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Le Canada élargit les sanctions à l’encontre de la Russie et propose d’importantes modifications législatives à son régime de sanctions

1er juin 2022 Bulletin sur le commerce international Lecture de 6 min

Le présent document se veut un survol des deux dernières rondes de sanctions canadiennes à l’encontre de la Russie ainsi que des modifications qui renforceraient considérablement le régime de sanctions du pays.

Sanctions restreignant le commerce avec la Russie

Le 18 mai 2022, le Canada a modifié son Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie (le « Règlement »)[1] de manière à restreindre davantage les exportations et les importations en[2] :

  • interdisant l’exportation vers la Russie de diverses marchandises de luxe, dont les boissons alcoolisées, le tabac, certains tissus et vêtements de sport, les chaussures, les vêtements et accessoires de luxe, les bijoux, la vaisselle et les œuvres d’art[3];
  • interdisant l’importation de la Russie de boissons alcoolisées, de fruits de mer, de poissons et de diamants non industriels[4];
  • interdisant l’exportation vers la Russie d’un large éventail de biens qui pourraient servir aux forces armées russes (p. ex., véhicules à moteur, tracteurs, chars) ainsi que de divers autres produits (p. ex., drones, mélangeurs à béton ou à mortier, thermostats, appareils à rayons X, fournitures médicales)[5].

Les nouvelles restrictions sur les importations et les exportations, qui commenceront à être imposées 60 jours après leur entrée en vigueur, s’appliqueront à des flux commerciaux substantiels; en 2021, on estimait la valeur des marchandises de luxe visées à 75,7 millions de dollars[6]. À noter que les restrictions en question sont en phase avec des interdictions similaires annoncées par les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni[7]. Bien que la concertation des États augmente l’impact des restrictions commerciales ciblées, la Russie pourra néanmoins continuer d’exporter et d’importer les produits visés dans le cadre de ses relations avec ses partenaires commerciaux en Asie et ailleurs dans le monde.

Sanctions à l’encontre d’individus russes 

Le 18 mai, 14 noms ont aussi été ajoutés à la liste des individus visés par des sanctions, dont des oligarques russes, des membres de leur famille et de proches collaborateurs du régime Poutine.

Le 27 mai 2022, le Canada a intégré à la liste 22 autres individus qui sont des cadres supérieurs d’institutions financières (ou des membres de leur famille) ainsi que 4 institutions financières[8].

Ces changements sont les plus récents d’une série de sanctions remontant à l’occupation russe de la Crimée, en 2014 (voir nos bulletins de 2022 ici, ici et ici). Le pays sanctionne désormais plus de 1 000 personnes physiques et morales russes, ukrainiennes et biélorusses. Les Canadiennes et les Canadiens se trouvant partout dans le monde (et les autres personnes au Canada) doivent se conformer aux interdictions de transactions et aux obligations de déclaration applicables à une liste déjà longue qui pourrait s’allonger.

Projet d’élargissement du régime de sanctions du Canada

Le projet de loi C-19 (la « Loi d’exécution du budget de 2022 ») comporte des modifications importantes au principal texte législatif canadien régissant les sanctions économiques, soit la Loi sur les mesures économiques spéciales[9], ainsi qu’à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski)[10].

Nouveaux pouvoirs de saisie de biens

Les pouvoirs de saisie de biens du Canada seraient élargis par les ajouts suivants :

  • Une définition élargie du terme « bien », qui engloberait les biens de toute nature, meubles ou immeubles, réels ou personnels, corporels ou incorporels, tangibles ou intangibles, notamment de l’argent, des fonds, de la monnaie, des actifs numériques et de la monnaie virtuelle.
  • Le pouvoir de saisir ou de « bloquer » des biens appartenant à certaines personnes ou détenus ou contrôlés « directement ou indirectement » par elles, en leur propre nom ou pour le compte de quelqu’un d’autre.
  • L’octroi au ministre de pouvoirs d’application qui lui permettraient, entre autres, de communiquer des renseignements et de forcer des communications. Autrement dit, le ministre pourrait échanger des renseignements avec plusieurs organismes étatiques (dont le Service canadien du renseignement de sécurité, la GRC [la police nationale du Canada] et l’Agence des services frontaliers du Canada). Quant à la GRC, elle aurait une nouvelle fonction : assister le ministre relativement à une ordonnance de confiscation, à la saisie de biens et au blocage de biens.
  • L’octroi au ministre du pouvoir de demander à la Cour de confisquer les biens saisis et une obligation pour la ou le juge d’ordonner la saisie de biens satisfaisant à certains critères.

La définition proposée du terme « bien » englobe expressément les actifs tangibles ou intangibles, les actifs numériques et les monnaies virtuelles, ce qui signifie que ces biens sont visés par le régime de sanctions du Canada et peuvent donc être saisis[11]. Qui plus est, l’inclusion des biens contrôlés directement ou indirectement par certaines personnes peut se traduire par des interdictions – et des pouvoirs du Canada – beaucoup plus larges que si l’on ne s’intéresse qu’aux biens « détenus » directement par ces personnes. Conjuguées à la bonification des outils d’application de la loi, ces modifications semblent indiquer que le gouvernement fédéral cherche à donner à ses sanctions plus de mordant, à en accroître l’efficacité.

Autres modifications importantes

Les modifications prévoient également, en ce qui concerne l’aliénation des biens saisis, la délivrance de permis d’application générale et les recours à la disposition des personnes dont les biens ont été saisis, les ajouts suivants :

  • Une exigence voulant que le produit de l’aliénation des biens saisis puisse être destiné seulement i) à la reconstruction d’un État étranger lésé par une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales; ii) au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ou iii) à l’indemnisation des victimes d’une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, de violations graves et systématiques des droits de la personne ou d’actes de corruption à grande échelle.
  • Un nouveau pouvoir qui permet au ministre de conclure avec un gouvernement étranger un accord concernant l’utilisation des sommes pouvant être prélevées sur le compte des biens saisis.
  • L’ajout à la liste des frais recouvrables par le Canada des frais d’aliénation de biens confisqués, en plus des coûts engagés relativement à la saisie ou au blocage des biens.
  • Une clarification du pouvoir qu’a le ministre de délivrer un « permis d’application générale » autorisant toute personne se trouvant au Canada ou tout Canadien se trouvant à l’étranger à réaliser une activité ou une catégorie d’activités ou à procéder à une opération ou à une catégorie d’opérations par ailleurs restreinte ou interdite par la Loi.
  • La possibilité pour les personnes dont les biens sont saisis ou bloqués en vertu d’un décret de demander la levée de ce dernier.

En veillant à ce que le produit de l’aliénation de biens confisqués serve à reconstruire les États étrangers et à indemniser les victimes, le Canada améliorerait son régime de sanctions, qui ne serait alors plus simplement limité à des interdictions et à des mesures punitives. Le pouvoir conféré au ministre de conclure avec des États étrangers des accords à ces fins faciliterait la concrétisation des démarches en ce sens.

Le pouvoir de délivrer des permis d’application pourrait lui aussi être d’une grande utilité. C’est un pouvoir que l’OFAC, aux États-Unis, utilise pour améliorer la clarté et l’administration de sanctions complexes. Grâce à un recours plus fréquent à des permis d’application générale, Affaires mondiales Canada pourrait traiter avec efficacité et transparence et sans discrimination les cas où une exception s’impose.

Modifications parallèles à la loi canadienne de Sergueï Magnitski 

La Loi d’exécution du budget de 2022 comporte aussi des modifications largement parallèles à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus. La principale différence tient au fait que, comme le veulent les fins ciblées des lois de Sergueï Magnitski, le produit des biens confisqués ne pourra servir qu’à indemniser les victimes, et non pas à financer la reconstruction d’un État étranger ou le rétablissement de la paix et de la sécurité.

Importance des modifications envisagées 

Les modifications proposées dans la Loi d’exécution du budget de 2022 ont trois grandes implications :

  • Elles élargissent les types de biens et de liens avec des personnes désignées qui sont associés à des interdictions et à des saisies. La référence à des biens tangibles ou intangibles appartenant à une personne visée par des sanctions ou détenus ou contrôlés – directement ou indirectement – par elle est très large; les Canadiennes et Canadiens susceptibles d’entrer en possession de biens de cette nature ou d’en faire le commerce devront se doter de programmes de conformité particulièrement rigoureux.
  • Elles renforcent les instruments et mécanismes d’application, notamment par l’échange de renseignements entre les organismes étatiques au pays et à l’étranger et par le rôle de la GRC dans la saisie de biens.
  • Elles témoignent d’une volonté manifeste de favoriser la reconstruction et l’indemnisation et de l’importance qu’attache le gouvernement aux objectifs politiques et économiques qui sous-tendent le recours aux sanctions.

Le groupe du commerce international de McMillan surveille activement les sanctions liées à la Russie, au Bélarus, à l’Ukraine et à d’autres États, ainsi que l’application de modifications au régime canadien de sanctions, et demeure disponible pour aider les entreprises à se conformer à ces règles qui évoluent.

[1] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie (DORS/2022-102), modifiant DORS/2014-58.
[2] Pour connaître les restrictions antérieures sur les importations et les exportations, voir, par exemple, les articles 3.5 (Hydrocarbures) et 3.6 (Marchandises réglementées).
[3] Partie 1 de l’annexe 6 du Règlement.
[4] Partie 2 de l’annexe 6 du Règlement.
[5] Annexe 7 du Règlement.
[6] Affaires mondiales Canada, « Le Canada impose des sanctions supplémentaires à des oligarques russes en réponse à l’agression continue du président Poutine en Ukraine » (20 mai 2022).
[7] Pour connaître les sanctions commerciales imposées par les États-Unis sur les marchandises de luxe, voir le décret-loi 14068; pour connaître les sanctions de l’Union européenne, voir le Règlement (UE) 2022/428 du Conseil; pour connaître les restrictions du Royaume-Uni, voir le communiqué de presse du gouvernement britannique intitulé « UK announces new economic sanctions against Russia » (15 mars 2022).
[8] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie (DORS/2022-117).
[9] L.C. 1992, ch. 17.
[10] L.C. 2017, ch. 21.
[11] De même, la Commission européenne a précisé en mars que les cryptoactifs étaient des « valeurs mobilières » au sens du régime européen de sanctions. Voir Commission européenne, « Ukraine : l’UE convient d’étendre le champ d’application des sanctions infligées à la Russie et à la Biélorussie » (9 mars 2022).

par Neil Campbell, William Pellerin, Philip Kariam et Yazhi Zheng, étudiante d’été en droit

Mise en garde 

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022

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