Le Bureau de la concurrence sollicite des commentaires sur les modifications apportées aux Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents
Le Bureau de la concurrence sollicite des commentaires sur les modifications apportées aux Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents
Le 27 juillet 2020, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié un projet de révision (« projet de révision »)[1] des Lignes directrices sur la collaboration avec les concurrents (« Lignes directrices ») et invite le public à formuler des commentaires dans le cadre d’une consultation. Les Lignes directrices énoncent l’approche du Bureau en matière d’exécution à l’égard de la collaboration entre concurrents en vertu des dispositions relatives aux cartels criminels et aux accords civils de la Loi sur la concurrence (la « Loi »). Elles ont été mises à jour pour la dernière fois en 2009 après l’adoption d’importantes modifications à la Loi au cours de la même année. Le projet de révision tient compte de l’évolution de l’application du droit de la concurrence et de l’expérience du Bureau au cours de la dernière décennie.
Changements touchant les fusions
Les fusions et les acquisitions sont au cœur d’un changement particulièrement important dans le projet de révision. Le Bureau traite déjà de telles transactions conformément aux dispositions relatives aux avis de fusion et à l’examen des fusions de la Loi, qui portent sur la question de savoir si une transaction entraînera ou est susceptible d’entraîner une réduction sensible de la concurrence dans un marché pertinent. Lorsque le Bureau entretient des préoccupations au sujet des effets probables d’une transaction sur la concurrence, il peut demander que des mesures correctrices soient apportées pour remédier à la diminution de la concurrence. Le projet de révision apporte une mise en garde dans les Lignes directrices contre les risques potentiels d’atteintes aux lois antitrust dans la conduite des fusions et acquisitions.
Le projet de révision stipule que lorsque les parties à la fusion concluent un accord qui va au-delà de l’accord d’acquisition, de fusion ou d’association d’intérêts, le Bureau peut déterminer s’il doit enquêter ou entreprendre une enquête en vertu d’autres dispositions de la Loi, notamment l’article 45 (dispositions relatives aux cartels criminels) et l’article 90.1 (dispositions relatives à l’accord civil). Pour en arriver à une telle décision, le projet de révision prévoit que le Bureau peut d’abord recueillir des renseignements dans l’exercice de ses pouvoirs d’enquête officiels, notamment en obtenant une ordonnance d’un tribunal pour obliger les parties ou les personnes à produire des documents, répondre à des questions ou assister à un interrogatoire oral sous serment et obtenir des mandats de perquisition pour saisir des documents et d’autres éléments de preuve.
Ces changements s’inscrivent dans la foulée de l’expérience du Bureau avec la transaction Torstar/Postmedia de 2017, qui a comporté un échange d’actifs entre plusieurs journaux locaux. Une fois la transaction réalisée, les deux parties ont mis la clé sous la porte de tous les journaux qui faisaient partie de la transaction, à l’exception de cinq d’entre eux. Le Bureau a d’abord enquêté sur cette transaction en vertu des dispositions relatives aux cartels criminels et des dispositions relatives aux fusions[2], pour ensuite annoncer qu’il ne poursuivait que l’enquête criminelle[3]. Au cours de son enquête, le Bureau a obtenu des mandats pour perquisitionner les bureaux de Torstar et de Postmedia et des ordonnances du tribunal pour interroger des employés sous serment[4].
Changements touchant les accords de non‑concurrence liés aux fusions
La « défense des restrictions accessoires » dont il est fait état au paragraphe 45(4) de la Loi prévoit une défense dans le cas des accords qui pourraient autrement contrevenir aux dispositions relatives aux cartels criminels lorsque (i) l’accord est accessoire à un accord plus large ou distinct entre les mêmes parties et est directement lié à l’objectif de ce dernier et raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet objectif; (ii) l’accord plus large ou distinct, en tant que tel, ne contrevient pas aux dispositions en matière criminelle de la Loi.
De façon générale, le Bureau évalue certains accords accessoires liés aux fusions qui peuvent restreindre la concurrence en vertu des dispositions en matière civile de la Loi, notamment les dispositions en matière de non‑concurrence relatives à la vente d’une entreprise et les accords d’interdiction d’apporter des changements importants à une entreprise avant l’achèvement d’une fusion. Le Bureau reconnaît que ce type d’accord convenu dans le cadre de fusions constitue généralement une restriction accessoire légitime, étant donné qu’il répond à des considérations généralement légitimes, à savoir notamment de faire en sorte que l’acquéreur se rende compte de la valeur totale d’une entreprise acquise en n’ayant pas à concurrencer le vendeur pour s’assurer de la fidélité de la clientèle et que le vendeur n’altérera ni ne compromettra l’entreprise cible avant la réalisation de la transaction.
Le projet de révision ne propose aucun changement aux Lignes directrices en ce qui concerne la conduite préalable à la fusion, mais prévoit un changement d’approche en ce qui concerne les dispositions relatives à la non‑concurrence qui s’appliquent à la conduite des parties après la fusion. Tout en réitérant l’approche générale du Bureau visant à examiner les accords de non‑concurrence conclus dans le cadre de fusions en vertu des dispositions en matière civile de la Loi, le projet de révision laisse entendre pour la première fois qu’il peut exister de rares cas où de tels accords de non‑concurrence peuvent être examinés en vertu des dispositions relatives aux cartels criminels, où elles peuvent constituer un accord de partage des marchés. Ce changement témoigne d’une volonté accrue de la part du Bureau d’examiner les accords ou les accords non solennels entre les parties à une fusion qui sont accessoires à la fusion.
Les parties à la fusion sont régulièrement confrontées à des risques de concurrence pendant la négociation et la mise en œuvre de la fusion. Le projet de révision met l’accent sur un changement d’orientation, à savoir des dispositions en matière civile vers les dispositions en matière criminelle, en ce qui concerne les tentatives de partage de marchés.
Importance accrue accordée aux documents des parties utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise
L’importance accrue que le Bureau attachera, dans le cadre de son enquête, à l’obtention et à l’examen des documents des parties utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise constitue l’un des thèmes récurrents de plusieurs des modifications apportées au projet de révision.
La Loi prévoit que le Bureau ne peut entreprendre de procédure à l’égard d’une affaire en vertu des dispositions en matière criminelle de la Loi s’il a déjà entamé des procédures en vertu des dispositions en matière civile à l’égard de la même affaire, et vice versa. Bien que la version actuelle des Lignes directrices énonce les facteurs dont le Bureau tiendra compte au moment de décider s’il y a lieu de poursuivre une affaire au criminel ou au civil, le projet de révision précise que le Bureau peut d’abord poursuivre les deux voies de l’enquête en parallèle jusqu’à ce qu’il dispose de suffisamment d’information pour décider quelle voie est la plus appropriée. Le projet de révision précise en outre qu’en plus de s’appuyer sur des éléments de preuve déjà en sa possession pour prendre cette décision, le Bureau peut chercher à obtenir des renseignements et des dossiers supplémentaires, ce qui peut faire intervenir le recours à ses pouvoirs d’enquête officiels en plus des demandes volontaires de renseignements présentées aux parties.
Les dispositions en matière criminelle relatives aux cartels et les dispositions en matière civile de la Loi visent toutes deux les accords entre « concurrents ». Le projet de révision prévoit que le Bureau peut chercher à obtenir des documents des parties utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise pour tenter de déterminer si elles se livrent effectivement concurrence. Ces documents peuvent être constitués de plans d’affaires et stratégiques utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise, de plans de marketing et de communication avec des clients potentiels et de preuves de la concurrence effective entre clients similaires dans les régions voisines ou pour des produits similaires, et tout autre dossier utilisé dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise qui tient compte des personnes que les parties perçoivent comme étant leurs concurrents et de la mesure dans laquelle les parties, mutuellement, surveillent leur comportement concurrentiel ou y réagissent.
En ce qui concerne les enquêtes sur les accords de concurrents en vertu des dispositions en matière civile, les parties peuvent chercher à se prévaloir de l’exception relative à l’efficience, en vertu de laquelle un accord autrement anti‑concurrentiel peut être justifié et sauvegardé si les parties peuvent établir qu’il générera ou est susceptible de générer des gains d’efficience qui compensent ou dépassent les effets anticoncurrentiels probables de l’accord. Bien que la version actuelle des Lignes directrices stipule que de telles allégations d’efficience « devraient » être appuyées par des documents utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise « dans la mesure du possible », la version provisoire de la révision exige que les allégations d’efficience « soient » appuyées par des documents utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise.
Compte tenu de l’importance accrue accordée aux documents utilisés dans le cours normal de l’exploitation d’une entreprise, les parties devraient être plus conscientes des types de documents qu’elles créent dans le cours normal de leurs activités et du libellé qu’elles utilisent dans ces documents.
Autres modifications
Le projet de révision propose également plusieurs autres changements importants, notamment les suivants.
Fixation des prix algorithmique
Le projet de révision fait spécifiquement référence à l’« algorithme de fixation des prix » comme moyen par lequel on peut trouver des entreprises qui se livrent à un complot visant à fixer les prix. Cela fait suite aux progrès technologiques en matière d’intelligence artificielle au cours de la dernière décennie et au fit que le département de la Justice des États-Unis a eu gain de cause dans une poursuite en 2015 pour une affaire de complot de fixation de prix algorithmique[5].
Accords entre affiliées
Les accords entre sociétés affiliées sont exemptés des dispositions en matière criminelle relatives aux cartels et des dispositions en matière civile de la Loi. La définition d’« affiliée » dans la Loi a été modifiée en 2018 pour inclure les entités non constituées en société sous contrôle commun, alors qu’elle visait auparavant principalement les entités constituées en société seulement. Le projet de révision met à jour le libellé concernant l’exemption pour les accords entre affiliées afin de refléter le changement de la définition d’« affiliée ».
Accords d’achat conjoint
Le projet de révision précise clairement que les accords d’achat conjoint ne sont pas en soi interdits par les dispositions relatives aux cartels criminels de la Loi, à moins que l’accord ne vise à contrôler ou à fixer les prix (ou la production ou l’attribution de marchés) pour l’approvisionnement du produit. Les accords d’achat conjoint qui ne visent pas cet objectif peuvent toujours être examinés en vertu des dispositions relatives aux accords civils de la Loi.
Accords de développement conjoint
La version actuelle des Lignes directrices stipule qu’aux fins des dispositions relatives aux accords civils de la Loi, le Bureau ne considérera pas les parties à un accord de collaboration comme étant des concurrents à l’égard des activités visées par la collaboration si les parties ne sont pas en mesure de mener ces activités de façon indépendante (comme l’élaboration d’un produit précis, la réalisation d’un projet précis, etc.). Si les parties sont susceptibles de mener ces activités de façon indépendante, le Bureau peut procéder à un examen plus approfondi pour déterminer si la collaboration soulève des préoccupations en vertu des dispositions en matière civile de la Loi. Le projet de révision propose de supprimer toutes les références à cette approche par le Bureau. La justification de ce changement par le Bureau ou son incidence pratique sur l’approche d’application par le Bureau ne sont pas claires.
Nouvel article sur les recours civils
Le projet de révision présente une nouvelle section sur les recours relativement aux enquêtes civiles sur les accords concurrents, où l’on mentionne que le Bureau examinera les recours possibles au début de toute enquête afin de déterminer la nature, la portée et les moyens par lesquels un recours peut être mis en œuvre. Le projet de révision prévoit que le Bureau peut chercher à remédier à la conduite contestée par une résolution consensuelle avec les parties ou, si le Bureau est d’avis que l’affaire ne peut être réglée de façon consensuelle ou qu’une réparation consensuelle ne convient pas, le Bureau peut demander une ordonnance remédiatrice au Tribunal de la concurrence. Lorsque l’affaire peut être réglée de façon consensuelle, le Bureau exigera que la réparation soit officialisée dans un consentement enregistré auprès du tribunal, qui aura la même force et le même effet qu’une ordonnance du Tribunal.
Consultation publique
La consultation publique du Bureau sur le projet de révision se tient jusqu’au 28 septembre 2020. Ceux qui souhaitent y participer ou en apprendre davantage sur le projet de révision et ses répercussions sont priés de communiquer avec les avocats de la concurrence de McMillan.
par William Wu, François Tougas, Isabelle Guevara (stagiaire) et Kristen Shaw (stagiaire)
[1] Bureau de la concurrence du Canada, Lignes directrices, version préliminaire pour consultations publiques, « Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents » (29 juillet 2020), Gouvernement du Canada.
[2] Bureau de la concurrence du Canada, « Déclaration du commissaire de la concurrence à propos de perquisitions dans la région du Grand Toronto », (12 mars 2018).
[3] Susan Krashinsky Robertson, « Watchdog to question Torstar staff as it narrows scope of Postmedia deal probe », (4 décembre 2018), The Globe and Mail; Sean Stephenson, « Des nouvelles de l’enquête Torstar-Postmedia », (29 novembre 2019), L’Association du Barreau canadien.
[4] Bureau de la concurrence Canada, Communiqué, « Le Bureau de la concurrence obtient une ordonnance des tribunaux pour faire avancer son enquête en cours sur Postmedia et Torstar , (4 décembre 2018), Gouvernement du Canada.
[5] United States v. Topkins, n° 3:15-cr-00201-WHO (N.D. Cal., 30 avril 2015).
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété en tant que conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020
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