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La Cour rétablit l’octroi de dommages-intérêts d’un montant de un million de dollars à un employé ayant fait l’objet d’un congédiement déguisé

Octobre 2020 Bulletin sur l'emploi Lecture de 6 min

Le 9 octobre 2020, la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt très attendu dans l’affaire Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd[1], dans le cadre duquel elle a rétabli l’octroi de dommages-intérêts d’un montant de 1,1 million de dollars à un employé qui avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. La Cour suprême du Canada a profité de l’occasion pour clarifier le droit relatif aux dommages-intérêts pour congédiement injustifié, plus particulièrement lorsque des primes ou des paiements d’intéressement doivent être versés à un employé. Cette affaire établit une norme élevée à respecter pour les employeurs qui cherchent à limiter le droit d’un employé à recevoir une prime ou un paiement d’intéressement pendant une période de préavis raisonnable.

Contexte factuel et historique de cette affaire

M. Matthews avait été un employé de longue date de Ocean Nutrition Canada Limited (« Ocean » ou la « Société »), ayant occupé plusieurs postes de direction au sein de la Société de 1997 à 2011. En tant que membre de l’équipe de haute direction d’Ocean, M. Matthews a participé au régime d’intéressement à long terme d’Ocean (le « RILT »). Selon les modalités du RILT, les employés avaient le droit de recevoir un paiement à la survenance d’un « événement déclencheur », ce qui comprenait la vente de la Société.

Environ 10 ans après l’arrivée de M. Matthews chez Ocean, Ocean a embauché un nouveau directeur de l’exploitation. Peu de temps après cela, le directeur de l’exploitation a entamé une « campagne de marginalisation » de M. Matthews en limitant ses responsabilités, en changeant son titre et en lui mentant au sujet de son statut au sein d’Ocean. Bien que M. Matthews ait voulu continuer de travailler pour Ocean, il a éventuellement démissionné de son poste et commencé à travailler pour un nouvel employeur.

Treize mois après la démission de M. Matthews, Ocean a été vendue. La vente constituait un événement déclencheur et a entraîné un versement des sommes dues aux employés qui étaient admissibles en vertu du RILT. Ocean a soutenu que M. Matthews n’avait pas droit à un paiement en vertu du RILT étant donné qu’il n’était plus un employé actif d’Ocean.

M. Matthews a introduit une action contre Ocean dans laquelle il alléguait qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et réclamait des dommages-intérêts tenant lieu de préavis raisonnable, ainsi que le paiement en vertu du RILT. Il alléguait également que le congédiement déguisé avait été effectué de mauvaise foi et en contravention de l’obligation d’Ocean d’agir de bonne foi.

En première instance, Ocean a soutenu que M. Matthews n’était pas admissible à un paiement en vertu du RILT étant donné qu’il ne travaillait pas activement pour Ocean au moment de l’événement déclencheur. Ocean se fondait sur les dispositions limitatives suivantes du RILT :

[TRADUCTION]

« 2.03     CONDITIONS PRÉALABLES :

ONC n’a, aux termes de la présente entente, aucune obligation envers l’employé à moins que ce dernier ne soit un employé à temps plein d’ONC lorsque survient l’événement déclencheur. Il est entendu que la présente entente est nulle et sans effet si l’employé cesse d’être un employé d’ONC, que ce soit parce qu’il démissionne ou parce qu’il est congédié, avec ou sans motif. […]

2.05    GÉNÉRALITÉS :

Le Régime de primes pour la création de valeur à long terme n’a aucune valeur actuelle ou future si ce n’est à la date de l’événement déclencheur et la prime calculée et versée à l’employé ne doit pas être considérée comme faisant partie de la rémunération de ce dernier à quelque fin que ce soit, y compris en cas de démission de l’employé ou de calcul de toute indemnité de départ. »

Le juge de première instance a conclu que M. Matthews avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et qu’il avait droit à une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable de 15 mois. Le juge de première instance a également conclu que M. Matthews avait droit à des dommages-intérêts d’un montant de 1,1 million de dollars au titre du paiement qu’il aurait reçu en vertu du RILT.

Ocean a porté la décision en appel devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. La Cour d’appel a confirmé la décision selon laquelle M. Matthews avait fait l’objet d’un congédiement déguisé, mais elle a infirmé la décision relative au paiement prévu par le RILT au motif que les dispositions du RILT étaient suffisamment claires et éliminaient tout droit à un versement une fois que l’emploi avait pris fin.

M. Matthews a porté cet arrêt en appel devant la Cour suprême du Canada.

L’arrêt de la CSC

Dans un arrêt unanime, la Cour suprême du Canada a écarté l’arrêt de la Cour d’appel et rétabli le jugement de première instance ainsi que l’octroi de dommages-intérêts à M. Matthews. Dans son arrêt, la Cour a clarifié le droit relatif aux dommages-intérêts versés à des employés pour congédiement injustifié.

La Cour a confirmé le fait que chaque contrat de travail comporte l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable à un employé lorsque celui-ci est congédié. Si un employé est congédié sans qu’on lui ait donné un préavis raisonnable adéquat, il a alors droit à des dommages-intérêts pour manquement à cette condition implicite, et ces dommages-intérêts correspondront au salaire, y compris les primes, qu’il aurait touché s’il avait continué à travailler pendant la période de préavis raisonnable.

Pour décider si les dommages-intérêts pour manquement à cette condition implicite devraient inclure les primes ou autres avantages, la Cour mentionne qu’il y a deux questions qui devraient se poser :

  1. Est-ce que l’employé aurait eu droit à la prime ou à l’avantage dans le cadre de sa rémunération pendant la période de préavis raisonnable;
  2. Dans l’affirmative, est-ce que les modalités du contrat de travail ou du régime de primes ont pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit que confère la common law?

Dans le cas de M. Matthews, la Cour a conclu que si M. Matthews avait travaillé pendant la période de préavis raisonnable, il aurait été un employé lorsque l’événement déclencheur s’est produit et aurait eu droit au paiement en vertu du RILT. En ce qui a trait à la deuxième question, la Cour a examiné les dispositions limitatives du RILT et conclu que ces dispositions n’avaient pas pour effet de limiter ou de supprimer clairement et sans ambiguïté le droit que confère la common law à M. Matthews. Plus particulièrement, la Cour a conclu ce qui suit :

  • Une clause exigeant qu’un employé soit un « employé à temps plein » ou un « employé actif » ne sera pas suffisante pour supprimer le droit que confère la common law à un employé d’obtenir des dommages‑intérêts étant donné que si un préavis raisonnable avait été donné à l’employé, ce dernier aurait été un « employé à temps plein » ou un « employé actif » pendant la période de préavis raisonnable;
  • Une clause visant à supprimer le droit que confère la common law à un employé d’obtenir des dommages‑intérêts lorsqu’il est congédié « avec ou sans motif » ne sera pas suffisante pour supprimer le droit que confère la common law à un employé d’obtenir des dommages‑intérêts lorsqu’un employé a été congédié sans préavis, étant donné qu’un congédiement sans préavis raisonnable n’équivaut pas à un congédiement « sans motif ». Un congédiement sans préavis raisonnable constitue plutôt un congédiement « illégal », et ce cas n’était pas prévu par les dispositions limitatives.

La Cour ajoute que même si la clause avait fait mention d’un « congédiement illégal », une telle disposition n’aurait pas non plus été suffisante pour modifier clairement le droit que confère la common law à l’employé.

Bonne foi

Relativement à la question de la bonne foi, la Cour mentionne clairement que le manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi repose sur des fondements distincts de ceux qui sont liés à l’omission de donner un préavis raisonnable. La Cour fait des observations générales sur l’obligation de bonne foi et a décidé de s’abstenir de se prononcer sur l’existence d’une obligation de bonne foi de portée plus large pendant la durée du contrat de travail, mentionnant seulement qu’[i]l se pourrait […] que les employeurs soient un jour tenus pendant la durée du contrat de travail à un devoir de bonne foi basé sur une obligation mutuelle de loyauté, au sens non fiduciaire de ce terme ».

Points à retenir pour les employeurs

Cette affaire établit une norme extrêmement élevée pour les employeurs qui souhaitent limiter le droit que confère la common law à un employé d’obtenir une prime ou un paiement d’intéressement pendant un préavis raisonnable. Les employeurs devraient s’assurer à l’avenir que leurs clauses de limitation ou d’exclusion sont « absolument claires et non ambiguës » et visent toutes les circonstances qui pourraient se présenter. Les employeurs devraient également examiner leurs contrats et régimes d’intéressement actuels afin de s’assurer que les dispositions limitatives sont conformes aux conclusions de la Cour dans cette affaire.

Seul le temps nous dira si, un jour, un tribunal, en se fondant sur les faits appropriés, pourra reconnaître l’existence d’une obligation de bonne foi plus large, qui s’applique également pendant la durée de la relation d’emploi. Pour l’instant, les employeurs, peuvent s’attendre à ce que cet argument soit soulevé dans le cadre de litiges et, par conséquent, devraient s’assurer de faire preuve de bonne foi pendant toute la durée de la relation d’emploi.

par Dianne Rideout et Fiona Wong, stagiaire

[1] 2020 CSC 26 [Matthews].

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020

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