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La COVID-19 va-t-elle mettre le feu à la poudrière de l’insolvabilité dans le secteur canadien du cannabis?

9 avril 2020 Bulletin sur la restructuration et l’insolvabilité Lecture de 17 min

Le nouveau coronavirus et la pandémie de la COVID-19 ont eu des effets dévastateurs sur les marchés financiers, l’économie en général et la vie quotidienne. Toutes les entreprises canadiennes font maintenant face à des défis qu’elles n’imaginaient pas il y a un mois à peine. Celles qui sont entrées sur le marché en 2020 avec un bilan faible et un accès restreint aux capitaux pourraient devoir prendre des décisions difficiles.

À cet égard, aucun secteur n’a été surveillé d’aussi près que le secteur canadien du cannabis en développement. Jusqu’à décembre 2019, seulement trois entreprises canadiennes du secteur du cannabis avaient demandé la protection contre leurs créanciers. Depuis le début du mois de décembre toutefois, le nombre de demandes a augmenté régulièrement, deux demandes ayant été présentées en décembre 2019 et six au premier trimestre de 2020. D’ici à la fin de l’année 2020, le secteur canadien du cannabis pourrait bien faire l’objet d’une consolidation importante en faveur d’une poignée d’importants intervenants du marché. Nous prévoyons que les entreprises du secteur du cannabis qui envisagent de se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[1] (la « LACC ») ou de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[2] (la « LFI ») seront de plus en plus nombreuses.

Nous avons examiné la plus récente analyse du secteur canadien du cannabis et les contraintes particulières qui s’appliquent à ce secteur sur le plan de la réglementation, afin de rendre compte des défis que devront relever les entreprises du secteur du cannabis et leurs créanciers pour surmonter les turbulences et les obstacles sur le plan financier.

Un contexte difficile

La nature hautement réglementée du secteur canadien du cannabis est source de défis particuliers pour le secteur. De nombreux producteurs autorisés se sont d’abord heurtés à un arriéré dans le traitement des demandes de licences. Les régimes provinciaux d’attribution des licences aux magasins de vente au détail de cannabis ont créé un marché inégal, l’Ontario n’ayant autorisé qu’un nombre limité de détaillants de cannabis. Malgré les objectifs de politique publique déclarés de la légalisation du cannabis à usage récréatif, soit l’élimination du marché noir illégal, 75 % des Canadiens et Canadiennes qui consomment du cannabis continuent d’acheter des produits illicites, dont le prix demeure concurrentiel par rapport aux produits légaux[3].

Même si la légalisation du cannabis à usage récréatif au Canada en octobre 2018 a suscité un regain d’activité au sein du marché, notamment des premiers appels publics à l’épargne, des émissions de débentures et des opérations de fusion et acquisition, le secteur était aux prises avec des problèmes de trésorerie, un accès limité aux capitaux et des évaluations en baisse. Bien que l’activité sur le plan des fusions et acquisitions n’ait cessé d’augmenter entre 2018 et les deux premiers trimestres de 2019, comparativement à l’année précédente[4], 2019 a été une année de hauts et de bas, et en fin d’année, le nombre d’opérations était en baisse[5]. Au dernier trimestre de 2019, la valeur totale des opérations est passée sous la barre du un milliard de dollars pour ce trimestre, une première depuis le troisième trimestre de 2017[6]. Les résultats des sociétés ouvertes du secteur du cannabis sur le plan du BAIIA n’ont pas répondu aux attentes[7].

Le secteur était encouragé par le fait que les ventes de cannabis légal avaient atteint un niveau sans précédent, soit 146,2 millions de dollars en décembre 2019[8], et que les entreprises du secteur du cannabis s’attendaient à enregistrer un BAIIA positif d’ici à 2021[9]. Les ventes mensuelles en janvier 2020 étaient en hausse, à 154,2 millions de dollars, soit une hausse de 54,9 millions de dollars par rapport à l’année précédente[10]. Certains analystes s’attendent à ce que les ventes en 2020 atteignent 2,8 milliards de dollars grâce à l’ajout de nouveaux magasins de vente au détail de cannabis et de produits 2.0 de cannabis[11] et à ce que les ventes augmentent sensiblement d’ici à 2025[12].

Le contexte du financement des entreprises du secteur du cannabis a radicalement changé. Par le passé, les entreprises de ce secteur ont obtenu du financement par l’entremise d’émissions d’actions supplémentaires. L’an dernier, toutefois, la valeur des capitaux obtenus a chuté de 31 % en 2019 par rapport à 2018, alors que la valeur du financement par emprunt a augmenté de 28 %[13]. Les défis actuels au sein du marché liés à la pandémie rendront sans doute plus difficile le financement par emprunt ou par émission d’actions. En raison de la perte de confiance de leurs créanciers, certaines entreprises du secteur du cannabis pourraient devoir demander une protection contre leurs créanciers (ou être exposées à une mise sous séquestre). D’autres, notamment celles qui disposent de liquidités, pourraient être la cible d’offres publiques d’achat non sollicitées ou de campagnes de ventes à découvert qui pourraient les inciter à demander plus tôt que plus tard la protection contre leurs créanciers.

La pandémie de COVID-19 ajoute aux contraintes pesant sur le secteur. Il est difficile de savoir si la hausse des ventes de cannabis est attribuable à la constitution de stocks par les consommateurs durant la pandémie ou si cette tendance va durer[14]. Quelques lueurs d’espoir sont à noter – le cannabis est généralement considéré comme un service essentiel dans les États des États-Unis où la consommation de cannabis à usage récréatif est autorisée, comme dans la plupart des provinces canadiennes. Même en Ontario, où les magasins de vente au détail de cannabis ne sont pas considérés comme des services essentiels et ont été visés par un ordre de fermeture à compter du 4 avril 2020, un décret d’urgence a été pris le 7 avril 2020 qui permet temporairement aux détaillants de cannabis d’offrir aux clients des livraisons et des cueillettes en bordure de trottoir de cannabis et de produits de cannabis afin de poursuivre la lutte contre le marché illicite du cannabis[15]. De plus, la Banque de développement du Canada et Exportation et développement Canada ont annoncé qu’ils incluraient le secteur du cannabis dans les entreprises ayant accès au nouveau programme de crédit aux entreprises de 40 milliards de dollars faisant partie du Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19 du gouvernement fédéral[16].

Tendances et signaux des procédures de restructuration actuelles

Le secteur canadien du cannabis a déjà constaté une accélération du nombre d’entreprises du secteur du cannabis sollicitant une protection en vertu de la LACC ou de la LFI. Ascent Industries Corp. (« Ascent ») a demandé la protection en vertu de la LACC il y a plus d’un an, au début du mois de mars 2019[17]. DionyMed Brands Inc.[18] (« DionyMed ») et Curative Cannabis[19] ont été mises sous séquestre l’an dernier, et Wayland Group[20] et AgMedica Bioscience Inc.[21] ont obtenu une protection contre leurs créanciers en vertu de la LACC en décembre 2019. Cette année, jusqu’à présent, Invictus MD Strategies Corp. a demandé la protection contre ses créanciers en février 2020[22], Pure Global Cannabis Inc.[23] (« Pure Global ») et CannTrust Holdings Inc.[24] en mars 2020 et James E. Wagner Cultivation Corporation[25] (« JWC ») en avril 2020. De plus, Eureka 93 Inc.[26] (« Eureka 93 ») et Green Relief Inc.[27] ont déposé des avis d’intention de déposer une proposition concordataire aux termes de la LFI (ce qui impose aux créanciers un sursis de 30 jours afin de permettre le dépôt d’une proposition concordataire).

Défis liés aux restructurations au sein du secteur du cannabis

Pour que les restructurations au sein du secteur du cannabis aient quelques chances de réussir, il faudra que les conditions habituelles à toute restructuration fructueuse soient réunies, à savoir : un financement adéquat dans le cadre du processus de restructuration (financement du débiteur-exploitant ou financement DIP), l’accès à des liquidités et le soutien des principaux créanciers. De plus, lorsqu’un producteur autorisé a l’intention de poursuivre son exploitation durant le processus de restructuration, il doit retenir à son service ses employés clés afin de conserver ses licences. Toutefois, les producteurs autorisés auront ultimement des défis à relever. Les restrictions imposées par la réglementation et la croissance limitée du marché font qu’au moins pour le moment, un nombre restreint d’acquéreurs stratégiques seront enclins à acquérir des stocks, de l’infrastructure ou des installations de culture ou production achevées ou presque achevées.

Réalisation des actifs liés au cannabis

Les débiteurs, les créanciers et les professionnels de l’insolvabilité doivent connaître les préoccupations particulières au secteur du cannabis qui peuvent avoir une incidence sur les procédures de restructuration et d’insolvabilité. La légalisation du cannabis a été principalement un changement motivé par des considérations de politique de santé publique, sans que l’on n’apporte des modifications correspondantes à la législation en matière d’insolvabilité. Par conséquent, il existe des lacunes sur le plan du traitement des actifs liés au cannabis, dont la nature est particulière, dans le cadre des procédures d’insolvabilité.

La réalisation ou la récupération d’actifs liés au cannabis peut être particulièrement complexe. Voici quelques enjeux particuliers qui peuvent survenir dans le cadre d’une procédure de restructuration ou d’insolvabilité visant des actifs liés au cannabis.

Licences

Les producteurs du secteur canadien du cannabis doivent détenir des licences valides octroyées par plusieurs ordres de gouvernement :

  • fédéral – licences octroyées par Santé Canada[28] et l’Agence du revenu du Canada (« ARC »)[29];
  • provincial – licences pour la vente au détail;
  • municipal – permis pour les entreprises.

Les licences fédérales pour la culture et le traitement exigent aussi que les principaux employés obtiennent des habilitations de sécurité avant que Santé Canada n’accorde une licence à un producteur de cannabis[30]. Les personnes occupant ces fonctions clés doivent donc posséder des habilitations de sécurité, à défaut de quoi le producteur risque de voir sa licence annulée. Les producteurs de cannabis s’arrangent habituellement pour que la licence fédérale soit détenue par l’entreprise d’exploitation et que les habilitations de sécurité adéquates soient obtenues par les employés clés[31]. Aucune disposition de la Loi sur le cannabis[32] ou de son règlement d’application n’autorise le transfert ou la cession de licences. Les licences fédérales octroyées par l’ARC exigent aussi le dépôt d’une sûreté à l’égard du droit sur le cannabis[33].

Les licences provinciales et les permis municipaux peuvent exiger le paiement d’autres frais et l’obtention d’habilitations de sécurité distinctes pour les employés clés. En raison de la nature évolutive de la réglementation du cannabis au sein du système fédéral du Canada, les producteurs et les détaillants provinciaux devront remplir différentes exigences en matière de licence et de permis dans chaque province et municipalité. De telles complexités peuvent limiter les possibilités de revente des actifs liés au cannabis dans le cadre d’une restructuration ou d’une liquidation.

L’évaluation et la revente des actifs liés au cannabis sont rendues plus complexes par l’incertitude entourant la cessibilité des licences fédérales en vertu de la législation et de la réglementation actuelles. Pour le moment, il semble que ces licences ne puissent être transférées ou cédées. Par conséquent, les restructurations qui ont lieu au sein du secteur du cannabis (par opposition aux liquidations) seront généralement dirigées par les débiteurs. La restructuration du capital-actions peut effectivement opérer le transfert des actifs liés au cannabis, et on peut avoir recours à des procédures d’insolvabilité pour réaliser ces restructurations. Par exemple, la procédure de dépôt d’une proposition concordataire aux termes de la LFI peut être utilisée pour réaliser le transfert des actifs liés au cannabis à un acquéreur par l’entremise d’une restructuration du capital-actions du débiteur[34].

L’octroi de licences liées au cannabis est source de préoccupations particulières pour les professionnels des procédures d’insolvabilité formelles. Jusqu’à présent, il semble que les professionnels de l’insolvabilité ne seront pas en mesure d’obtenir des licences temporaires auprès de Santé Canada afin de prendre possession des biens du débiteur. Des licences temporaires similaires ont été accordées par les organismes de réglementation provinciaux lorsque des actifs liés au secteur du jeu et de l’alcool étaient en jeu. Pour contourner cette limite, on a de plus en plus tendance à modifier le modèle de l’ordonnance initiale dans le cadre de procédures d’insolvabilité afin d’autoriser le séquestre à traiter les questions d’obtention de licences aux termes de la législation fédérale et provinciale (au nom et pour le compte du débiteur ou comme mandataire du débiteur)[35] ou dispenser le contrôleur de prendre possession des actifs visés par la réglementation sur le cannabis[36]. Il convient de noter que le contrôleur dans les procédures liées à Pure Global a indiqué qu’il n’était pas prêt à agir comme séquestre parce qu’il ne pourrait pas prendre légalement possession du cannabis (que ce soit sous forme de stocks de produits finis préemballés et de produits en vrac, ou de stocks en cours de production)[37]. Même si les stocks de cannabis demeurent en la possession du débiteur, un séquestre, en prenant possession des autres biens du débiteur, devra requérir l’aide des employés clés et la collaboration de Santé Canada et des organismes de réglementation provinciaux.

Employés clés et expertise technique

Une expertise particulière est nécessaire pour la protection des produits organiques, notamment lorsque la société productrice fait l’objet d’une restructuration ou de procédures d’insolvabilité. Cette expertise est encore plus critique lorsque le produit organique est très réglementé comme l’est le cannabis. Les professionnels de l’insolvabilité devront s’en remettre aux employés clés qui possèdent l’expertise technique nécessaire pour remplir les exigences de la réglementation et des contacts établis avec les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux.

Les professionnels de l’insolvabilité devront eux-mêmes nouer leurs propres relations avec les principaux organismes de réglementation. Des contacts tôt dans la procédure et fréquents avec Santé Canada et les organismes de réglementation provinciaux seront nécessaires pour la conservation des actifs liés au cannabis et la mise en œuvre de la récupération et de la réalisation.

La réglementation fédérale sur l’octroi de licences exige que les administrateurs et les dirigeants, ainsi que les personnes clés travaillant sur place obtiennent et maintiennent à jour des habilitations de sécurité. Ces personnes sont notamment le chef de la sécurité, le producteur en chef, les préposés à l’assurance de la qualité et la personne chargée de la gestion de l’ensemble des activités relatives au cannabis exercées par le producteur. La question de savoir quelles sont les personnes qui devront obtenir une habilitation de sécurité dépend de la nature des activités menées par le producteur de cannabis[38].

Étant donné la nature critique des employés clés dans la production de cannabis, en particulier s’agissant du maintien des licences, les professionnels de l’insolvabilité devraient envisager le recours à des régimes de maintien en poste des employés clés (un « RMPEC ») dans le cadre de procédures d’insolvabilité liées au cannabis. La mise en œuvre précoce et l’approbation judiciaire d’un RMPEC, y compris toute charge prioritaire nécessaire au financement du RMPEC, est un aspect important de la protection des actifs liés au cannabis.

Évaluation

Les impondérables de l’évaluation de produits organiques s’appliquent aussi à l’évaluation des actifs liés au cannabis. L’établissement de la valeur des actifs liés au cannabis peut inclure l’évaluation des récoltes de produits attendues, du stade de croissance, du prix du marché pour les produits finis, des coûts de vente, du coût par gramme, des coûts nécessaires pour l’achèvement et des taux de récupération/gaspillage[39].

L’évaluation des producteurs de cannabis est compliquée par le fait qu’il s’agit d’un secteur récent. Les évaluateurs ont du mal à évaluer adéquatement les profils de risque étant donné le bref historique du secteur et les courts antécédents des producteurs eux-mêmes, ainsi qu’en raison de l’évolution de la surveillance des organismes de réglementation dans chaque territoire[40].

Processus de vente

La nature des actifs liés au cannabis aura un effet important sur le processus de vente dans le cadre de procédures d’insolvabilité. Les exigences de la réglementation peuvent limiter les acquéreurs stratégiques potentiels visés à ceux qui sont en mesure d’obtenir les autorisations requises aux niveaux fédéral, provincial et municipal. Les délais serrés qui sont l’apanage des procédures d’insolvabilité peuvent limiter le marché ciblé aux acquéreurs qui possèdent déjà des licences pertinentes[41] et qui sont en mesure d’obtenir les capitaux ou les prêts supplémentaires pour financer l’acquisition d’actifs dans le cadre d’une insolvabilité. La perception d’une surabondance tant sur le plan de la capacité de culture que des stocks de produits de cannabis peut limiter davantage la valeur de ces actifs. Les stocks qui ne peuvent pas être vendus à un autre producteur autorisé ou qui demeurent sur les lieux de production après qu’un producteur autorisé a délaissé ou perdu sa licence, doivent être détruits.

Par conséquent, des restructurations efficaces supposent la réalisation créative des actifs associés à la production de cannabis, comme les biens immobiliers (qu’ils soient détenus en propriété ou loués) et l’équipement. Bien que la vente de l’équipement soit en général ciblée sur les producteurs ou détaillants autorisés, les producteurs pourraient, en ces temps de COVID-19, vouloir réaffecter leurs activités existantes pour les consacrer à de nouveaux produits, et le marché cible pourrait être étendu à d’autres innovateurs.

L’incertitude entourant les actifs liés au cannabis entraînera probablement le recours à des soumissions-paravents dans le cadre de procédures d’insolvabilité. Les soumissions-paravents sont des offres dans le cadre desquelles l’acquéreur qui a été accepté définit les modalités de vente initiales. Elles offrent aux parties la certitude d’un acquéreur approprié et à l’acquéreur le confort que sa vérification diligente ne sera pas vaine, en particulier lorsque des frais de rupture des négociations peuvent indemniser le soumissionnaire-paravent[42]. Dans le dépôt récent de JWC, l’entreprise prévoit que le processus de vente et de sollicitation des investisseurs comprendra une soumission-paravent de la part de son créancier garanti qui est aussi un prêteur DIP[43].

L’approbation par les tribunaux des ventes d’actifs liés au cannabis peut être compliquée par les difficultés inhérentes à l’évaluation des actifs liés au cannabis et le marché cible limité. Les professionnels de l’insolvabilité doivent convaincre le tribunal que l’opération proposée est prudente dans les circonstances. Ils devront donc déposer des éléments de preuve relativement à la nature des actifs liés au cannabis, à l’évaluation et à la commercialisation de ces actifs et aux défis posés par la réglementation visant les produits de cannabis.

Opérations transfrontalières

Plusieurs producteurs de cannabis exercent des activités au Canada et aux États-Unis. Le fait que le cannabis n’est pas légalisé au niveau fédéral aux États-Unis pose des défis particuliers pour les restructurations transfrontalières.

Jusqu’à présent, aucune procédure d’insolvabilité visant des producteurs de cannabis n’a été enregistrée, même si nous notons que deux procédures d’insolvabilité ont été enregistrées concernant des questions transfrontalières. DionyMed a été mise sous séquestre en Colombie-Britannique. Société de portefeuille canadienne, ses revenus provenaient principalement de filiales aux États-Unis. Il ne s’agit pas là d’une véritable insolvabilité transfrontalière. Le dossier Ascent comporte aussi un aspect transfrontalier, mais seulement parce que Santé Canada a suspendu et révoqué les licences détenues par les filiales canadiennes d’Ascent. Ascent a réussi à vendre ses actifs canadiens, la laissant avec ses seules filiales américaines. Aucune de ces procédures n’a comporté une restructuration de filiales ou d’actifs aux États-Unis, et l’on ne sait pas si des procédures visant à homologuer les procédures d’insolvabilité seraient autorisées par les tribunaux américains. Ces derniers sont toujours aux prises avec deux questions incompatibles, soit l’activité liée au cannabis autorisée par l’État et la criminalisation du cannabis au niveau fédéral qui empêche toute protection en vertu de la législation américaine en matière d’insolvabilité.

On ne sait pas si les producteurs de cannabis peuvent demander une protection en vertu de la législation américaine en matière d’insolvabilité en raison du fait que le cannabis est une substance illégale en droit fédéral américain. Une cour d’appel de circuit américaine a récemment paru ouvrir la porte aux producteurs de cannabis sollicitant une protection aux termes du Bankruptcy Code fédéral. La cour d’appel a confirmé la décision du tribunal inférieur selon laquelle le tribunal n’approuvera pas un plan proposé de manière illégale, mais que cette restriction n’interdit pas l’approbation d’un plan qui pourrait dépendre de certains éléments illégaux. Dans ce cas, le plan avait trait à un débiteur qui avait loué des biens immobiliers d’un producteur de cannabis autorisé dans l’État de Washington. Cette décision, toutefois, a déjà été contestée par d’autres tribunaux américains[44].

Les leçons apprises à ce jour

Il est trop tôt pour que nous puissions repérer des tendances et prédire quelles entreprises du secteur du cannabis devront faire l’objet d’une restructuration ou pourront le faire avec succès. On peut peut-être déceler des thèmes communs dans la première vague des entreprises du secteur du cannabis qui sollicitent la protection contre leurs créanciers ou qui ont été mises sous séquestre. Bon nombre des premières entreprises à se trouver en difficulté ont essayé de devenir des producteurs de cannabis verticalement intégrés sans d’abord avoir dégagé des flux de trésorerie positifs en tant que producteur autorisé. Dans la plupart des cas, ces débiteurs ont utilisé leurs capitaux rapidement ou ont contracté des dettes importantes et souvent convertibles afin de mettre en œuvre des plans d’expansion rapides dans l’espoir de mettre en production autant d’acres que possible et aussi rapidement que possible. Certaines entreprises du secteur du cannabis ont eu du mal à passer d’un état d’esprit entrepreneurial à celui d’un intervenant du secteur hautement réglementé et responsable devant Santé Canada et d’autres autorités en valeurs mobilières. Bien qu’une non-conformité à la réglementation ne soit pas nécessairement fatale pour un producteur de cannabis, si elle est corrigée rapidement, des difficultés persistantes sur le plan de l’exploitation qui mettent à mal les licences obtenues de Santé Canada ou le non-respect des exigences en matière de communication de l’information prescrites par les lois sur les valeurs mobilières sont des symptômes d’une incapacité de la direction à régler les nombreuses contraintes pesant sur une entreprise en démarrage dans un secteur hautement réglementé et émergent.

Le soutien des créanciers est crucial et le deviendra probablement de plus en plus, étant donné l’impact de la COVID-19 sur l’économie. Au cours des deux derniers mois, les créanciers se sont opposés à une protection initiale contre les créanciers pour deux producteurs. Dans le cas d’Eureka 93, les créanciers ont bien accueilli l’avis d’intention de l’entreprise de déposer une proposition concordataire en vertu de la LFI, au motif que son projet d’obtenir des prêts (qui auraient priorité de rang sur les créanciers garantis existants) pour l’achèvement de sa seule installation d’exploitation, était seulement une « aspiration vague », comme l’indiquaient les documents déposés en cour. Les porteurs de débentures de Pure Global[45] et d’autres créanciers garantis n’étaient pas favorables à ses projets de restructuration. Pure Global a demandé la protection contre ses créanciers à la suite de son défaut à l’égard de ses débentures et des prêts hypothécaires accordés par le vendeur à l’égard de deux propriétés à Brampton (un entrepôt et des installations de production) détenues par ses filiales, lesquelles étaient ses deux seuls actifs importants. Le tribunal a approuvé le financement DIP provisoire de 700 000 $ durant les huit premiers jours de suspension, avec un million de dollars supplémentaires (et une charge de financement DIP totale de 1,7 million de dollars) mis à disposition jusqu’au 15 mai 2020. Bien que le contrôleur ait proposé d’amorcer un processus de vente de l’entreprise en exploitation, les créanciers garantis de Pure Global n’ont vu aucune perspective de restructuration réussie de Pure Global en vue de la poursuite de son activité. La cour s’est rangée à cet avis et après les huit premiers jours de suspension, a ordonné à Pure Global de cesser ses activités. La suspension des procédures prévue à la LACC demeurera en vigueur jusqu’au 15 mai 2020 pour permettre à Pure Global d’éliminer ou de détruire son cannabis ou ses produits de cannabis, en consultation avec Revenu Canada et Santé Canada. Ce processus de restructuration dans le cadre duquel Pure Global demeure en possession de ses biens permet au contrôleur de continuer à jouer son rôle et d’éviter les difficultés liées à la nomination d’un séquestre pour le cannabis et les produits de cannabis. Les créanciers garantis sont libres de nommer un séquestre après l’expiration de la période de suspension prévue à la LACC[46].

Comme pour toute entreprise qui est confrontée à une crise de liquidités, une restructuration réussie dépend de nombreux facteurs. Le plus important est la volonté de la direction et du conseil d’administration de demeurer proactifs et de maintenir la communication avec les créanciers clés et les organismes de réglementation afin de mettre en place un plan crédible et d’effectuer une transition ordonnée vers les procédures de restructuration. Étant donné les défis supplémentaires posés par la nature hautement réglementée du secteur du cannabis, plus les producteurs autorisés et les détaillants de cannabis planifient tôt leur entrée et leur sortie des procédures prévues à la LACC, plus la société aura de chance d’éviter avec succès la mise sous séquestre et la liquidation.

par Charlotte Conlin, Daniel Shouldice et Guneev Bhinder

[1] LRC 1985, c C-36.
[2] LRC 1985, c B-3.
[3] Eva Koronois, « 2020 Canadian Cannabis Industry Update » (3 février 2020), en ligne.
[4] MNP Corporate Finance Inc., « Quarterly Industry Update: Cannabis – Q4 2019 » (10 février 2020), en ligne.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ernst & Young, « EY Insights: Cannabis valuations » (octobre 2019), en ligne.
[8] Portant ainsi la valeur annualisée des ventes de cannabis à 1,75 G$; BNN Bloomberg, « Cannabis Canada: Annualized legal pot sales on track to hit $1.75B » (21 février 2020), en ligne.
[9] Supra, note 7.
[10] Ibid.
[11] Vanmala Subramaniam, « Canadians bought just $1.2 billion worth of legal weed in 2019, but sales ended the year strong » (21 février 2020), en ligne.
[12] Supra, note 7.
[13] Supra, note 4.
[14] Ibid.
[15] Règl. de l’Ont. 128/20. Le décret d’urgence adopté le 7 avril 2020 a une durée initiale de 14 jours, mais il peut être prolongé. Voir aussi AGCO : « Bulletin d’information : Mesures temporaires de livraison et de ramassage en bordure de trottoir par les magasins de vente au détail de cannabis autorisés et mesures de réduction du fardeau administratif pendant la pandémie COVID-19 » (7 avril 2020), en ligne.
[16] Colin Perkel, « Bars, cannabis sector eligible for $40-billion credit program from government bank » (5 avril 2020), en ligne.
[17] Re Ascent Industries Corp., BCSC (Registre de Vancouver), no de greffe S-192188, Ordonnance d’approbation du 19 décembre 2019.
[18] GLAS Americas LLC v. DionyMed Brands Inc., BCSC (Registre de Vancouver), no de greffe S191098, Ordonnance de mise sous séquestre datée du 29 octobre 2019 (J. Marchand).
[19] Auxly Cannabis v 2368523 Ontario Ltd., ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-19-627308-00CL, Ordonnance de mise sous séquestre du 19 septembre 2019, (J. Hainey).
[20] Re Wayland Group, ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-19-00632079-00CL, Ordonnance initiale datée du 2 décembre 2019 (J. Hainey).
[21] Re AgMedica BioScience Inc., ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-19-00632052-00CL, Ordonnance initiale datée du 2 décembre 2019 (J.Hainey).
[22]  Re Invictus MD Strategies Court, BSCS [Registre de Vancouver], no de greffe S-201708, Ordonnance initiale datée du 13 février 2020 (J. Fitzpatrick).
[23] Re Pure Global Cannabis, ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-20-00638503-00CL] Ordonnance initiale datée du 19 mars 2020 accordant un sursis de huit jours (J. Hainey).
[24] Re CannTrust, ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-20-00638930-00CL, Ordonnance initiale datée du 31 mars 2020 (J. Hainey).
[25] Re James E Wagner Cultivation Corporation et al, ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-20-00639000-00CL, Ordonnance initiale datée du 1er avril 2020 (J. Hainey).
[26] Re Eureka 93 Inc., 2020 ONSC 1482.
[27] Re Green Relief Inc., ON SCJ [Rôle commercial], no de greffe CV-20-637735-00CL, déposé le 11 mars 2020 (J. Koehnen a fixé une date de reprise au 8 avril 2020).
[28] Santé Canada, « Sommaire : Exigences des demandes de licence pour la culture, transformation et vente à des fins médicales de cannabis » (6 mars 2020), en ligne.
[29] Agence du revenu du Canada, « Droit sur le cannabis – Demander une licence de cannabis auprès de l’ARC » (24 février 2020), en ligne.
[30]Supra, note 28 à l’Annexe A, en ligne.
[31] Allen, Vanessa et Hutchison, Dean, « Asset Realizations in the New World Dealing with Cryptocurrency and Cannabis Assets », Annual Review of Insolvency Law 2019, éd. Professeur Jill Corraini et l’Honorable D Blair Nixon (Thomson Reuters Canada Limited: Toronto, 2020).
[32] LC 2018, c. 16.
[33] Supra, note 29, en ligne.
[34] Supra, note 31.
[35] Re AgMedica Bioscience Inc. et al, supra, note 21; Auxly Cannabis Group Inc. v. 2368523 Ontario Limited dba Curative Cannabis, supra note 19.
[36] Comme c’est habituellement le cas relativement à tout bien qui pourrait être source de responsabilité aux termes d’une législation environnementale.
[37] Supra, note 23, Premier rapport du contrôleur daté du 2 avril 2020.
[38] Supra, note 28 à l’Annexe A, en ligne.
[39] BDO Canada LLP, « Valuing Biological Assets in the cannabis industry » (19 septembre 2019), en ligne.
[40] Chris Walsh, « Appraising a Marijuana Business: Q&A with Valuations Expert Ronald Seigneur » (10 septembre 2014), en ligne.
[41] Supra, note 31.
[42] Ibid.
[43] Supra, note 25; Rapport de KSV Kofman, Inc. daté du 31 mars 2020.
[44] Mark A. Salzberg, « Cannabis and Bankruptcy: 2019 in Review » (17 décembre 2019), en ligne.
[45] McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. sont les conseillers juridiques de certains porteurs de débentures.
[46] Supra, note 23, Ordonnance initiale modifiée et mise à jour, datée du 6 avril 2020.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.mise en garde

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