Les États-Unis contestent la taxe sur les services numériques du Canada
Les États-Unis contestent la taxe sur les services numériques du Canada
Le 30 août 2024, les États-Unis ont annoncé qu’ils contestaient officiellement la taxe sur les services numériques (« TSN ») du Canada en vertu de l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (« ACEUM »). Nous présentons ci-dessous le contexte du différend et nous analysons les répercussions sur le commerce numérique et les relations économiques plus générales entre les alliés nord-américains.
I. Contexte de la TSN
La TSN est une taxe de 3 % sur les revenus générés par les services numériques fournis aux utilisateurs canadiens par les grandes multinationales, à savoir les entreprises dont le chiffre d’affaires global est d’au moins 750 millions d’euros et dont le chiffre d’affaires des services numériques canadiens est d’au moins 20 millions de dollars canadiens. La taxe s’applique aux revenus tirés de la publicité en ligne, des marchés en ligne, des plateformes de médias sociaux et de la vente et de l’octroi de licences de données d’utilisateur d’une interface en ligne.[1]. La TVP est rétroactive au 1ᵉʳ janvier 2022 et les entreprises commenceront à payer la taxe le 30 juin 2025.
Le Canada affirme que l’objectif de la TSN est de s’assurer que les grandes entreprises numériques, dont bon nombre ont une faible présence physique au Canada, contribuent équitablement au régime fiscal canadien. Ces entreprises génèrent des revenus importants du fait de leurs activités au Canada et de la monétisation des données des utilisateurs canadiens.
L’USTR a exprimé une vive opposition à la TSN lorsque celle-ci fut proposée en 2022, et il faisait valoir qu’elle ciblait injustement les sociétés américaines et qu’elle contrevenait aux accords commerciaux internationaux. Le Canada a initialement tardé à mettre en œuvre la taxe afin que les négociations internationales sur la fiscalité de l’économie numérique puissent se poursuivre. Toutefois, ce retard dans la mise en œuvre a pris fin lorsque la TVP est entrée en vigueur en juin 2024[2]. N’ayant pas réussi à stopper l’application de la TVP par le Canada, le représentant américain au Commerce (l’« USTR ») a maintenant fait remonter le problème en invoquant les dispositions de règlement des différends de l’ACEUM.
II. Les prétentions juridiques des parties et les prochaines étapes du processus de règlement des différends de l’ACEUM
La demande de consultations des États-Unis a été présentée après l’application de la procédure de règlement des différends entre États prévue en vertu du chapitre 31 de l’ACEUM. L’USTR soutient que la TSN proposée par le Canada pourrait contrevenir à plusieurs dispositions de l’ACEUM, y compris l’obligation d’accorder un traitement égal aux services et aux fournisseurs de services américains et canadiens (article 15.3) et l’obligation d’accorder un traitement égal aux investisseurs et aux investissements américains et canadiens (article 14.4).
Les deux prétentions reposent sur l’allégation voulant que la TSN cible les sociétés américaines en faisant preuve de discrimination à leur égard et en privilégiant les sociétés canadiennes qui fournissent ces services. Cela signifie que les seuils de TSN sont conçus pour s’appliquer ou pour avoir la conséquence de s’appliquer aux sociétés américaines et non pas aux sociétés canadiennes.
La première mesure prise par les États-Unis a été de demander des consultations, ce qui a déclenché un processus officiel aux termes du mécanisme de règlement des différends de l’ACEUM. Voici les principales étapes du processus de règlement des différends :
- Consultations: Dans les 30 jours de la présentation de la demande, les États-Unis et le Canada doivent entamer des consultations pour tenter d’en arriver à une solution satisfaisante pour les deux parties.
- Demande d’établissement d’un groupe spécial: Si les consultations ne permettent pas de régler le problème dans les 75 jours, les États-Unis ou le Canada peuvent demander l’établissement d’un groupe spécial de règlement des différends en vertu de l’ACEUM. Le groupe spécial devrait tenir une audition des arguments des deux parties et publier un rapport sur la question de savoir si l’imposition de la TSN est conforme aux obligations du Canada aux termes de l’ACEUM. Par le passé, le processus du groupe spécial avait une durée moyenne d’environ 270 jours entre la date de présentation d’une demande au groupe spécial et la publication d’un rapport.
- Décision du groupe spécial et obligation de s’y conformer Si le groupe spécial rend un jugement favorable aux États-Unis, le Canada devrait alors se conformer à la décision, possiblement en modifiant ou en abrogeant la TSN. Si le Canada ne se conforme pas à cette décision, les États-Unis pourraient être autorisés à imposer des mesures de rétorsion.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le processus de règlement des différends de l’ACEUM, ainsi qu’un compte rendu mis à jour par l’équipe Commerce international de McMillan des victoires et des défaites aux termes du règlement des différends de l’ACEUM, veuillez consulter notre tableau de pointage du règlement des différends dans l’ACEUM.
III. Conséquences pour le Canada et les États-Unis
La demande de l’USTR souligne que la TSN pourrait avoir une incidence sur un important volume d’échanges commerciaux, car les services numériques constituent un segment de l’économie américaine qui connaît une croissance rapide. En 2023, les exportations américaines au Canada de services fournis par voie numérique s’établissaient à plus de 25 milliards de dollars, ce qui souligne l’importance de ce secteur pour les économies des deux pays. L’USTR souligne que le Canada s’attend à percevoir environ 875 millions de dollars par année de la TSN.
Le mécanisme de règlement des différends entre États de l’ACEUM ne prévoit pas le versement de dommages pécuniaires. En revanche, si un groupe spécial juge que la TSN est incompatible avec une obligation prévue dans l’ACEUM, le Canada et les États-Unis doivent plutôt s’efforcer d’en arriver à une résolution, ce qui pourrait amener le Canada à accepter des modifications à la TSN. Toutefois, si aucune entente n’est conclue, les États-Unis pourraient exercer des « représailles » ayant un effet équivalent. Compte tenu du grand volume d’échanges commerciaux en cause dans ce différend, les mesures de rétorsion potentielles pourraient avoir une incidence importante sur divers secteurs de l’économie canadienne.
De façon plus générale, la demande de consultations de l’USTR met en lumière un point irritant isolé dans les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis dans un contexte où les parties sont par ailleurs sensiblement alignées sur des aspects importants de la politique commerciale.
Comme McMillan l’a récemment mentionné, le Canada a récemment pris des mesures pour s’aligner sur les États-Unis en imposant des mesures commerciales contre l’acier, l’aluminium et les véhicules électriques chinois. Toutefois, l’économie numérique s’est transformée en question controversée, car les approches réglementaires du Canada et des États-Unis semblent diverger. Cette divergence de vues s’étend au-delà de la TSN et comprend, par exemple, les mesures canadiennes qui exigent que les plateformes dominantes rémunèrent les entreprises de presse en vertu de la Loi sur les nouvelles en ligne [3] et qui exigent que les radiodiffuseurs présentent du contenu canadien en vertu de la Loi sur la diffusion continue en ligne [4], qui ont toutes les deux suscité une résistance de la part d’entités américaines [5], bien qu’aucune mesure officielle n’ait été prise en vertu de l’ACEUM à ce jour.
IV. Conclusion
La contestation par les États-Unis de la TSN en vertu de l’ACEUM témoigne de leur engagement à protéger les géants américains du numérique contre ce qu’ils considèrent comme des mesures fiscales discriminatoires. De plus, cela met en évidence un élément de friction commerciale récente entre le Canada et les États-Unis, qui doivent maintenant relever le défi de résoudre ces questions dans le cadre de l’ACEUM. McMillan continuera de surveiller ce différend et de fournir des mises à jour supplémentaires par le biais de notre tableau de pointage du règlement des différends dans l’ACEUM (en anglais).
Le groupe Commerce international de McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. aide régulièrement des entreprises canadiennes et mondiales de premier plan à exprimer leurs points de vue sur les tarifs douaniers et les différends commerciaux internationaux, ainsi que sur les questions de sécurité économique et de sécurité nationale.
Par William Pellerin, Jamie Wilks et Philip Kariam
[1] Voir Gouvernement du Canada, Loi sur la taxe sur les services numériques.
[2] Voir le projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, adopté le 28mai 2024 et ayant reçu la sanction royale le 20 juin 2024, partie 2 : Loi sur la taxe sur les services numériques.
[3] Voir Gouvernement du Canada, Loi sur la nouvelle en ligne.
[4] Voir Gouvernement du Canada, Loi sur la diffusion continue en ligne.
[5] Se référer par exemple au rapport du Département des États-Unis, 2024 Investment Climate Statements : Canada.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024
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