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Budget 2022 : l’administration des organismes de bienfaisance à l’aube de grands changements

12 avril 2022 Bulletin sur la fiscalité Lecture de 10 min

Dans le budget de 2022, la ministre des Finances du Canada (la « ministre ») a proposé d’importantes modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la « Loi de l’impôt ») qui toucheront l’administration et les obligations de déclaration des organismes de bienfaisance enregistrés. Advenant leur entrée en vigueur, ces modifications obligeraient notamment les grands organismes de bienfaisance enregistrés du Canada à dépenser chaque année une plus grande proportion de leurs biens au titre des règles du « contingent des versements » (hausse globale des dépenses annuelles obligatoires de 3,5 % à 5 % de la valeur des biens qui ne sont pas directement utilisés à des fins de bienfaisance ou d’administration), en plus de faciliter et de simplifier l’administration et la documentation des rapports qu’entretiennent les organismes de bienfaisance enregistrés avec des organismes à but non lucratif (autres que des « donataires reconnus ») qui assurent des services bénéfiques dans la collectivité ou à l’étranger.

Propositions relatives au contingent des versements

Régime actuel

En principe, la Loi de l’impôt oblige les organismes de bienfaisance enregistrés à dépenser chaque année une somme correspondant au moins à leur « contingent des versements » (au sens du paragraphe 149.1(1) de la Loi de l’impôt). Les règles actuelles de « contingent des versements » exigent normalement qu’un organisme de bienfaisance enregistré, au cours d’un exercice donné, dépense pour des activités de bienfaisance (ou donne à des « donataires reconnus ») au moins 3,5 % de la valeur moyenne[1] des biens lui ayant appartenu au cours des 24 mois précédant immédiatement cet exercice et qui n’ont pas directement servi à des fins de bienfaisance ou d’administration (cette valeur étant calculée proportionnellement pour les années d’imposition abrégées), sous réserve de certaines exclusions de minimis pour les premiers 100 000 $ en biens appartenant à un « organisme de bienfaisance », ou les premiers 25 000 $ en biens appartenant à une « fondation de bienfaisance », au sens de la Loi de l’impôt[2].

Le régime actuel donne à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») le pouvoir d’autoriser un organisme de bienfaisance enregistré à accumuler des biens à une fin particulière, aux modalités et conditions et sur la période que précise l’ARC dans son approbation écrite. Les biens accumulés suivant cette approbation ne comptent normalement pas dans le calcul du contingent des versements d’un organisme de bienfaisance enregistré[3].

De même, la Loi de l’impôt permet actuellement à l’ARC de libérer, en tout ou en partie, un organisme de bienfaisance enregistré de ses obligations relatives au contingent des versements pour un exercice donné. Le cas échéant, l’organisme est réputé avoir dépensé à des fins de bienfaisance une somme équivalente à la proportion du contingent dont l’a dispensé l’ARC[4].

Historique 

Antérieurement, les règles du contingent des versements prévoyaient un seuil supérieur au 3,5 % actuel. Le régime a ensuite été considérablement assoupli pour les exercices se terminant après le 3 mars 2010, auxquels s’applique le seuil en vigueur. Cette réduction du contingent des versements a permis aux organismes de bienfaisance enregistrés d’accumuler plus facilement des fonds pour des projets d’investissement d’envergure, en plus de les aider à prendre des décisions financières réfléchies propices à la disposition prudente et efficace de leurs ressources, sans la pression de dépenser de manière précipitée ou irréfléchie afin de satisfaire aux exigences du contingent.

Dans le budget de 2021, la ministre avait annoncé que le gouvernement mènerait des consultations publiques avec le secteur de la bienfaisance pour discuter d’une augmentation du contingent des versements en réponse à ce que le gouvernement percevait comme une accumulation excessive de capital par certains organismes de bienfaisance enregistrés, de même qu’au décalage entre les déductions fiscales immédiatement disponibles aux donateurs pour leurs dons aux organismes de bienfaisance enregistrés et le report des dépenses effectuées à des fins de bienfaisance par ces organismes[5].

Il convient de souligner que les documents de consultation du gouvernement comparent le Canada à d’autres territoires, dont les États-Unis et l’Australie, où les seuils minimaux relatifs aux dépenses de fondations privées avoisinent 5 % de l’actif net d’un organisme de bienfaisance, sous réserve des règles particulières en vigueur dans ces pays.

Modifications proposées dans le budget de 2022

Le budget de 2022 propose de hausser le contingent des versements de 3,5 % à 5 % pour la portion des biens non voués à des fins de bienfaisance ou d’administration qui dépasse en valeur le seuil des 1 M$. L’objet déclaré de cette hausse est de lever les obstacles qui se dressent parfois devant les plus petits organismes de bienfaisance lorsqu’il s’agit de réaliser le même rendement du capital investi que leurs homologues de plus grande envergure.

D’autres modifications annoncées dans le budget de 2022 viendront clarifier que les dépenses d’administration et de gestion ne comptent pas au titre de la satisfaction du contingent des versements d’un organisme de bienfaisance enregistré.

Le budget de 2022 propose par ailleurs de changer la façon dont l’ARC peut alléger le contingent des versements d’un organisme de bienfaisance enregistré. En effet, dans un souci d’accroissement de la transparence, on propose de modifier le mécanisme par lequel l’ARC peut alléger, à sa discrétion, les obligations incombant à un organisme aux termes du paragraphe 149.1(5) de la Loi de l’impôt (comme il est décrit ci-dessus) en venant préciser que cet allègement s’effectue par la réduction d’obligations, et non par le traitement de certaines sommes non dépensées comme si elles avaient été dépensées de façon pertinente au calcul du contingent.  Le budget propose également que l’ARC soit autorisée à divulguer ces exemptions au public (vraisemblablement dans la liste publique des organismes de bienfaisance de l’ARC).

Il est en outre proposé dans le budget de 2022 que soit retiré à l’ARC le pouvoir d’autoriser un organisme de bienfaisance enregistré à accumuler des biens sans que ceux-ci ne comptent pour le calcul du contingent des versements (comme il est décrit ci-dessus), comme le prévoit actuellement le paragraphe 149.1(8) de la Loi de l’impôt. Les documents budgétaires indiquent en effet que ce pouvoir n’est plus nécessaire vu les modifications apportées en 2010 au contingent des versements et la faculté discrétionnaire de l’ARC d’accorder des allègements.

Bien qu’à court terme, les modifications proposées au contingent des versements puissent venir augmenter le financement que mettent les organismes de bienfaisance enregistrés (en particulier les fondations de bienfaisance) à la disposition d’autres organismes de bienfaisance et bénéficiaires du secteur, l’augmentation envisagée, dans l’ensemble, compliquera le financement des projets d’investissement des organismes, en plus d’accroître le risque que celles-ci effectuent des dépenses inutiles ou imprudentes dans le seul but de satisfaire leur fardeau obligationnel.

Il est à noter que la baisse à long terme des taux d’intérêt depuis l’assouplissement des règles de contingent des versements en 2010 a globalement réduit la capacité des organismes de bienfaisance de profiter d’investissements à faible risque. Comme ni le taux actuel de 3,5 % ni le taux projeté de 5 % ne tiennent compte de la fluctuation des taux d’intérêt, certains organismes de bienfaisance enregistrés peinent depuis quelques années à dépenser suffisamment sans pour autant épuiser leur capital accumulé. D’autres ont par ailleurs dû vouer une plus grande part de leur actif à des biens de classes d’actif plus risquées afin de préserver leur capital. C’est dire qu’élever le taux du contingent de versements ne fera qu’alourdir le fardeau des organismes de bienfaisance enregistrés, qui s’en trouveront potentiellement exposés à un risque d’investissement supérieur.

Cette pression accrue sur les stratégies d’accumulation de capital des organismes de bienfaisance enregistrés est d’autant plus troublante vu la tendance des gouvernements, au fil des dernières décennies, de se décharger de leur responsabilité de bâtir des infrastructures publiques (ailes d’hôpitaux, bâtiments universitaires, etc.), qui doivent alors être financées au moyen de campagnes de financement privées.

À ce jour, le gouvernement n’a pas publié de projet de loi visant à mettre en œuvre ces modifications. Toutefois, les documents du budget de 2022 indiquent qu’elles seront en vigueur pour les exercices financiers commençant le 1er janvier 2023 ou après, sous réserve d’une règle transitoire relative aux demandes d’autorisations d’accumuler des biens présentées à l’ARC avant le 1er janvier 2023.

Partenariats de bienfaisance 

Régime actuel

À l’heure actuelle, les organismes de bienfaisance au Canada peuvent dépenser leurs ressources de deux façons : i) pour financer leurs propres activités de bienfaisance; ii) pour faire don de fonds à des « donataires reconnus » au sens de la Loi de l’impôt (parmi lesquels figurent en principe les « organismes de bienfaisance enregistrés » et d’autres organismes auxquels les dons donnent normalement droit à un crédit ou à une déduction d’impôt, selon le cas).

Cette restriction aux manières dont les organismes de bienfaisance enregistrés peuvent disposer de leurs ressources réduit leur flexibilité lorsqu’elles collaborent avec des organismes qui ne sont pas des « donataires reconnus » (soit notamment la plupart des organismes de bienfaisance étrangers et des organismes sans but lucratif exempts d’impôts au Canada qui n’ont pas demandé le statut d’organisme de bienfaisance enregistré ou de donataire reconnu, ou qui ne peuvent pas le demander). En de telles circonstances, les règles en vigueur obligent l’organisme de bienfaisance enregistré qui met en œuvre ses programmes non pas directement, mais par un intermédiaire, à maintenir un contrôle et une direction suffisants sur les activités de cet intermédiaire et les versements de fonds qui lui sont destinés afin que les dépenses de celui-ci puissent être considérées comme les siennes.

L’ARC a publié des directives administratives décrivant ses attentes quant au contrôle que doit maintenir un organisme de bienfaisance enregistré sur les fonds dépensés par une entité intermédiaire[6]. Normalement, ce contrôle s’opère par un ou plusieurs contrats conférant à l’organisme une direction suffisante et appropriée sur les biens transférés à l’intermédiaire (y compris au moyen de droits de vérification, de l’obligation de produire des rapports de rendement périodiques et du droit d’évaluer le rendement).

Bien que ce type de contrat permette aux organismes de bienfaisance de collaborer avec une plus grande variété d’organismes partenaires outre les donataires reconnus, une faculté qui peut se révéler particulièrement précieuse en cas d’activités à l’étranger ou de secours en cas de catastrophe), on lui reproche souvent d’être excessivement lourd et inflexible.

Qui plus est, même si les dons de fonds d’un organisme de bienfaisance enregistré à un autre ou à un donataire reconnu s’accompagnent parfois de modalités contractuelles relatives à l’utilisation des fonds, les dons à un donataire reconnu ne le requièrent pas; aussi les contrats sont-ils plus rares dans ces situations qu’en cas de don à un intermédiaire qui n’est pas un donataire reconnu.

Modifications proposées dans le budget de 2022 

Le budget de 2022 propose que soit modifiée la Loi de l’impôt sur le revenu dans le but explicite d’améliorer l’efficacité et l’administration des relations de travail entre les organismes de bienfaisance enregistrés et les organismes qui ne sont pas des donataires reconnus. Les modifications proposées permettront aux organismes de bienfaisance enregistrés d’effectuer des versements admissibles à ces organismes, pourvu que ces versements cadrent avec les fins de bienfaisance poursuivies par le donateur. Pour que l’organisme de bienfaisance enregistré (et l’ARC) soit adéquatement positionné pour surveiller ces dépenses, le budget de 2022 propose des mesures de conformité à prendre dès le début de la relation de travail (et tout au long de celle-ci) entre l’organisme et le destinataire des fonds afin que les fonds versés soient utilisés convenablement à des fins de bienfaisance.

Ainsi, les documents du budget de 2022 proposent notamment les obligations de conformité et de reddition de comptes suivantes :

  • la tenue d’une enquête préalable au financement permettant d’assurer, dans une mesure raisonnable, que les ressources seront utilisées aux fins énoncées dans le contrat écrit (l’enquête comportant une vérification de l’identité, des antécédents, des pratiques, des activités et des domaines d’expertise du donataire);
  • un contrat écrit entre l’organisme de bienfaisance enregistré et le donataire comportant i) les modalités et conditions du financement; ii) une description des activités de bienfaisance qu’entreprendra le donataire; iii) l’exigence que toute somme non utilisée aux fins prévues soit restituée à l’organisme de bienfaisance enregistré; et iv) une politique de conservation de dossiers exigeant que les dossiers relatifs à l’utilisation des ressources de l’organisme de bienfaisance enregistré soient conservés et gardés accessibles au moins six ans après la fin de l’exercice pertinent;
  • le contrôle et la supervision du donataire, notamment au moyen de rapports périodiques (produits au moins chaque année) sur l’utilisation des fonds versés et le respect des modalités du contrat, ce qui comprend des dispositions permettant la prise de mesures de redressement au besoin;
  • la production par le donataire de rapports finaux exhaustifs et détaillés comportant un état des résultats obtenus, le détail de la dépense des fonds et des preuves documentaires suffisantes pour démontrer que ceux-ci ont été dépensés adéquatement. L’organisme de bienfaisance enregistré serait également tenu de démontrer qu’il a lu et approuvé ces rapports finaux et la documentation à l’appui;
  • l’inclusion dans la déclaration de renseignements annuelle de l’organisme de bienfaisance enregistré d’information relative aux financements de plus de 5 000 $ (laquelle information sera vraisemblablement publiée dans la liste publique des organismes de bienfaisance de l’ARC).

En guise de filet de sécurité en matière de conformité, le budget de 2022 propose des modifications à la Loi de l’impôt donnant à l’ARC le droit d’exiger qu’un organisme de bienfaisance enregistré prenne toutes les mesures raisonnables pour obtenir de leurs donataires des reçus, des factures et d’autres preuves documentaires démontrant que les fonds qu’il leur a versés ont été dépensés de façon appropriée.

Les documents du budget de 2022 soulignent que le nouveau régime pourrait accroître le risque qu’un organisme de bienfaisance enregistré serve d’intermédiaire pour des dons destinés à d’autres organismes. Ce type de relation se traduit normalement par la pratique selon laquelle un organisme de bienfaisance enregistré émet un reçu officiel de don à un donateur, alors qu’il est entendu que la totalité ou une part substantielle des fonds ainsi donnés sera versée à un organisme qui n’est pas un donataire reconnu. L’ARC a déjà indiqué que ces pratiques pouvaient être source d’abus, car elles conduisent à la réclamation de déductions et de crédits d’impôt pour activités de bienfaisance relativement à des fonds versés à une entité qui n’est pas forcément admissible au statut d’organisme de bienfaisance enregistré et qui, partant, n’est pas soumise au contrôle qu’exerce l’ARC sur ces organismes. Afin de contrer le risque potentiellement élevé que présentent ces conventions d’intermédiaire, le budget de 2022 propose d’élargir aux organismes de bienfaisance enregistrés l’application de l’alinéa 168(1)f) de la Loi de l’impôt, qui prévoit actuellement que l’enregistrement d’une association canadienne de sport amateur ou d’une organisation journaliste admissible canadienne peut être révoqué si elle accepte un don dont l’octroi est explicitement ou implicitement conditionnel à la prestation d’un don à quelque autre personne, club, société, association ou organisme.

À ce jour, le gouvernement n’a pas publié de projet de loi visant à mettre en œuvre ces modifications. De plus, les documents du budget de 2022 indiquent que « [d]es mesures additionnelles conçues pour assurer le respect de ces nouvelles règles par les organismes de bienfaisance suivront. » Les organismes de bienfaisance enregistrés qui collaborent avec des entités autres que des donataires reconnus devront attendre la publication des projets de lois et règles complémentaires en la matière pour évaluer les avantages de ce nouveau régime. Bien qu’il soit dans l’intérêt légitime de l’ARC de s’assurer que les fonds de bienfaisance soient dépensés de façon appropriée, les obligations de conformité associées à ce nouveau régime pourraient être suffisamment semblables aux actuelles conventions de contrôle entre organismes de bienfaisance enregistrés et intermédiaires (autres que des donataires reconnus) pour que peu de gains d’efficacité en découlent.

Les documents du budget de 2022 indiquent que ces propositions prendront effet lorsque leur loi de mise en œuvre recevra la sanction royale.

[1] Le calcul de cette moyenne est prévu à l’article 3701 du Règlement de l’impôt sur le revenu du Canada.
[2] Définie au paragraphe 149.1(21) de la Loi de l’impôt, la « dépense excédentaire » s’entend normalement d’une dépense au titre d’une activité de bienfaisance (ou d’un don à un « donataire reconnu ») qui, pour une année civile donnée, s’effectue alors que le contingent des versements est déjà satisfait pour l’exercice, et qui peut, en principe, être portée au contingent des versements de l’exercice précédant immédiatement l’exercice en question, ou encore à celui de l’un des cinq exercices qui le suivent immédiatement.
[3] Paragraphe 149.1(8) de la Loi de l’impôt.
[4] Paragraphe 149.1(5) de la Loi de l’impôt.
[5] Les consultations gouvernementales ont été lancées le 6 août 2021.
[6]Voir par exemple : CG-004, Utilisation d’un intermédiaire afin de mener les activités d’un organisme de bienfaisance au Canada, 20 juin 2011 (révisé le 27 novembre 2020) et CG-002, Les organismes de bienfaisance canadiens enregistrés qui mènent des activités à l’extérieur du Canada, 8 juillet 2010 (révisé le 27 novembre 2020).

Par Andrew Stirling

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022

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