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La lumière au bout du tunnel? Les ACVM publient la troisième version du règlement sur la conduite commerciale en dérivés

8 février 2022 Bulletin sur le droit des produits dérivés Lecture de 8 min

Après plusieurs années de travail, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié la troisième version du Règlement 93-101 sur la conduite commerciale en dérivés (« projet de Règlement 93-101 ») et de l’Instruction générale connexe le 20 janvier 2022. Ces projets de textes sont soumis à une période de consultation de 60 jours se terminant le 21 mars 2022. Aucune nouvelle version du règlement connexe, projet de Règlement 93-102 sur l’inscription en dérivés  projet de Règlement 93-102 »), n’a été publiée; on ne l’attend pas avant la fin de la période de consultation du projet de Règlement 93-101.

Principaux changements 

Nous avons analysé la première version du projet de Règlement 93-101 et de l’Instruction générale connexe pendant la période de consultation, dans ce bulletin (en anglais) d’avril 2017. Cette première version a été publiée le 4 avril 2017 pour une longue période de consultation de 150 jours.

Une deuxième version a été publiée le 14 juin 2018; parmi les principaux changements, on notait l’ajout du terme « opérateur en couverture commercial visé » à la définition de « partie admissible à un dérivé ». La période de consultation pour cette nouvelle version s’est étendue sur 90 jours, pendant lesquels 21 commentateurs se sont exprimés.

Dans la version actuelle du projet de Règlement 93-101, les ACVM ont répondu aux réserves des participants au marché et ont pris en compte les recommandations du rapport de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« CVMO ») sur l’allègement du fardeau pour faciliter l’accessibilité aux services des courtiers locaux et étrangers par les entités commerciales qui veulent couvrir leur risque d’entreprise.

Dans cette publication, nous nous contenterons de souligner les changements par rapport à la version précédente au lieu de décrire l’ensemble du projet de texte.

Définition révisée de « partie admissible à un dérivé »

Dans la troisième version du projet de Règlement 93-101, des modifications s’ajoutent à la définition de « partie admissible à un dérivé » (« PAD »). En effet, on distingue les obligations de conduite des PAD de celles des parties inadmissibles à un dérivé, ces dernières étant plus strictes. Voici les deux changements principaux :

  1. Élimination du seuil de 10 millions de dollars applicable aux « opérateurs en couverture commerciaux admissibles » (« opérateur en couverture commercial visé » dans la deuxième version);
  2. Ajout d’une période de transition où les sociétés de dérivés qui respectent certaines conditions peuvent considérer comme PAD pendant cinq ans les clients autorisés, les contreparties qualifiées, les parties qualifiées[1] et les eligible contract participants au sens des règlements de la CFTC.

De plus, la définition précédente de PAD ne comprenait que les fonds d’investissement « conseillé[s] par un conseiller inscrit ou dispensé de l’inscription en vertu de la législation en valeurs mobilières ou de la législation en contrats à terme sur marchandises du Canada ». Elle comprend désormais les fonds d’investissement « géré[s] par une personne qui est inscrite à titre de gestionnaire de fonds d’investissement en vertu de la législation en valeurs mobilières d’un territoire du Canada » ou d’un « territoire étranger ».

Avec l’alignement de la définition de PAD sur les diverses catégories de contreparties à un dérivé (y compris, dans certains cas, les conseillers en dérivés) pouvant être dispensées des obligations d’inscription ou d’information aux termes des lois provinciales régissant les marchés financiers, les courtiers et conseillers en dérivés peuvent savoir plus facilement quelles obligations de conduite appliquer pour les clients existants et utiliser les critères courants pour déterminer si un nouveau client est une PAD ou non.

Ajout d’une période de transition

La date d’entrée en vigueur du projet de Règlement 93-101 tombe désormais un an après la date de publication définitive. Étant donné que la période de consultation se termine le 21 mars 2022 et que les organismes de réglementation devront examiner les commentaires et produire une version définitive, nous nous attendons à ce que la version définitive soit publiée entre le troisième trimestre de 2022 et le premier de 2023. Avec la période de transition d’un an, le règlement prendrait donc effet entre le troisième trimestre de 2023 et le premier de 2024. Nous sommes d’avis que la version définitive du Règlement 93-101 ne s’écartera pas, de façon générale, de la version actuelle en ce qui a trait aux obligations de conduite applicables; par conséquent, les courtiers et les conseillers en dérivés devraient d’ores et déjà commencer à agir pour s’y conformer.

Nouvelle dispense pour les fournisseurs de liquidités visant les courtiers étrangers 

La troisième version du projet de Règlement 93-101 ajoute une dispense pour les fournisseurs de liquidités visant les courtiers étrangers qui effectuent des transactions avec des courtiers en dérivés du Canada. Il s’agit d’une dispense pure et simple des exigences du Règlement; les courtiers étrangers n’ont aucune mesure à prendre pour s’en prévaloir. De nombreuses voix demandaient cette dispense dans les commentaires sur les versions précédentes, et en l’ajoutant, les ACVM maximisent le grand bassin mondial de contreparties des courtiers canadiens pour les opérations sur liquidités ou de couverture. Elle ouvre également la possibilité aux courtiers étrangers d’effectuer des opérations de couverture pour leurs engagements au Canada et ceux de leurs clients avec des courtiers canadiens.

Dispositions révisées concernant le dirigeant responsable des dérivés 

Le dirigeant responsable des dérivés a diverses responsabilités, notamment l’établissement, au moins une fois par année civile, d’un rapport qu’il présente ensuite au conseil d’administration de la société de dérivés. Ces dispositions ne s’appliquent plus aux conseillers en dérivés (elles s’appliquent uniquement aux courtiers en dérivés), et les courtiers en dérivés sont dispensés des responsabilités qui en découlent si le montant notionnel brut global de leurs dérivés est sous le seuil financier établi.

Le seuil en question est établi à 250 millions de dollars pour les courtiers en dérivés et à 3 milliards de dollars pour les courtiers en dérivés qui agissent à ce titre qu’à l’égard de dérivés sur marchandises. Le terme « dérivé sur marchandises » est désormais défini et désigne « tout dérivé dont le seul actif sous-jacent est une marchandise autre que de la trésorerie, une monnaie ou un cryptoactif ». Ce sont les mêmes entités qui sont dispensées d’inscription pour valeur limitée aux termes du projet de Règlement 93-102.

De plus, dans le cas des courtiers en dérivés qui ont des « activités en dérivés » inscrites aux termes du projet de Règlement 93-102 que dans un seul secteur et qui, par conséquent, n’auront pas de dirigeant responsable des dérivés, les responsabilités du dirigeant responsable des dérivés sont prises en charge par la personne désignée responsable en dérivés ou par le chef de la conformité en dérivés. Soulignons que les courtiers membres de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (« OCRCVM ») sont aussi dispensés de se conformer à la règle sur le dirigeant responsable des dérivés dans la mesure où ils se conforment aux règles équivalentes de l’OCRCVM.

On peut déduire, d’après les commentaires et les modifications, que les obligations du dirigeant responsable des dérivés visent presque exclusivement les banques canadiennes de façon à ce que chaque secteur d’activités en dérivés ait son propre responsable de la conformité.

Précisions sur l’obligation d’inscription en fonction de l’activité et sur les banques de l’annexe III

En réponse aux commentaires, les ACVM ont ajouté des indications dans l’Instruction générale concernant l’application de l’obligation d’inscription en fonction de l’activité relativement aux courtiers qui exercent des activités au Canada et à l’étranger. Le critère sert à déterminer si une personne ou une société effectue des opérations sur dérivés hors cote ou s’il conseille autrui en cette matière.

Dans la même veine, l’Instruction générale précise que les banques de l’annexe III sont considérées comme des courtiers étrangers (même si elles ont des succursales au Canada) et peuvent se prévaloir des dispenses pour les courtiers en dérivés étrangers ou pour les fournisseurs de liquidités étrangers.

Nouvelle dispense pour les courtiers membres de l’OCRCVM et les institutions financières canadiennes

Les courtiers en dérivés qui sont des courtiers membres de l’OCRCVM et les institutions financières canadiennes sont désormais dispensées de nombreuses dispositions du projet de Règlement 93-101 s’ils respectent les exigences de l’OCRCVM, de la Loi sur les banques ou du BSIF relatives aux transactions avec une partie à un dérivé. Soulignons que certains des articles visés par les dispenses n’ont pas d’équivalent dans les règles de l’OCRCVM, ce qui veut dire qu’on peut s’attendre à ce que celles-ci soient modifiées en conséquence.

D’autres changements importants ont été apportés :

Les contrats de change à court terme sur les marchés institutionnels seront assujettis à certaines dispositions du projet de Règlement 93-101 : Le terme « contrat ou instrument de change à court terme » est désormais défini dans le projet de Règlement 93-101 et se fonde sur la définition de contrat d’achat ou de vente de monnaie donnée dans les règlements provinciaux sur la détermination des dérivés. Certaines dispositions du projet de Règlement 93-101 (traitement équitable, conflit d’intérêts, traitement des plaintes, conformité) s’appliquent dorénavant aux contrats d’achat ou de vente de monnaie sur les marchés institutionnels. Le projet de Règlement 93-101 s’applique aux contrats ou instruments de change à court terme où le courtier en dérivés est une institution financière dont le montant notionnel brut de l’ensemble des dérivés en cours à la fin du mois excède 500 000 000 000 $. En conséquence, ces dispositions ne s’appliqueront qu’à un très petit nombre de courtiers en dérivés, c’est-à-dire les banques canadiennes qui effectuent des transactions entre elles, et visent principalement à appuyer la conformité au Code global de bonne conduite sur le marché des changes volontaire, élaboré notamment par ces mêmes banques canadiennes. Ces dispositions sont les premières que les organismes canadiens de réglementation du commerce des valeurs mobilières ont établies pour encadrer le marché de l’achat et de la vente de monnaie (institutionnel ou autre); reste à savoir s’il faut s’attendre à voir d’autres aspects de ce marché être encadrés de cette façon.

Nouvelle dispense pour les sous-conseillers en dérivés étrangers : Les ACVM ont introduit une dispense pour les sous-conseillers en dérivés étrangers qui s’apparente à celle consentie aux sous-conseillers internationaux dans le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites (« Règlement 31-103 »). Elle permettra aux conseillers en dérivés étrangers de fournir des conseils aux conseillers et courtiers en dérivés sans avoir à se conformer aux exigences en matière de conduite commerciale, sous la supervision de ces derniers.

Dispenses pour les courtiers et les conseillers en dérivés étrangers : En plus de l’harmonisation des dispenses avec celles accordées aux termes du Règlement 31-103, le projet de Règlement 93-101 contient la liste des territoires étrangers où les courtiers et les conseillers étrangers peuvent se prévaloir des dispenses. La liste comprend la majorité des grands marchés des capitaux où les contreparties canadiennes sont susceptibles d’effectuer des transactions. Il est surprenant de constater que le Mexique, partenaire commercial nord-américain du Canada, ne figure pas dans la liste, bien que les ACVM aient affirmé qu’elles pourraient consentir à des dispenses au cas par cas.

Obligation fondamentale en matière de conduite : Les dispositions concernant le traitement des plaintes et la vente liée s’appliquent désormais à l’ensemble des parties à un dérivé, alors qu’elles ne visaient auparavant que les transactions auxquelles participait l’entité suivante : i) une partie qui n’est pas une partie admissible à un dérivé ou ii) une partie admissible à un dérivé qui est une personne physique ou un opérateur en couverture commercial admissible n’ayant pas renoncé à son application. Les ACVM considèrent que ces obligations sont essentielles au bon fonctionnement des marchés des dérivés et devraient s’appliquer, quel que soit le niveau de compétence de la contrepartie au dérivé.

Analyse du fardeau réglementaire

Conformément à la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario), la CVMO a donné de l’information sur les répercussions du projet de Règlement 93-101 sur les participants au marché de l’Ontario (en particulier sur les entités assujetties au projet de Règlement 93-101). La CVMO ne s’attend pas à des coûts élevés pour les courtiers membres de l’OCRCVM et les institutions financières fédérales. Par contre, toujours selon la CVMO, 70 courtiers en dérivés n’entrent pas dans cette catégorie. Pour ces « autres courtiers en dérivés », la CVMO estime à 25 000 $ au maximum les coûts supplémentaires liés à l’application des changements proposés dans le projet de texte et à 29 000 $ annuellement pour s’y conformer par la suite.

Bien que la CVMO n’ait pas sollicité de commentaires sur son analyse, les entités assujetties au projet de Règlement 93-101 peuvent lui indiquer si elles sont d’avis que ses estimations sont erronées pour que ses estimations futures du fardeau réglementaire soient plus précises.

Conclusion 

On s’attend à ce que les modifications apportées à la deuxième version du projet de Règlement 93-101 soient généralement bien accueillies par les participants au marché (autant les entités réglementées que les entreprises qui ont recours à ces entités pour couvrir leur risque commercial). Les ACVM démontrent ainsi qu’elles sont prêtes à travailler avec les intervenants du marché, avec le mécanisme de consultation, pour élaborer des règlements qui protègent le public sans nuire indûment aux participants du marché. La troisième version du projet de texte est beaucoup plus près d’atteindre cet équilibre, mais il y a encore des progrès à faire.

Rappelons que les intéressés ont jusqu’au 21 mars 2022 pour soumettre leurs commentaires. Il est probable qu’avec le report d’un an de l’entrée en vigueur du Règlement, une version définitive soit publiée au quatrième trimestre de 2022 ou au premier de 2023, avec prise d’effet au plus tôt au quatrième trimestre de 2023 ou au premier de 2024.

Nous invitons les participants au marché à nous faire part de leurs questions et commentaires. Nous pouvons aussi aider ceux qui veulent soumettre des commentaires.

Par Shahen Mirakian et Patrick Pinho (stagiaire en droit)

[1] Le terme « client autorisé » désigne les contreparties aux dérivés qui se prévalent de la dispense accordée aux courtiers internationaux. Le terme « contrepartie qualifiée » désigne les contreparties auxquelles s’appliquent les dispenses prévues dans la Loi sur les instruments dérivés (Québec). Le terme « partie qualifiée » désigne les contreparties visées par les dispenses d’inscription et de prospectus en vertu des règlements ou ordonnances provinciales en matière de dérivés hors cote.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022

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