L’écoblanchiment et le resserrement de la réglementation du Canada en matière de déclarations environnementales : les récentes modifications apportées à la Loi sur la concurrence
L’écoblanchiment et le resserrement de la réglementation du Canada en matière de déclarations environnementales : les récentes modifications apportées à la Loi sur la concurrence
Le 20 juin 2024, le gouvernement fédéral canadien a adopté le projet de loi C-59 modifiant la Loi sur la concurrence (la « Loi ») en lui accordant la sanction royale. La plupart des modifications sont en vigueur, à l’exception de certaines qui prendront effet plus tard en 2024 et en 2025. Ce bulletin traite du resserrement environnemental de la réglementation sur l’écoblanchiment et de l’augmentation de son incidence sur les entreprises canadiennes à la suite des modifications. Une analyse des autres modifications apportées à la Loi se trouve dans notre bulletin précédent (en anglais).
Par « écoblanchiment », on entend le fait pour une entreprise de faire des déclarations fausses ou trompeuses, de manière intentionnelle ou par inadvertance, qui renforcent les avantages pour l’environnement ou la durabilité de son entreprise ou des produits et services qu’elle offre, ou qui en atténue les aspects nocifs. Ces déclarations peuvent porter sur des produits, des matières ou des étapes de la chaîne d’approvisionnement, comme la production, l’emballage, la distribution, l’utilisation ou l’élimination, ainsi que sur les pratiques et les processus commerciaux. Comme pour tout type de déclaration fausse ou trompeuse, l’écoblanchiment vise à tromper les consommateurs ou à les inciter à acheter des produits ou des services prétendument « vertes », ou à acheter ceux d’entreprises qui se prétendent écoresponsables, en vantant leurs avantages pour l’environnement.
À l’heure actuelle, la Loi, qui interdit de donner au public des indications fausses ou trompeuses, demeure la source première de responsabilité dans le domaine de l’écoblanchiment au Canada. Comme mentionné dans nos bulletins précédents sur le sujet, soit Net Zero Plans Deserve Closer Attention Than They Are Getting (en anglais), Squeaky “Clean”: Competition Bureau Combats Greenwashing (en anglais) et Vert, vraiment? L’écoblanchiment et les affirmations trompeuses liées aux facteurs ESG dans la mire des organismes de réglementation, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a renforcé l’application de la législation sur l’écoblanchiment au cours des dernières années.
Les modifications apportées à la Loi visent expressément l’écoblanchiment en revoyant les dispositions générales actuelles de la Loi quant aux indications fausses ou trompeuses. Les indications peuvent prendre la forme d’une déclaration ou d’une garantie et peuvent être faites par écrit, verbalement ou par un autre moyen de communication. Plus précisément, les modifications prévoient qu’est susceptible d’examen le comportement de quiconque donne au public, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, les indications ci-dessous si cette forme de prétendue garantie ou promesse est trompeuse d’une façon importante ou s’il n’y a aucun espoir raisonnable qu’elle sera respectée :
- Des indications sur les avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée;
- Des indications sur les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques si les indications ne se fondent pas sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale.
Il convient toutefois de noter que les indications ci-dessus ne seront pas considérées comme fausses ou trompeuses si elles sont fondées sur une épreuve ou des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale pour en confirmer l’exactitude. Autrement dit, une entreprise qui fournit des indications « vertes » doit en vérifier l’exactitude au moyen de cette méthode avant de les donner au public.
Malheureusement, les expressions « épreuve suffisante et appropriée » et « méthode reconnue à l’échelle internationale » ne sont pas définies dans la Loi et n’ont pas encore été étudiées par les tribunaux. Le Bureau a publié des lignes directrices générales sur le caractère « suffisant et approprié » des épreuves. Plus particulièrement, l’épreuve doit être réalisée avant que les indications de rendement ne soient données, être effectuée dans des conditions contrôlées afin d’éliminer les variables externes et la subjectivité autant que possible, refléter l’utilisation réelle d’un produit ou d’un service et soutenir l’impression générale créée par les indications commerciales. Toutefois, à l’heure actuelle, les lignes directrices sur l’écoblanchiment et les déclarations environnementales demeurent assez sommaires. Par ailleurs, les pratiques exemplaires de l’industrie en matière de pratiques, de procédures et de méthodologies environnementales manquent d’uniformité. En outre, d’autres régimes légaux et réglementaires comportent des exigences qui doivent être prises en compte à l’égard des indications susmentionnées (comme les exigences sectorielles, les lois sur les valeurs mobilières ou les exigences qui s’appliquent aux industries réglementées).
Le Bureau a indiqué qu’il élaborera des lignes directrices sur le marketing écologique afin de préciser les normes à respecter au Canada en matière d’épreuve et d’éléments corroboratifs et de clarifier l’expression « suffisant et approprié ». À cet égard, le 22 juillet 2024, le Bureau a lancé une période de consultation publique portant sur les nouvelles dispositions de la Loi ainsi que sur les éléments que les entreprises et les annonceurs doivent considérer et les défis qu’ils doivent relever pour s’y conformer. Les parties intéressées sont invitées à soumettre leurs commentaires au plus tard le 27 septembre 2024 aux coordonnées indiquées ici.
En attendant, le Bureau a publié le volume 7 du recueil des pratiques commerciales trompeuses, qui fournit des indications aux entreprises. Il donne notamment de l’information sur le type de plaintes que le Bureau reçoit le plus souvent ainsi que d’excellents conseils pour aider les entreprises à se conformer à la Loi et à éviter toute déclaration qui constitue de l’écoblanchiment. Selon le Bureau, la plupart des plaintes concernent les catégories de déclarations ci-dessous :
- La composition des produits et des emballages, tant ce qu’ils contiennent (p. ex. une déclaration indiquant qu’un produit est fait de matières recyclées) que ce qu’ils ne contiennent pas (p. ex. une déclaration précisant qu’un produit ne contient pas de polluants éternels). Des plaintes peuvent également être déposées lorsque les valeurs numériques utilisées sont impossibles à vérifier (p. ex. les mentions « fait à 100 % de matières recyclées » ou « trois fois meilleur pour l’environnement »).
- Le processus de production des produits, comme les ressources, l’énergie ou les matières utilisées (p. ex. les indications « fabriqué à l’aide de l’énergie solaire » ou « carboneutre à 100 % »).
- L’élimination des produits (p. ex. une déclaration selon laquelle un produit est entièrement compostable).
- Les comparaisons avec les versions antérieures de produits ou de services, ou avec celles de concurrents (p. ex. une déclaration indiquant que 50 % moins d’eau est utilisée durant le processus de fabrication).
- Les déclarations vagues ou trop générales (p. ex. l’indication « bon pour l’environnement »). Ces déclarations utilisent parfois des images, des logos ou d’autres supports qui suggèrent un avantage « vert » ou détournent l’attention des aspects nocifs d’un produit (p. ex. l’utilisation de scènes de nature ou de polices de caractères qui rappellent la nature sur l’emballage, ou une mise en page susceptible de tromper le consommateur).
- Les plans d’avenir, qui ne sont pas crédibles pour donner suite à la déclaration ou qui ne pèsent pas lourd par rapport aux activités de l’entreprise (p. ex. les indications « investir dans un avenir sain » ou « viser la carboneutralité »).
Il est également utile d’examiner la réglementation sur l’écoblanchiment d’autres territoires, comme l’Union européenne (l’« UE »), qui est plus avancée qu’au Canada. Nous nous attendons à ce que les poursuites intentées en vertu des directives sur l’écoblanchiment de l’UE servent de point de départ de ce qui sera sans doute un ensemble croissant de méthodologies et de normes « reconnues à l’échelle internationale » dans ce domaine. Par exemple, l’UE envisage actuellement d’interdire l’utilisation de termes « verts » courants tels que « carboneutre », qui est une déclaration très difficile à prouver et hautement controversée. Elle envisage aussi d’interdire les déclarations quant à des objectifs précis de réduction des émissions, qui ont tendance à être ambitieuses sinon prospectives (sans mention claire qu’il s’agit de projections) ou tout simplement trompeuses en raison de l’absence d’un calcul de référence des émissions réelles d’une société. L’UE a également adopté son système d’écoétiquettes il y a plus de trente ans, lequel identifie les produits de consommation ayant une incidence environnementale selon des critères scientifiquement rigoureux. On s’attend à ce que le gouvernement canadien s’inspire de cette expérience pour revoir ses normes réglementaires en matière de déclarations sur l’écoblanchiment ainsi qu’informer les entreprises et les consommateurs qui cherchent à définir leur rôle dans la lutte contre les changements climatiques et leurs répercussions.
Pour satisfaire aux nouvelles exigences fédérales, une entreprise de même que le fabricant, le distributeur, le fournisseur, le détaillant ou l’annonceur d’une entreprise, d’un produit ou d’un service gagneraient à suivre les pratiques exemplaires, notamment celles suggérées ci-dessous :
- Toute déclaration doit être claire, précise, véridique, exacte, complète et bien étayée, idéalement par des données et des sources indépendantes. Il est également recommandé de faire appel à un expert externe et/ou à un conseiller juridique possédant l’expertise appropriée pour examiner les déclarations « vertes » présentées ainsi que les épreuves ou les éléments corroboratifs qui l’appuient. Le Bureau recommande aux entreprises de se poser la question suivante : « Est-ce que mes déclarations environnementales en promettent trop? »
- Les déclarations comparatives doivent préciser ce qui est comparé et donner les raisons pour lesquelles cette comparaison est utilisée (c.-à-d. que la comparaison doit être pertinente et que toute différence entre les éléments comparés doit être indiquée).
- Les entreprises peuvent utiliser des petits caractères ou des avertissements pour fournir des éclaircissements ou des renseignements supplémentaires. Le problème, c’est lorsqu’ils sont cachés ou qu’ils contredisent le message plus important sur un produit ou un emballage, ce qui peut entraîner des plaintes.
- Les déclarations qui concernent le rendement doivent être fondées sur une épreuve pertinente. Cette dernière doit a) être effectuée dans des conditions contrôlées, b) éliminer autant que possible la subjectivité, c) refléter l’utilisation réelle et d) soutenir l’impression générale créée par les déclarations. Il n’est pas suffisant d’utiliser les résultats d’une épreuve qui ne sont que le fruit du hasard, ou qui sont fondés sur des produits ou services similaires ou sur des scénarios ou renseignements hypothétiques. Toutes ces données à l’appui et tous les autres renseignements connexes doivent être conservés de manière à en faciliter la consultation et fournis, le cas échéant, en cas de contestation judiciaire ou de mesure de mise en application de la loi.
- Il n’est pas interdit de donner au public des indications prospectives. Il faut toutefois porter une attention particulière à l’affirmation d’engagements fermes, à l’emploi de verbes au futur ou à l’utilisation d’expressions telles que « nous promettons » lorsque « nous prévoyons », par exemple, est plus approprié. Avant de formuler des déclarations prospectives, il faut s’assurer qu’elles sont raisonnables et réalisables d’après les connaissances et la technologie actuelles de l’entreprise, tout en tenant compte du contexte de l’industrie dans son ensemble.
- Lorsqu’une déclaration est faite au sujet d’une entreprise, de ses produits ou de ses services, il doit être évident qu’elle ne concerne pas des sociétés affiliées, des partenaires ou des fournisseurs dont les renseignements complets ne sont pas disponibles ou fiables. Pour cette raison, les déclarations réalistes et claires sont à préférer à celles qui sont vagues et ambitieuses, et les entreprises qui exercent des activités par l’intermédiaire de plusieurs entités et au sein de plus d’un territoire doivent veiller à ce que les déclarations ne soient pas d’ordre général et ne concernent que l’entreprise, les produits ou les services applicables. De plus, les entreprises doivent s’abstenir de prendre des engagements trop ambitieux ou de présenter des échéanciers trop serrés, car même si elles sont sans doute bien intentionnées quant à leurs objectifs futurs, elles risquent de faire l’objet de plaintes si elles ne les atteignent pas. Toute déclaration devrait être appuyée par un plan réaliste comportant des mesures concrètes pour atteindre les objectifs.
- Il faut passer en revue les catégories de déclarations décrites ci-dessus faisant l’objet de plaintes pour écoblanchiment auprès du Bureau, car elles sont plus susceptibles de soulever des préoccupations et d’entraîner des mesures d’application de la loi.
- Il faut déterminer les autres lois municipales, provinciales et fédérales qui peuvent s’appliquer à une entreprise ou à ses produits ou services, car les exigences en matière de publicité et d’étiquetage de ces lois peuvent chevaucher la Loi ou viser d’autres types de déclarations et de renseignements fournis aux consommateurs. Par exemple, la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation s’applique aux produits de consommation non alimentaires préemballés et exige que l’étiquetage donne des renseignements précis et pertinents aux consommateurs, tandis que la Loi sur l’étiquetage des textiles et le Règlement sur l’étiquetage et l’annonce des textiles prévoient des exigences en matière d’étiquetage pour les produits textiles de consommation.
- Il faut évaluer les risques juridiques en mettant l’accent sur ceux inhérents aux déclarations « vertes ». Dans le cadre de cette évaluation, il faut déterminer, examiner et gérer les risques potentiels ou réels des déclarations concernant une entreprise, ses produits ou ses services. Il faut aussi adopter une approche prospective et tenir compte de la manière dont le Bureau, le public et la concurrence peuvent percevoir ces déclarations pour en atténuer les risques.
La mise en œuvre de ces meilleures pratiques est très importante de nos jours, car ce ne sont plus seulement les organismes de réglementation des différents secteurs qui accordent une attention particulière à l’écoblanchiment, mais aussi les parties intéressées et la concurrence, ce qui accroît le risque de plaintes déposées auprès du Bureau. À titre de rappel, toute personne intéressée peut déposer une plainte auprès du Bureau. Pour limiter les risques d’allégations d’écoblanchiment ou de violation de la Loi, les entreprises doivent donc évaluer leurs déclarations « vertes » quant à leur mission, à leurs produits et à leurs services d’un point de vue réglementaire, et non seulement sous l’angle du marketing et des ventes.
Les déclarations « vertes » ne sont pas une nouveauté en soi. Depuis des décennies, les avocats spécialisés en droit de l’environnement aident leurs clients à évaluer et mettre au point des technologies, des méthodologies et des produits ainsi qu’à développer un savoir-faire qui favorisent le développement durable, tout en respectant les régimes réglementaires. Ce qui est nouveau, c’est l’éveil environnemental croissant de presque tout le monde, surtout le consommateur moyen, qui accorde une importance et une attention particulières aux déclarations « vertes » .
Par : Martin Thiboutot, Ralph Cuervo-Lorens, Talia Gordner et Julia Loney
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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