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L’arrêt qui a ouvert le bal : le droit d’auteur dans les œuvres architecturales gagne du terrain au Canada

Janvier 2018 Bulletin de propriété intellectuelle Lecture de 7 min

Les demandeurs réussissent rarement à faire valoir une violation de leur droit d’auteur dans une œuvre architecturale et, lorsqu’ils y parviennent, à obtenir des dommages‑intérêts importants. Cependant, dans l’affaire Lainco inc. c. Commission scolaire des Bois-Francs[1], la Cour fédérale a condamné une commission scolaire, sa firme d’architectes, sa firme d’ingénierie et son entrepreneur général à payer un quantum de dommages sans précédent (722 996 $) pour avoir copié les plans et la structure d’un stade de soccer voisin. La Cour a jugé que la structure d’un bâtiment qui résulte d’un simple arrangement d’éléments peut être protégée par le droit d’auteur, même si l’auteur ne possède pas de droit d’auteur sur les divers éléments qui la composent, pris individuellement. Cette décision pourrait annoncer un changement important dans le domaine peu actif du droit d’auteur dans des œuvres architecturales.

Pour vous aider à comprendre les éléments clés de l’affaire Lainco, nous rappellerons d’abord l’évolution du droit d’auteur canadien relatif aux œuvres architecturales. Nous avons aussi préparé un bulletin connexe intitulé « Ce que vous devez savoir sur le droit d’auteur dans les immeubles, sous peine d’en payer le prix », dans lequel nous formulons des recommandations sur les mesures proactives que peuvent prendre les intervenants du secteur du bâtiment pour éviter de violer la propriété intellectuelle de tiers ou, à l’inverse, pour mettre en place des mesures de sécurité visant à protéger leurs actifs de propriété intellectuelle de valeur.

Historique de la protection du droit d’auteur dans les œuvres architecturales au Canada

Fondamentalement, le droit d’auteur est le droit d’un auteur de faire des copies de son œuvre originale. L’auteur d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est habilité à accorder des licences d’utilisation sur son œuvre ou à intenter des poursuites pour utilisation non autorisée. L’originalité étant la clé de voûte du droit d’auteur, on ne peut établir un droit sans faire la preuve de l’originalité de l’œuvre et de la fixation de l’idée originale.

La définition d’œuvre architecturale comprend tout bâtiment ou édifice ou tout modèle ou maquette de bâtiment ou d’édifice[2]. La définition d’« œuvre artistique » comprend non seulement les œuvres architecturales, mais également les plans et les dessins préparés par l’architecte et utilisés pour la construction du bâtiment ou de l’édifice. Pour qu’une œuvre architecturale soit originale, il n’est pas nécessaire que ses éléments soient nouveaux, mais que la manière dont ces éléments sont agencés pour la création du modèle soit le produit de talent et de jugement. Habituellement, l’architecte, et non le constructeur, est le premier titulaire du droit d’auteur puisque le droit d’auteur appartient à la personne qui crée les dessins à partir desquels est créé l’objet tridimensionnel[3].

Avant 1988, la définition d’« œuvre architecturale » dans la Loi sur le droit d’auteur requérait que l’œuvre possède un « caractère ou aspect artistique » identifiable pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur. Qui plus est, il était expressément prévu que la protection des œuvres d’art architecturales ne s’étendait pas aux procédés ou aux méthodes de construction (qui relevaient des brevets). Depuis les modifications de 1988, il n’est plus nécessaire de faire la preuve d’un caractère artistique ou d’une conception artistique. Toutefois, malgré cet allègement du fardeau de la preuve, seuls quelques cas de contrefaçon se sont retrouvés devant les tribunaux, et les dommages octroyés ont souvent été bien inférieurs aux montants demandés.

L’affaire Lainco : le juge Leblanc pourrait avoir lancé une nouvelle tendance

C’est alors que l’affaire Lainco vient bouleverser cet état de choses. En l’espèce, le demandeur, Lainco inc., alléguait avoir un droit d’auteur dans la conception, la fabrication et l’installation d’un stade de soccer intérieur. La Cour a conclu que les défendeurs, une commission scolaire, sa firme d’architectes, sa firme d’ingénierie et son entrepreneur général avaient enfreint le droit d’auteur du demandeur en copiant la conception de la structure elle‑même, en supervisant la construction du complexe et en autorisant les travaux. Il convient de remarquer que Lainco avait averti les défendeurs avant la construction du bâtiment de la violation potentielle du droit d’auteur et avait offert de conclure un contrat de licence, mais que les défendeurs ont refusé l’offre et poursuivi leurs activités, ce qui a conduit à l’action.

Les principaux points soulevés par le juge Leblanc dans cette décision de 150 pages sont les suivants :

  1. Le droit d’auteur exige l’établissement d’un équilibre entre la protection de l’œuvre visée par le droit d’auteur et la libre circulation des idées dans le domaine public. Il est essentiel que tous puissent s’inspirer du domaine public sans violer automatiquement le droit d’auteur.
  2. Le droit d’auteur n’existe que dans les œuvres originales. L’originalité n’étant pas définie par la Loi sur le droit d’auteur, elle relève de la discrétion judiciaire. La Cour suprême du Canada dans CCH Canadian Ltée c. Barreau du Haut-Canada[4] a clairement indiqué que l’œuvre doit être plus que le résultat d’une entreprise « purement mécanique » et qu’il est crucial que la preuve soit faite de l’exercice d’un talent, d’un savoir-faire, la mise en œuvre de connaissances et l’application d’une expérience pratique qui permet à l’auteur d’évaluer ou de comparer diverses possibilités pour faire un choix.
  3. Les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur en 1988 ayant supprimé l’exigence d’un caractère artistique des œuvres architecturales, les tribunaux devraient désormais être plus enclins à reconnaître des droits d’auteur dans ce domaine.
  4. Selon les faits dont la Cour était saisie (notamment la preuve d’une visite sur place et de la prise de photographies au stade de soccer de Lainco), même si le bâtiment était le résultat d’éléments structuraux bien connus (comme les poutres secondaires de type Gerber, les fermes maîtresses triangulées, les contreventements en croix de Saint-André et les colonnes d’acier en périphérie du bâtiment), c’est en réalité l’agencement de ces éléments en une structure capable de répondre aux besoins complexes des usagers qui rendait l’œuvre « originale ». L’apport intellectuel au produit n’était pas purement mécanique, car on devait user de discernement et de jugement pour le rendre attrayant visuellement et économique.
  5. Si, comme c’était le cas dans CCH, l’agencement de décisions judiciaires dans un recueil passe le test de l’originalité aux fins de la Loi sur le droit d’auteur, on voit mal comment l’agencement d’éléments structuraux pour créer une œuvre architecturale ne passerait pas ce test, même dans l’hypothèse où les éléments retenus et agencés n’ont pas de valeur artistique particulière, sont banals ou donnent un résultat qu’on pourrait juger sans grande valeur esthétique ou contraire au goût du jour. De plus, bien que les caractéristiques utilitaires d’une œuvre protégée ne puissent généralement pas faire l’objet d’un recours en violation du droit d’auteur (conformément à l’alinéa 64.1(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur), cette exception ne s’applique pas aux œuvres architecturales, qui incorporent toujours des exigences structurales de base (soit la sécurité, la performance et la durabilité). Sans cela, peu d’œuvres architecturales, en particulier s’agissant des structures de bâtiment, pourraient bénéficier de la protection du droit d’auteur.
  6. Ayant conclu que le droit d’auteur avait été violé, la Cour s’est penchée sur l’attribution de la responsabilité aux défendeurs. Le juge Leblanc a conclu que tous les défendeurs étaient responsables, soit d’avoir directement reproduit une partie importante du complexe ou ses plans de construction, soit simplement d’avoir approuvé la construction du bâtiment. Fait à noter, la Cour souligne que l’absence d’intention quant à la violation d’un droit d’auteur n’est pas une défense.
  7. La Cour a également conclu que bien que la firme d’architectes ait allégué avoir participé de manière limitée au projet, elle était néanmoins responsable. La firme d’architectes n’a pu s’absoudre de sa responsabilité malgré sa participation limitée au projet puisque la Cour a jugé qu’elle était la seule des défendeurs à pouvoir comprendre, organiser et coordonner toutes les activités nécessaires à la réalisation du projet, y compris l’érection du bâtiment et l’administration du chantier. Par conséquent, même en l’absence d’une contribution directe, son rôle de coordinateur suffisait à engager sa responsabilité.
  8. Abordant la question des dommages‑intérêts, en application du paragraphe 35(1) de la Loi sur le droit d’auteur, le juge Leblanc a accordé à Lainco près de sept cent cinquante mille dollars pour violation du droit d’auteur. Étonnamment, Lainco demandait des dommages correspondant aux profits qu’elle aurait touchés si ses services avaient été retenus pour créer et ériger la structure (déduction faite des profits générés par les autres projets qu’elle a été en mesure de réaliser pendant cette période). Elle réclamait également 50 000 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires (réclamation qui n’a pas été accueillie). Pour en arriver au montant accordé, la Cour a remarqué que l’objectif de la restitution des profits dans ce contexte n’était pas d’indemniser le demandeur, mais plutôt d’empêcher l’enrichissement injustifié des défendeurs.

Derniers commentaires

Cette affaire est remarquable à trois égards :

Tout d’abord, la Cour fédérale est de plus en plus encline à accorder la protection du droit d’auteur aux structures de bâtiment, ce qui signifie que les intervenants du milieu devront réviser leurs ententes afin de mieux comprendre à qui appartient le droit d’auteur et quelles restrictions existent sur le droit d’auteur, et ils devraient envisager d’élaborer un système de gestion du droit d’auteur (pour des conseils, cliquez ici).

Deuxièmement, cette décision d’un juge de la Cour fédérale au Québec, qui cite beaucoup la jurisprudence québécoise, montre que le contexte judiciaire canadien requiert une bonne compréhension des tendances géographiques, même pour des affaires instruites devant les tribunaux fédéraux.

Enfin, cette décision illustre le fait que même si les modifications apportées aux dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relatives aux œuvres architecturales remontent à 1988, ce n’est qu’au cours de ces dernières années que l’on observe un mouvement vers une plus grande protection. On doit donc tenir à jour ses connaissances sur la jurisprudence actuelle, plutôt que se fonder uniquement sur les pratiques passées et les précédents qui ont fait leurs preuves.

Petite précision, une école de pensée suggère qu’il existe une différence dans la manière dont les avocats de common law et les avocats de droit civil envisagent les fondements mêmes du droit d’auteur, différence peut-être reflétée dans les versions française et anglaise du titre de la Loi sur le droit d’auteur. Alors qu’en anglais son titre, Copyright Act, renvoie au droit de contrôler la création de copies, en français, son titre Loi sur le droit d’auteur met l’accent sur les droits de l’auteur. Il ressort en filigrane du raisonnement du juge Leblanc que la manière dont les défendeurs ont copié la conception de la structure constituait une atteinte aux droits de Lainco en qualité de titulaire du droit d’auteur.

par Christie Bates

[1] Lainco inc. c. Commission scolaire des Bois-Francs, 2017 CF 825.
[2] Loi sur le droit d’auteur, L.R.C., 1985, ch. C-42, art.2.
[3] Hay v. Sloan, [1957] O.W.N. 445, au para. 7; Meikle v. Maufe, [1941] 3 All E.R. 144 à 148.
[4] CCH Canadian Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] RCS 339.

Mise en garde

Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2018

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