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La prochaine vague de sanctions extraterritoriales américaines concernant Cuba – Répercussions potentielles pour les entreprises canadiennes

Mai 2019 Bulletin de Commerce international Lecture de 6 min

Le 2 mai 2019, après 22 ans de reports semestriels par plusieurs présidents, les États-Unis ont finalement mis en vigueur les dispositions du titre III de la loi Helms-Burton[1]. La loi Helms-Burton élargit considérablement les sanctions économiques américaines contre Cuba. L’entrée en vigueur du titre III, qui est controversé, permet désormais à certains ressortissants des États-Unis d’intenter des poursuites devant la Cour fédérale des États-Unis contre des sociétés étrangères qui se livrent au « trafic » (traffic) (c.-à-d. qui retirent un avantage économique) de biens confisqués par le gouvernement cubain après la révolution cubaine.

Ces procédures sont ouvertes autant pour des réclamations certifiées (certified claims) (c.-à-d. des réclamations par des personnes ou des sociétés américaines qui étaient déjà des citoyens américains au moment où les biens ont été confisqués et qui ont présenté une demande au moment pertinent pour que leurs réclamations soient dûment « certifiées » par les autorités américaines compétentes) que pour des réclamations par des Cubains américains (Cuban American claims) (c.-à-d. des réclamations par des personnes qui n’était pas des citoyens américains au moment de la confiscation, mais qui ont été naturalisées américaines par la suite).

Étant donné la grande attention que les médias ont portée à ces dispositions, on peut s’attendre à ce qu’un grand nombre de réclamants qui pourraient tirer profit des dispositions du titre III entament des procédures sans tarder.

Opposition internationale à la loi Helms-Burton

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Mme Chrystia Freeland, et la commissaire européenne au Commerce, Mme Cecilia Malmström, ont émis une déclaration conjointe le 17 avril 2019 dans laquelle elles font part de leurs préoccupations concernant la décision du gouvernement des États-Unis de mettre en œuvre les dispositions du titre III. Toutes deux ont souligné l’existence de soi-disant « lois de blocage » qui protègent dans une certaine mesure les entreprises du Canada et de l’Union européenne en bloquant l’application ou la reconnaissance des jugements fondés sur les dispositions du titre III au Canada et dans l’Union européenne, en plus de les protéger contre d’autres aspects de la loi Helms-Burton[2].

Le régime de blocage canadien est prévu par la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères (la « LMEE »)[3]. Au Canada, la LMEE a principalement été utilisée par le passé pour bloquer les tentatives par les autorités américaines pour faire exécuter des sanctions limitant le commerce avec Cuba contre des sociétés étrangères affiliées à des sociétés américaines et des contreparties contractuelles de sociétés américaines[4]. Un arrêté du cabinet pris en vertu de la LMEE[5] oblige les entreprises canadiennes ainsi que leurs dirigeants et leurs administrateurs à informer le procureur général du Canada (le « Procureur général ») dans certaines circonstances dès qu’ils reçoivent des communications dans le domaine du commerce ou des échanges entre le Canada et Cuba. Ces entreprises canadiennes doivent également s’abstenir de respecter ces directives (et/ou de respecter directement les sanctions américaines).

Les multinationales auront beaucoup de difficulté à respecter à la fois les sanctions commerciales imposées par les États-Unis à l’égard de Cuba et le régime canadien de la LMEE, étant donné que les régimes prévoient des infractions criminelles potentiellement incompatibles qui sont susceptibles d’entraîner des situations de « double péril ». Elles devraient obtenir l’avis de conseillers juridiques dans les deux territoires avant de faire des communications ou de conclure des contrats dans de tels cas.

Mécanismes de blocage de la LMEE à l’égard des dispositions du titre III

Les mécanismes de blocage prévus par la LMEE à l’égard des dispositions du titre III sont un peu plus ciblés que les obligations de notification et interdictions générales contenues dans la LMEE. Le Canada a comme principe de base d’empêcher ou d’atténuer les conséquences juridiques des dispositions du titre III pour les Canadiens lorsque des réclamants américains tentent de recourir aux tribunaux canadiens pour obtenir des preuves pouvant être utilisées dans le cadre de leurs réclamations ou pour faire exécuter des jugements rendus par des tribunaux aux États-Unis.

Collecte de preuves

La LMEE permet au gouvernement du Canada d’interdire ou de soumettre à des restrictions la production de documents en la possession et/ou sous la responsabilité d’un citoyen canadien ou d’une personne résidant au Canada ou la communication d’éléments de preuve par un tel citoyen ou une telle personne dans le cadre d’un litige fondé sur la loi Helms-Burton. Le Procureur général peut prendre un arrêté à cet égard si la communication est susceptible de porter atteinte à des intérêts canadiens, dans le domaine du commerce ou des échanges internationaux, touchant une activité exercée, en tout ou en partie, au Canada[6]. Par conséquent, les entreprises canadiennes qui sont visées par des procédures fondées sur les dispositions du titre III aux États-Unis pourraient tenter d’obtenir l’aide du Procureur général pour bloquer la production d’éléments de preuve se trouvant au Canada à la suite d’un interrogatoire préalable mené dans le cadre de poursuites judiciaires introduites aux États-Unis.

De plus, les tribunaux canadiens peuvent décerner des mandats autorisant la saisie de documents se trouvant au Canada afin d’empêcher que ceux-ci puissent être utilisés dans le cadre d’instances à l’étranger. Le Procureur général doit convaincre le tribunal canadien qu’un arrêté pris relativement à la production de documents ou à la communication de renseignements ne sera vraisemblablement pas exécuté, ce qui présente un risque pour les intérêts commerciaux canadiens. Les documents saisis dans le cadre d’un tel mandat doivent être remis au tribunal ou à la personne que celui-ci désigne pour en assurer la garde.

Exécution de jugements étrangers et recouvrement de dommages

Aux termes de la LMEE, il est également interdit aux tribunaux canadiens de reconnaître ou d’exécuter tout jugement rendu par les tribunaux des États-Unis en vertu de la loi Helms-Burton[7].

Ces mesures de protection axées sur le Canada seront considérablement moins efficaces si la société canadienne exerce également des activités aux États-Unis ou est propriétaire d’actifs qui y sont situés. Dans de tels cas, il sera important de vérifier si certaines limitations peuvent être invoquées en vertu des lois américaines. Par exemple, il se pourrait, dans certains cas, que la Cour fédérale des États-Unis n’ait pas la compétence requise à l’égard de la partie défenderesse. De plus, il existe certaines exceptions prévues par la loi à l’application du titre III, notamment dans les industries du voyage et des télécommunications.

La LMEE prévoit également que les Canadiens qui font l’objet d’un litige fondé sur les dispositions du titre III peuvent recourir aux tribunaux canadiens pour recouvrer les dommages-intérêts qu’ils ont été contraints de payer aux États-Unis. Un citoyen canadien ou une personne résidant au Canada, ou une société canadienne ou une personne exerçant des activités au Canada, peut demander au Procureur général de prendre un arrêté à l’égard d’un jugement rendu ou pouvant être rendu en vertu des dispositions du titre III aux États-Unis. Une partie défenderesse canadienne dans le cadre d’une instance introduite aux États-Unis pourrait ainsi devenir une partie demanderesse devant les tribunaux canadiens et recouvrer les dommages-intérêts qu’elle a été tenue de verser en exécution du jugement rendu contre elle aux États-Unis ou, si aucun jugement définitif n’a encore été prononcé, recouvrer les frais qu’elle a engagés pour faire face aux procédures intentées aux États-Unis.

Le tribunal canadien qui accorde le recouvrement de ces dommages-intérêt à une partie défenderesse canadienne peut ordonner la saisie et la vente des biens dont la partie demanderesse américaine a, directement ou indirectement, la propriété effective. Ces saisies peuvent viser les actions de toute société canadienne dont la partie demanderesse américaine a la propriété effective, que les certificats représentatifs de celles-ci se trouvent ou non au Canada.

Compte tenu de l’entrée en vigueur des dispositions du titre III, il est recommandé aux entreprises canadiennes exerçant des activités à Cuba d’obtenir une évaluation à jour de toute exposition potentielle aux sanctions commerciales américaines et des mécanismes de protection qu’elles pourraient exercer.

par Neil Campbell, Éric Vallières et Lisa Page

[1] La loi intitulée Cuban Liberty and Democratic Solidarity (LIBERTAD) Act of 1996, USC title 22 §§ 6021-6091, également appelée la « loi Helms-Burton ».
[2] Le régime de blocage de l’Union européenne est contenu dans le Règlement du Conseil no 2271/96. Des mécanismes de blocage ont également été introduits en réaction à la loi Helms-Burton en 1996 par le Royaume-Uni en vertu de la loi intitulée Protection of Trading Interests Act, 1980 et par le Mexique en vertu d’une loi sur la protection du commerce et des investissements contre les politiques étrangères qui contreviennent au droit international.
[3] L.R.C 1985, ch. F-29.
[4] En 2015, la LMEE a également été utilisée pour bloquer une tentative extraterritoriale par le gouvernement de l’Alaska visant à forcer une entreprise américaine qui avait conclu un contrat en vue du réaménagement d’un terminal de traversier à Prince Rupert, en Colombie-Britannique, à acheter des matériaux de fer et d’acier uniquement auprès de fournisseurs américains.
[5] Arrêté de 1992 sur les mesures extraterritoriales étrangères (États-Unis), modification, DORS/96-84.
[6] Le Procureur général peut également prendre un arrêté de blocage s’il estime que l’application d’une loi commerciale étrangère empiète sur la souveraineté ou des attributions du Canada.
[7] Le Procureur général peut également déclarer qu’un jugement rendu par un tribunal étranger dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime d’une loi antitrust ne sera pas reconnu ni exécuté au Canada, ou il peut ramener la somme allouée dans le cadre de ce jugement à un montant fixé dans un arrêté (par exemple, en invalidant les dommages-intérêts triples qui sont prévus par les lois antitrust américaines).

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2019

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