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Ce que vous devez savoir sur le droit d’auteur dans les immeubles, sous peine d’en payer le prix

Janvier 2018 Bulletin de propriété intellectuelle Lecture de 9 min

L’affaire Lainco, dans laquelle des dommages de près de 750 000 $ ont été accordés pour la violation du droit d’auteur dans une œuvre architecturale, sert d’avertissement aux intervenants du secteur de la conception architecturale, du génie et de la construction : la copie de la conception d’un immeuble peut avoir des conséquences déplaisantes[1].

Comme l’indiquait notre bulletin antérieur, L’arrêt qui a ouvert le bal : le droit d’auteur dans les œuvres architecturales gagne du terrain au Canada, l’affaire Lainco signale que les tribunaux sont disposés à condamner des parties multiples à des dommages‑intérêts considérables pour la violation du droit d’auteur dans une œuvre architecturale (en l’instance, un stade de soccer). Si les exigences prévues par la loi pour l’obtention d’un droit d’auteur dans des œuvres architecturales ont été assouplies en 1988, la tendance dans la revendication des droits n’a commencé à s’intensifier qu’au cours des dernières années[2]. L’affaire Lainco vient brutalement rappeler à tous les intervenants qu’ils doivent demeurer au courant de l’actualité juridique et ne pas s’en remettre aux pratiques antérieures.

Les intervenants clés devraient donc réexaminer leurs conventions afin de mieux comprendre qui est propriétaire du droit d’auteur et quelles restrictions s’appliquent à ce droit et de créer un système de gestion du droit d’auteur dans les œuvres architecturales et les œuvres artistiques connexes revêtant la forme de plans et de dessins. Les enseignements suivants, conjugués aux conseils d’avocats, visent à aider les professionnels de la construction à éviter les mauvaises surprises.

Les principes de base – Le droit d’auteur dans les œuvres architecturales :

  • Le droit d’auteur protège automatiquement l’expression d’une idée originale fixée sous une forme matérielle (c.-à-d. l’idée doit exister sous une forme matérielle, non pas seulement dans la tête d’une personne). Le critère d’originalité requiert que l’auteur exerce plus qu’une quantité négligeable de talent et de jugement[3]. On entend par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. On entend par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre.
  • Les catégories reconnues d’œuvres protégeables par droit d’auteur comprennent notamment, sans limitation, les œuvres littéraires et les œuvres artistiques, les œuvres architecturales constituant un sous-ensemble de ces dernières. Un architecte peut détenir un droit d’auteur dans des plans de construction à titre d’« œuvre littéraire », mais également dans la conception d’un immeuble à titre d’« œuvre artistique » une fois qu’il est effectivement construit. Le droit d’auteur est en vigueur du vivant de l’auteur et pendant 50 ans par la suite.
  • Il n’est pas nécessaire que l’œuvre protégée par le droit d’auteur porte la mention « droit d’auteur » ou le symbole « © » pour bénéficier de la protection. En effet, les tribunaux ont jugé que l’omission de cette mention de propriété sur les plans de construction n’empêche pas l’auteur de revendiquer le droit d’auteur[4]. L’alinéa 34.1(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 crée une présomption en faveur de l’existence du droit d’auteur et de la propriété de l’auteur, ce qui impose au défendeur le fardeau de faire la preuve du contraire (par exemple en établissant que l’œuvre n’est pas suffisamment originale).
  • Il y a violation du droit d’auteur lorsque la totalité ou une partie importante d’une œuvre est reproduite sans l’autorisation du propriétaire. Par conséquent, on ne pourra pas nécessairement éviter une violation du droit d’auteur en apportant de légères modifications à la conception d’un immeuble réalisée par un tiers[5]. Les tribunaux considèrent notamment les questions suivantes : l’aspect des immeubles est-il similaire et s’en dégage-t-il une impression de similitude à tout égard important? Quelle a été la source d’inspiration du concepteur? A-t-il visité des sites, pris des photos ou consulté des œuvres écrites? Y a-t-il une désignation patrimoniale en jeu ou d’autres règlements de zonage qui pourraient restreindre les changements et encourager l’imitation architecturale[6]? On doit noter que la Loi sur le droit d’auteur renferme des dispositions qui limitent les circonstances dans lesquelles des photos peuvent être prises ou des dessins peuvent être faits d’œuvres architecturales, notamment lorsqu’ils sont utilisés à titre de dessins ou plans architecturaux[7]. Lorsque l’ossature de l’immeuble est visible (comme c’était le cas du stade de soccer dans l’affaire Lainco), la prise de photographies devrait être considérée avec prudence.
  • L’identification de l’auteur ou du titulaire du droit d’auteur peut être ardue en raison du foisonnement des œuvres architecturales et du rythme accéléré de construction des immeubles. Bien que les œuvres puissent être enregistrées dans la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’« OPIC »), rares sont les auteurs ou les titulaires qui enregistrent leur droit d’auteur, ce qui complique encore l’identification du titulaire du droit d’auteur.

Rappelez-vous la position de défaut – Qui est titulaire du droit d’auteur?

  • Selon la position de défaut en droit, c’est l’architecte, non le constructeur, qui peut de prime abord revendiquer la propriété du droit d’auteur, puisque le droit d’auteur appartient à la personne qui crée les dessins (l’expression fixée d’une idée originale) donnant lieu à l’immeuble[8].
  • Cette position de défaut change si l’architecte est un employé (par opposition à un entrepreneur indépendant), auquel cas l’employeur de l’architecte est propriétaire des droits à l’égard de l’œuvre. Selon le paragraphe 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur, lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de louage de service ou d’apprentissage, et que l’œuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est, à moins de stipulation contraire, titulaire du droit d’auteur, sans qu’une cession officielle soit nécessaire.
  • Qu’il soit un employé ou non, l’auteur conserve toujours les droits moraux à l’égard de l’œuvre[9]. Les droits moraux comprennent le droit de l’auteur à l’intégrité de l’œuvre et le droit d’être cité comme son auteur. Les droits moraux sont incessibles, l’auteur ne pouvant tout au plus qu’y renoncer[10]. Cependant, pour être opposable, cette renonciation doit être énoncée explicitement dans un contrat.

Éléments à considérer aux fins de la cession du droit d’auteur ou de la concession d’une licence s’y rapportant

  • Les architectes peuvent céder leur droit d’auteur ou consentir une licence s’y rapportant au moyen d’un contrat. Une licence permet une utilisation, éventuellement assortie de restrictions, de l’œuvre protégée par le droit d’auteur et n’entraîne pas de transfert de propriété, tandis qu’une cession transfère la propriété et tous les droits connexes ou accessoires du cédant au cessionnaire (à l’exclusion des droits moraux que l’auteur conserve à moins d’y renoncer).
  • En vertu du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, la cession ou la concession doit être rédigée par écrit et signée par l’auteur pour être considérée comme valide sur le plan juridique. Contrairement à d’autres domaines du droit dans lesquels un consentement peut être implicite, l’absence de signature a été jugée fatale parce que la Loi sur le droit d’auteur exige un écrit signé[11]. Une contrepartie, même si elle est purement symbolique, doit être échangée pour que le contrat soit valide dans toutes les provinces sauf au Québec.
  • Si vous décidez de conclure un contrat de licence, réfléchissez aux modalités et restrictions que vous souhaitez stipuler. Voulez-vous que les droits vous soient rétrocédés si l’œuvre n’est pas utilisée? Voulez-vous limiter le nombre de reproductions ou le territoire géographique dans lequel l’œuvre peut être reproduite? Souhaitez-vous conserver le droit d’intenter une action contre un tiers qui viole le droit d’auteur?
  • Pour éviter toute ambiguïté ultérieure coûteuse, veillez à préciser qui peut demander l’enregistrement du droit d’auteur dans d’autres pays et qui a le droit d’intenter une poursuite, de conclure un règlement et de libérer des tiers à l’égard d’allégations de violation d’un droit d’auteur. Dans l’éventualité d’un rachat de l’entreprise, le consentement de l’auteur est-il transféré au nouveau titulaire du droit d’auteur?
  • Assurez-vous de prévoir des clauses d’indemnisation solides dans l’éventualité d’une violation du droit découlant d’une reproduction ou utilisation non autorisée de l’œuvre.
  • Incluez une clause sur les lois applicables, en gardant en tête que les droits de l’auteur sont protégés avec plus de ferveur au Québec (comme l’indique la propension de plus en plus marquée des tribunaux de cette province à accorder des dommages-intérêts punitifs en cas de violation du droit d’auteur). Si les lois applicables sont des lois américaines, sachez que les droits moraux ne sont pas reconnus aux États‑Unis et n’y sont donc pas opposables.

Autres précisions – Quelques particularités de la Loi sur le droit d’auteur

  • L’une des particularités de la Loi sur le droit d’auteur a trait au paragraphe 14(1), lequel prévoit que si l’auteur est le premier titulaire du droit d’auteur, les droits à l’égard de l’œuvre reviennent automatiquement à la succession de l’auteur 25 ans après le décès de celui‑ci, nonobstant toute convention contraire (sous réserve de certaines exceptions restreintes concernant les recueils ou les licences de publier une œuvre).
  • D’autres complications surgissent si l’œuvre est admissible à titre d’« œuvre créée en collaboration » (où la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres) ou de « recueil » (où les parties des auteurs sont distinctes). Si l’œuvre a été créée en collaboration, certaines restrictions s’appliquent à la concession de licence, étant donné que les auteurs sont considérés comme des tenants communs (tenants in common)[12]. Selon l’une de ces restrictions, les coauteurs doivent consentir à la cession du droit d’auteur ou à la concession d’une licence à l’égard de l’œuvre.

En cas de doute, vous pouvez limiter les dégâts (et votre responsabilité)

  • Si vous constatez que vos plans d’immeuble ressemblent étrangement à ceux d’autres plans, déterminez avec votre avocat si vous devez prendre des mesures afin d’obtenir une licence ou une cession. Si vous attaquez de front la question de la violation éventuelle du droit d’auteur, la cour notera votre comportement de façon favorable si l’affaire se retrouve devant les tribunaux. Si vous concluez un règlement, obtenez une preuve de paiement et une déclaration écrite selon laquelle l’utilisation est autorisée.
  • Ne supposez pas que votre responsabilité ne sera pas engagée parce que vous n’avez pas participé directement à la violation. Dans l’affaire Lainco, la commission scolaire, la firme d’architectes, la firme d’ingénieurs et l’entrepreneur général ont tous été tenus responsables de la copie de la conception structurelle d’un complexe de soccer du voisinage.
  • Assurez-vous que vos polices d’assurance responsabilité civile des entreprises couvrent la violation du droit d’auteur à l’égard d’œuvres architecturales ou examinez votre police d’assurance responsabilité professionnelle pour déterminer si elle comprend une garantie pertinente.
  • Une déduction selon laquelle une œuvre a été copiée peut être écartée par la preuve d’une création indépendante, mais cette preuve ne peut pas être présentée si l’œuvre protégée par le droit d’auteur était enregistrée[13]. Vous devez consulter votre conseiller juridique pour déterminer si c’est votre cas et évaluer les incidences potentielles de l’article 40 de la Loi sur le droit d’auteur qui concerne les injonctions.

Comment vous assurer que votre droit d’auteur est protégé

  • Si vous êtes un employé et l’auteur d’une œuvre dont vous souhaitez conserver la propriété d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, examinez soigneusement votre contrat de travail et expliquez vos tâches et responsabilités quotidiennes à votre conseiller juridique afin qu’il puisse déterminer si un contrat distinct est nécessaire pour clarifier qui est propriétaire de l’œuvre.
  • Si vous souhaitez concéder une licence à l’égard de votre œuvre, donnez pour mandat à votre avocat de rédiger un contrat de licence le plus restreint possible et évitez les cessions. Si une cession est l’option qui convient le mieux, insistez pour conserver vos droits moraux en n’y renonçant pas.
  • Enregistrez votre droit d’auteur auprès de l’OPIC, de même que toute cession et licence s’y rapportant. Il ne vous en coûtera qu’un peu plus de 50 $ et, sur le plan de la preuve, ces enregistrements créent des présomptions en votre faveur.
  • Tenez un registre des personnes qui visitent votre immeuble, prennent des photographies ou en demandent les plans.
  • Envoyez des lettres de mise en demeure et gardez une trace écrite de vos efforts visant à faire respecter votre droit d’auteur (cette stratégie a porté ses fruits pour le demandeur dans l’affaire Lainco).

Le présent article est censé servir de point de départ à vos échanges avec votre conseiller juridique. Vous ne devez pas vous fonder sur celui‑ci avant que votre avocat n’ait pu vous donner un tableau plus complet de votre situation. Nous verrons avec le temps si les poursuites pour violation du droit d’auteur dans les œuvres architecturales prennent effectivement de l’ampleur. Dans l’intervalle, vous pourriez atténuer les risques en demandant à votre avocat d’examiner des causes qui ont fait jurisprudence.

par Christie Bates

[1] Lainco inc. c. Commission scolaire des Bois-Francs, 2017 CF 825.
[2] Pour ne nommer que quelques décisions : Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson , 2010 QCCA 1287 ; Evans and Hong v. Upward Construction, 2017 BCPC 247; Oakcraft Homes Inc v. Ecklund, 2013 CanLII 41981; Ankenman Associates Architects Inc v. 0981478 B.C. Ltd., 2017 BCSC 333.
[3] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, au par. 16.
[4] Oakcraft Homes Inc v. Ecklund, 2013 CanLII 41981.
[5] Dans l’arrêt Webb & Knapp (Canada) Limited et al. c. Ville d’Edmonton (C.S.C.), [1970] RCS 588, 1970 CarswellAlta 67, au para 43, le juge Hall a jugé que l’utilisation de plans architecturaux pour la préparation de nouveaux plans lorsque ces nouveaux plans sont seulement une reproduction modifiée d’une partie importante des plans originaux constitue une violation du droit d’auteur. On doit noter, cependant, que cet arrêt est antérieur aux modifications apportées en 1988 à la Loi et que, par conséquent, les juges y appliquent une norme d’évaluation plus rigoureuse pour les « œuvres architecturales artistiques ».
[6] Dans l’affaire MacNutt v. Acadia University, 2016 NSSC 160, la Cour, dans l’évaluation des similitudes que présentaient les immeubles, s’est demandé si elles résultaient de l’imitation architecturale qu’exigeaient Acadia et la ville de Wolfville.
[7] Sous-alinéa 32.2(1)b(i) de la Loi sur le droit d’auteur.
[8] Hay v. Sloan, [1957] O.W.N. 445, au par. 7.
[9] Paragraphe 14.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur.
[10] Article 14.1 de la Loi sur le droit d’auteur.
[11] Tremblay c. Orio Canada Inc., 2013 CF 109 et par. 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur.
[12] Lauri v Renad, [1892] 3 Ch. 402 (Eng. C.A.).
[13] Art. 39 de la Loi sur le droit d’auteur.

Mise en garde

Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l./LLP 2018

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