Clorox c Chloretec : Application de l’affaire Vavilov dans le contexte des marques de commerce
Clorox c Chloretec : Application de l’affaire Vavilov dans le contexte des marques de commerce
En avril 2020, la Cour d’appel fédérale a rendu un jugement dans l’affaire The Clorox Company of Canada, Ltd v Chloretec SEC[1], dans lequel elle précise de quelle manière le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov[2] s’applique aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce (la « Loi »). Le jugement dans l’affaire Chloretec est intéressant pour les parties ou les praticiens qui contestent une décision du Registraire des marques de commerce ou de sa déléguée, la Commission des oppositions des marques de commerce (la « COMC »).
Le jugement dans l’affaire Vavilov apporte des modifications au droit administratif
À la fin de 2019, la Cour suprême du Canada a rendu une trilogie de jugements dans le domaine de la révision judiciaire qui ont collectivement clarifié le droit en ce qui concerne la norme de contrôle[3]. Le principal jugement dans cette trilogie a été rendu dans l’affaire Vavilov, dont les faits sont directement issus de la guerre froide. Dans cet arrêt, la Cour traite d’un certain nombre de concepts de droit concernant la norme de contrôle appliquée aux décideurs administratifs et revoit les cadres juridiques établis dans des jugements antérieurs de la Cour suprême du Canada.
Selon un enseignement particulier dérivé de l’arrêt Vavilov qui est au cœur de l’affaire Chloretec, les normes de contrôle applicables en appel s’appliquent lorsque la loi prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant un tribunal[4]. Bien que cet énoncé puisse paraître banal en soi, il change ce qui était l’état du droit depuis plusieurs années, à savoir que les normes de contrôle en appel ne seraient pas appliquées aux appels de décisions administratives, même si la loi régissant l’appel l’exigeait. En vertu de la common law du Canada, la Cour appliquait auparavant la norme de contrôle administrative à toutes les décisions d’ordre administratif, peu importe le libellé de la loi applicable.
L’affaire Chloretec
Dans l’affaire Chloretec, la Cour d’appel fédérale était saisie de l’appel d’une décision de la Cour fédérale à l’égard d’une décision de la COMC.
Devant la Commission des oppositions des marques de commerce (« CMOC »), Clorox s’opposait à l’enregistrement par Chloretec des marques de commerce « JAVELO » et « JAVELO Dessin » en liaison avec un produit de blanchiment fabriqué sur commande. La société Clorox s’opposait aux demandes de Chloretec pour plusieurs motifs, y compris la confusion alléguée avec ses propres marques de commerce JAVEX associées à de l’eau de Javel. La CMOC a rejeté les oppositions.
La Cour fédérale a rejeté le pourvoi en appel de la société Clorox à l’encontre de la décision de la CMOC, nonobstant la preuve supplémentaire présentée par Clorex en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi.
Les décisions de la CMOC et de la Cour fédérale ont été rendues avant le jugement dans l’affaire Vavilov.
Dans l’affaire Chloretec, la Cour applique l’arrêt Vavilov concernant les normes de contrôle applicables
L’arrêt Vavilov, comme il est appliqué dans l’affaire Chloretec, a une incidence sur la norme de contrôle qui doit être considérée par la Cour fédérale lorsqu’elle siège en appel des décisions de la CMOC en vertu de l’article 56 de la Loi[5]. Lorsqu’elle est saisie d’un appel d’une décision de la CMOC, la Cour fédérale doit considérer les normes de contrôle suivantes :
- Si une nouvelle preuve pertinente est présentée lors de l’appel d’une décision de la CMOC en Cour fédérale, le dossier sera examiné de novo. Dans ces cas, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision « correcte »[6].
- Si aucune nouvelle preuve n’est présentée devant le tribunal, les normes de contrôle applicables en appel s’appliquent. Un tribunal d’appel doit appliquer : (i) la norme de la décision « correcte » pour des « questions de droit »; et (ii) la norme de l’erreur manifeste et dominante pour des « questions de fait » et des « questions mixtes de fait et de droit » lorsque le principe juridique n’est pas facilement isolable des faits[7]. Une erreur « manifeste » est une erreur qui est évidente, et une erreur « dominante » est une erreur qui touche l’issue de l’affaire [8]. Lorsque la norme est celle de l’erreur manifeste et dominante, il y aura une grande déférence à l’égard des conclusions de la CMOC.
L’incidence sur les appels à l’encontre des décisions de la CMOC
La modification des normes de contrôle aura ultimement une incidence sur les parties prenantes dans les domaines des marques de commerce et d’autres formes de propriété intellectuelle qui concernent le Registraire des marques de commerce, la CMOC et le Commissaire aux brevets. Par suite du rajustement du cadre juridique découlant de l’arrêt Chloretec, le pourvoi en appel de certaines décisions ne comportant pas de nouvelle preuve sera vraisemblablement plus difficile, alors que l’appel d’autres décisions sera plus facile.
Une partie qui souhaite s’opposer à une décision sur une question de droit rendue par la CMOC pourra bénéficier de la norme de contrôle applicable en appel, à savoir celle de la décision correcte. Le tribunal examinera les questions de droit sans appliquer la norme de la décision raisonnable qui s’appliquait auparavant. Ceci aidera les appelants potentiels.
La partie qui souhaite contester une décision sur une question de fait ou une décision sur une question mixte de droit et de fait pourrait avoir davantage de difficultés qu’avant l’arrêt Vavilov. Auparavant, ces questions faisaient l’objet d’une révision selon la norme de déférence de la « décision raisonnable », qui tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »[9]. Désormais, c’est la norme de « l’erreur manifeste et dominante » qui s’applique, à savoir que l’on peut montrer du doigt une faille ou une erreur fondamentale[10] ou une erreur qui est « évidente »[11]. Bien que la norme de la raisonnabilité et celle de l’erreur manifeste et dominante constituent des normes juridiques empreintes de déférence, selon la Cour d’appel fédérale, la norme de « l’erreur manifeste et dominante » est une norme de contrôle qui comporte davantage de déférence que celle de la décision raisonnable. Il reste cependant à voir comment ces normes se compareront en pratique. La partie qui se fie à la jurisprudence dans laquelle le tribunal applique la norme de contrôle empreinte de déférence devrait faire preuve de prudence.
De nombreuses questions que des parties appelantes auraient l’intention de contester seront englobées dans la norme plus exigeante applicable en appel. Par exemple, il a été question dans l’arrêt Chloretec du degré de ressemblance entre les marques Clorox et Chloretec, et le tribunal avait sans doute raison de considérer qu’il s’agissait d’une question mixte de droit et de fait à laquelle la norme de « l’erreur manifeste et dominante » s’appliquait.
En conséquence, tant avant qu’après l’affaire Chloretec, le tribunal pouvait et peut encore appliquer une norme de déférence aux décisions de la CMOC. Il incombera maintenant aux avocats de considérer attentivement leurs motifs d’appel et de se concentrer sur des questions strictes d’erreurs de droit, le cas échéant. Celles-ci seront dorénavant au centre d’un parcours de contestation en appel mieux défini.
par Kaleigh Zimmerman, Adam Chisholm, Pablo Tseng et Keith Bird
[1] 2020 FCA 76 [Clorox c. Chloretec], confirmant 2018 CF 408 [Clorox CF], confirmant 2016 COMC 30 [Clorox COMC].
[2] 2019 CSC 65 [Vavilov].
[3] 2019 CSC 65, 2019 CSC 66, 2019 CSC 67.
[4] Supra note 2, para. 37.
[5] Supra note 1, para. 20 : L’arrêt Vavilov n’a aucune incidence sur la norme de contrôle que la Cour d’appel fédérale devrait appliquer dans le cadre de son examen d’une décision de la Cour fédérale (c’est-à-dire que la norme de contrôle qu’applique la Cour d’appel fédérale à une décision de la Cour fédérale est la « norme de contrôle applicable en appel », comme l’établit l’arrêt Housen c. Nikolaisen).
[6] Supra note 1, para. 21.
[7] Supra note 1, para. 23.
[8] Pentastar Transportation Ltd v FCA US LLC, 2020 CF 367, para. 47.
[9] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.
[10] H L c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, para. 70.
[11] Supra note 5, para. 6.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020
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