souligne l’obligation de communiquer avec les consommateurs antérieurs lorsque les circonstances le justifient afin de s’assurer que les risques et les dangers liés aux biens sont communiqués à tous les clients.

[1] 2024 CAQ 958
[2] 2023 CSQ 419

par Andrei Pascu et Ariane Tousignant (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024

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