La CSC confirme l’adage selon lequel « une entente est une entente » : une partie n’est pas autorisée à renégocier un contrat simplement parce qu’elle n’aime plus ses modalités
La CSC confirme l’adage selon lequel « une entente est une entente » : une partie n’est pas autorisée à renégocier un contrat simplement parce qu’elle n’aime plus ses modalités
Dans l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada (la « CSC »), Churchill Falls (Labrador) Corp c. Hydro-Québec (« Hydro-Québec »),[1] la Cour a confirmé les modalités d’un contrat conclu il y a près de 50 ans, ainsi que l’adage selon lequel « une entente est une entente ».
En 1969, après de longues négociations, Hydro-Québec et la Churchill Falls (Labrador) Corporation (« CFLCo ») ont conclu un contrat visant la construction d’une centrale hydroélectrique sur le fleuve Churchill. Selon les modalités de l’entente, Hydro-Québec assumait la majorité des risques associés au contrat, notamment les dépassements de coûts de la construction. Hydro-Québec a également convenu d’acheter la majeure partie de l’électricité produite par Churchill Falls à des prix fixes, peu importe ses besoins. En 2009, soit 50 ans plus tard, les prix de l’électricité étaient considérablement plus élevés qu’en 1969. Par conséquent, les prix fixes qui, à une certaine époque, représentaient un risque important pour Hydro-Québec, permettaient maintenant à celle-ci de réaliser des profits substantiels.
Dans un arrêt rendu à sept contre un confirmant les décisions des instances inférieures, la CSC a conclu que, malgré le fait que le bénéfice soit disproportionné, les parties ont quand même obtenu ce sur quoi elles s’étaient entendues. La Cour a établi qu’elle ne pouvait obliger Hydro-Québec à renégocier le contrat en l’absence d’un comportement répréhensible.
Bien que cette décision soit fondée sur des principes applicables en vertu du régime de droit civil du Québec, elle comporte quand même certains rappels importants pour les sociétés partout au Canada concernant les contrats commerciaux et les lois qui les régissent.
Rappel no 1 : Vous ne pouvez pas vous retirer d’un contrat simplement parce que celui-ci a pris une mauvaise tournure
Les contrats entre des parties commerciales font habituellement l’objet de négociations diligentes, chacune des parties assumant un certain niveau de risque moyennant une contrepartie de valeur. Les parties doivent souvent faire des suppositions éclairées lorsqu’elles tiennent compte des « variables connues mais indéterminées » telles que les fluctuations des prix et les changements sur le marché qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur le niveau de risque ou de récompense qu’elles assument. Parfois, comme ce fut le cas dans l’affaire Hydro-Québec, ces décisions finissent par être de mauvaises décisions d’affaires et une des parties se trouve perdante.
Dans l’arrêt Hydro-Québec, la CSC a reconnu le fait que les parties acceptent souvent de prendre des risques lorsqu’elles concluent un contrat commercial, notamment le risque que des circonstances imprévues aient une incidence sur les résultats de l’entente sur le plan de la rentabilité ou sur le plan financier. La décision de la CSC confirme surtout le fait qu’une partie qui constate, après coup, qu’elle a conclu un « mauvais » marché est prise avec celui-ci. La CSC s’exprime sur ce point comme suit :
…Tout compte fait, Cflco … cherche … à substituer un nouveau marché au Contrat en renversant certains aspects de celui-ci, tout en conservant ceux qui lui conviennent. … [et] elle demande à sa partenaire contractuelle de renoncer aux avantages qu’elle obtient en contrepartie des sacrifices qu’elle a faits durant les premières années du projet…[n]i la bonne foi ni l’équité ne justifient de faire droit à ces demandes.[2]
La décision de la CSC met en évidence l’applicabilité du concept selon lequel « plus le risque est élevé, plus la récompense sera grande ». Dans cette affaire, Hydro-Québec a accepté de prendre beaucoup plus de risques que CFLCo (CFLCo était pleinement consciente de ce fait) et, par conséquent, Hydro-Québec en a également récolté les bénéfices lorsque les profits se sont avérés beaucoup plus substantiels que prévu. Le fait de se trouver en mauvaise posture dans le cadre d’un contrat que l’on a conclu ne constitue pas un fondement légal qui permettrait aux tribunaux de rouvrir le contrat qui a été conclu dans les cas où les parties détiennent un pouvoir de négociation essentiellement égal.
Rappel no 2 : Assurez-vous que votre contrat stipule tout ce qui doit y être stipulé
La décision de la CSC nous rappelle également que les parties commerciales doivent s’assurer que leurs contrats expriment de façon exhaustive et exacte les obligations des deux parties. Autrement dit, si vous souhaitez que votre contrat comporte une clause de renégociation, assurez-vous qu’elle figure expressément dans le contrat!
Les tribunaux ne concluront pas à l’existence d’une obligation implicite si aucune obligation de la sorte n’existe. Ce n’est que dans certaines circonstances très limitées, soit lorsque le contrat comporte une lacune qui doit absolument être comblée pour que celui-ci soit cohérent, que les tribunaux en arriveront à la conclusion que l’une des modalités du contrat est implicite. Les clauses implicites ne constituent pas un mécanisme permettant aux tribunaux d’ajouter des obligations à un contrat après le fait. Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour a conclu que le contrat ne comportait aucune lacune ou faille et que la lettre du contrat ne pouvait servir de fondement aux arguments de CFLCo selon lesquels le contrat contenait une clause implicite de renégociation.
Rappel no 3 : Le fait d’agir de bonne foi ne signifie pas que l’on doit sacrifier ses propres intérêts
Les principes de la bonne foi et de l’équité servent à relier les principes juridiques aux notions de justice, mais ils n’ont pas pour effet d’altérer l’équilibre d’un contrat, ou d’imposer un nouveau marché aux parties.
Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour a souligné le fait qu’aucun élément de la relation entre CFLCo et Hydro‑Québec ou des circonstances en l’espèce ne justifiait une intervention fondée sur la bonne foi ou l’équité. Il n’y avait aucune inégalité dans le pouvoir de négociation ni aucune vulnérabilité dans leur relation. Les deux parties au contrat étaient des entités commerciales aguerries, et leur comportement révélait leur intention de faire supporter par l’une d’elles le risque de variation des prix de l’électricité.
La Cour a fait remarquer que le fait que CFLCo invoque les notions d’équité et de bonne foi dans une affaire contractuelle telle que celle‑ci faisait partie intégrante de son argumentation selon laquelle un changement dans les circonstances des parties à un contrat était suffisant pour justifier la renégociation du contrat. La Cour fait également remarquer qu’une telle approche s’inscrivait à l’encontre de la raison d’être fondamentale des contrats qui, au regard de leur nature même, ont force obligatoire et visent à fournir de la certitude aux parties.
La Cour a conclu que ni la bonne foi ni l’équité ne pouvaient être invoquées pour ordonner le partage de profits qui ont été honnêtement gagnés aux termes du contrat, et que ces notions ne pouvaient non plus être élargies au point d’y inclure la possibilité de sanctionner une partie en l’absence de comportement déraisonnable de sa part. La notion de bonne foi ne prive pas une partie du droit de s’en remettre à la lettre du contrat. Le fait pour une partie de refuser de renégocier ou de partager les profits ne va pas à l’encontre de son devoir de bonne foi en l’absence d’un comportement répréhensible ou déraisonnable de sa part.
Conclusion
Cette affaire confirme le fait que les tribunaux ne peuvent pas intervenir (et n’interviendront pas) dans une relation contractuelle simplement parce que l’entente qui a été conclue a pris une mauvaise tournure pour l’une des parties. Cela est particulièrement le cas lorsque le contrat reflète adéquatement l’entente intervenue entre des parties qui ont un pouvoir de négociation égal. En l’absence d’une déclaration fausse ou trompeuse, d’une erreur, d’inexécutabilité, d’illégalité ou de questions liées à la capacité juridique, une « entente est une entente », et les parties à un contrat doivent vivre avec les modalités du marché qu’ils ont conclu.
par Katherine Reilley et Ruth Nieuwenhuis
[1] 2018 CSC 46.
[2] Ibid au par. 138.
Mise en garde
Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2018
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