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COVID-19 et loyers commerciaux : La Cour tranche. La résolution à l’amiable reste à privilégier

24 juillet 2020 Bulletin de litige Lecture de 4 min

La pandémie de COVID-19 s’est immiscée dans toutes les sphères de notre quotidien depuis le mois de mars 2020. Les relations bailleurs – locataires n’y ont pas échappé.

Avec certains bailleurs qui ont collecté aussi peu que 15% des loyers commerciaux pendant certains mois de la pandémie[1] et le succès mitigé du programme d’aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial[2], il n’est pas surprenant que les tribunaux québécois aient été sollicités pour trancher des différends entre bailleur et locataire.

C’est ainsi que la Cour supérieure a récemment rendu trois décisions à ce sujet. L’une au mérite et deux au stade interlocutoire.

Tel qu’il sera plus amplement discuté ci-dessous, nous recommandons aux bailleurs et locataires de tenter de résoudre leurs différends hors cour afin de contrôler les paramètres de leurs relations contractuelles.

La décision Hengyun International Investment Commerce inc. v. 9368-7614 Québec inc.[3] rendue le 16 juillet dernier est à notre connaissance la première décision au mérite qui se prononce au sujet des effets de la pandémie sur les relations bailleurs – locataires.

Dans une décision traitant d’une multitude de questions litigieuses entre les parties, l’Honorable Peter Kalichman, j.c.s., rend un jugement détaillé dont l’essence peut se résumer à l’importance accordée au concept de jouissance paisible[4]. C’est d’ailleurs sous cet angle que le juge Kalichman détermine que les loyers pour la période du 24 mars au 22 juin 2020 ne sont pas dus par le locataire[5].

9368-7614 Québec inc., le locataire, opère un centre de conditionnement physique dans les locaux de Hengyun International Investment Commerce inc. Or, le 24 mars 2020[6], le Gouvernement du Québec a ordonné la fermeture des centres de conditionnement physiques pour les rouvrir le 22 juin 2020[7].

En appliquant une approche objective, le tribunal conclut que le Décret gouvernemental a constitué une force majeure[8] qui a empêché le bailleur d’exécuter son obligation, soit de fournir une jouissance paisible des locaux à son locataire, le tout afin que ce dernier puisse y opérer son centre de conditionnement physique. Par conséquent, le tribunal détermine que le locataire était libéré de son obligation corrélative, soit le paiement du loyer[9].

N.B. : le bail en question contenait une clause que l’on retrouve dans plusieurs baux commerciaux prévoyant le paiement du loyer malgré une situation de retard inévitable (unavoidable delay) causée par une force supérieure ou tout évènement hors du contrôle des parties. Le juge Kalichman retient que cette clause traite de situations ou l’exécution de l’obligation serait retardée et non empêchée entièrement. De plus, le juge Kalichman réitère que la jouissance paisible est au cœur des obligations d’un bailleur. Ainsi, bien que les parties peuvent moduler l’intensité de l’obligation du bailleur, elles ne peuvent s’entendre sur une exonération complète des conséquences à ne pas fournir une jouissance paisible.

Par conséquent le tribunal exonère le locataire de payer trois mois de loyer soit entre le 24 mars et le 22 juin 2020.

Dans deux autres décisions récentes[10], la Cour supérieure donne raison à des locataires qui ont cherché à obtenir des injonctions interlocutoires pour empêcher leur bailleur de recourir à une résiliation extrajudiciaire du bail et pour forcer les bailleurs à leur permettre de rouvrir leur commerce dans le cadre du déconfinement.

Dans les deux dossiers, les bailleurs avaient résilié de manière extrajudiciaire les baux en raison des défauts des locataires d’acquitter des loyers pendant la pandémie. Or, le tribunal semble tirer une inférence négative du refus des bailleurs de permettre aux locataires de se prévaloir du programme d’aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial. Ce faisant, le tribunal questionne la bonne foi et le caractère raisonnable de la résiliation extrajudiciaire[11].

Mise à jour du 8 septembre 2020: La Cour supérieure a rendu une autre décision[12] sur le même thème le 6 août dernier. Cette dernière a rejeté la demande de sauvegarde du bailleur, qui avait pour but de forcer la locataire à acquitter les arrérages des loyers pour les mois de juin et juillet 2020.

Le tribunal conclut que certains éléments ont fait obstacle à la demande de sauvegarde, notamment l’échec du bailleur à prouver un préjudice irréparable, le maintien de l’équilibre des prestations par une entente de paiement quant aux loyers futurs, l’absence de contestation quant à la quotité du loyer et à la solvabilité du locataire.

Le tribunal prend note également que le locataire entend faire valoir la décision Hengyun lors de l’audience au mérite et détermine donc qu’il serait prématuré de juger des chances de succès fondé sur cet argument.

Il semble évident que les tribunaux québécois, conscients de la pression économique causée par la pandémie, désirent éviter des dommages irréparables aux parties qu’ils considèrent comme plus faibles ou qui ont le plus à perdre de la résiliation d’un bail[13]. Nous concluons des décisions rapportées que les tribunaux font preuve de prudence en cette période d’incertitude.

Ainsi, plutôt que de laisser un tiers s’immiscer dans leurs baux, et même lorsque les termes contractuels peuvent leur sembler clairs, les bailleurs et locataires ont intérêt à trouver un terrain d’entente pour naviguer ensemble au travers de la tempête causée par la pandémie de COVID-19.

par Andrei Pascu

[1] Canadian malls collect just 15 per cent of May rent from tenants, Rachelle Younglai, The Globe and Mail, May 12, 2020.
[2] De petites entreprises québécoises oubliées par l’aide d’urgence pour le loyer commercial?, Fanny Samson, Radio-Canada, 23 mai 2020 – Pour plus de détails sur le programme voir le bulletin Rent Relief on its Way for Small Businesses and Commercial Landlords, Janet L. Derbawka, Associée, McMillan.
[3] 2020 QCCS 2251, (« Hengyun »). Cette décision n’a pas été portée en appel à ce jour et la suspension des délais en matière de procédure civile fait en sorte que le délai d’appel n’expirera probablement pas avant le 1er octobre 2020.
[4] Article 1854 Code civil du Québec (« C.c.Q. »).
[5] Voir les paragraphes 90 à 108 de Hengyun pour les motifs complets du juge Kalichman.
[6] Décret 223-2020 du Gouvernement du Québec daté du 24 mars 2020.
[7] Arrêté ministériel 2020-047 de la Ministre de la Santé et des Services sociaux daté du 19 juin 2020.
[8] Article 1470 C.c.Q.
[9] Article 1694 C.c.Q.
[10] Tubes et Jujubes Centre d’amusement familial inc. c. 8937974 Canada inc., 2020 QCCS 1934 et Rocco Taverne italienne inc. c. Fiducie Marcon-Campeau inc., 2020 QCCS 1949.
[11] Il faut toutefois retenir que ceci est une décision interlocutoire et la décision finale sur cette question reviendra au juge du fond.
[12] Pontegadea Canada Inc. c. GAP (Canada) Inc., 500-17-112898-203
[13] Voir également Technispect 2000 inc. c. Laberge-Ayotte, 2020 QCCQ 2291 dans un contexte de bail commercial pour la location sur Airbnb ou le tribunal retient que la conséquence de l’expulsion pèserait plus lourd sur les locataires et que le tribunal doit prendre en compte la situation exceptionnelle causée par la pandémie.

Mis en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.mise en garde

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020

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