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Les fiducies de construction peuvent s’appliquer aux fonds reçus par un contrôleur nommé sous le régime de la LACC : la décision de la Cour d’appel dans Urbancorp

Juillet 2020 Bulletin sur les litiges et la construction Lecture de 6 min

La Cour d’appel de l’Ontario a de bonnes nouvelles pour les entrepreneurs qui traitent avec des propriétaires insolvables. Dans une décision récente rendue dans l’affaire Urbancorp Cumberland 2 GP Inc. (Re) (« Urbancorp »)[1], la Cour d’appel a conclu qu’une fiducie prévue par la Loi sur la construction[2] peut s’appliquer au produit d’une vente reçu par un fonctionnaire nommé par la Cour dans le cadre d’un processus de vente supervisé par un tribunal en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[3] (la « LACC »). La décision a également limité l’application de la décision antérieure de la Cour d’appel dans l’affaire Re Veltri Metal Products Co. (« Veltri »)[4]. Veltri ne pose pas le principe d’un rejet généralisé de l’application des fiducies de construction au produit d’une vente supervisée par un tribunal dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité.

Les entrepreneurs ont maintenant l’assurance supplémentaire qu’ils peuvent compter sur les fiducies de construction, même lorsque les propriétaires éprouvent des difficultés financières. Les prêteurs et les autres créanciers de l’industrie de la construction devraient prendre note de l’incidence que les fiducies de construction peuvent avoir sur leurs recouvrements dans le cadre des procédures d’insolvabilité canadiennes.

Contexte de la décision Urbancorp

Un promoteur de condominiums résidentiels, le Cumberland Group (« Cumberland »), s’est mis à l’abri de ses créanciers sous le régime de la LACC. Dans le cadre de l’instance sous le régime de la LACC, un contrôleur nommé par le tribunal a vendu des logements en copropriété qui appartenaient à Cumberland. Le produit net des ventes s’est élevé à plus de 4,2 millions de dollars.

Plusieurs des entrepreneurs de Cumberland qui travaillaient au projet avaient effectué des travaux dans les logements vendus et avaient fourni des matériaux à cet égard. L’une des entités de Cumberland, Urbancorp, devait près de 4 millions de dollars à ces entrepreneurs. Les entrepreneurs affirmaient que le produit de la vente de condominiums constituait un fonds en fiducie pour leur bénéfice, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi sur la construction. Ce paragraphe prévoit que, lorsqu’un propriétaire vend son intérêt dans une propriété que des entrepreneurs ont améliorée en exécutant des travaux ou en fournissant des matériaux, une fiducie d’un montant égal au produit de la vente moins certaines déductions est constituée pour le bénéfice de ces entrepreneurs. Lorsqu’un débiteur détient des fonds qui font l’objet d’une fiducie, ces fonds ne sont pas considérés comme faisant partie de ses biens. Par conséquent, ils ne sont pas assujettis aux règles de priorité et de distribution de la législation sur l’insolvabilité, qui limite habituellement les recouvrements pour les entrepreneurs et les autres créanciers chirographaires.

Le juge de la requête dans Urbancorp a d’abord rejeté la réclamation des entrepreneurs fondée sur une fiducie. Il a jugé qu’une vente d’actifs par le contrôleur dans le cadre d’une procédure sous le régime de la LACC ne peut donner lieu à une fiducie de construction à l’égard du produit de la vente. Pour cette conclusion, il s’est appuyé sur la décision Veltri. Les entrepreneurs ont interjeté appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario.

Décision de la Cour d’appel de l’Ontario

La Cour d’appel a invalidé la décision du juge de la requête. Elle a conclu que la fiducie de construction prévue à l’article 9 peut être constituée à l’égard du produit de la vente dans le cadre d’une procédure sous le régime de la LACC. Ce faisant, la Cour s’est penchée sur deux questions juridiques.

(i) L’article 9 de la Loi sur la construction est-il inopérant dans les procédures de faillite?

Premièrement, la Cour d’appel a examiné si l’article 9 est inopérant dans les procédures sous le régime de la LACC sur le fondement de principes constitutionnels. Le gouvernement fédéral a le pouvoir exclusif d’adopter des lois régissant la faillite et l’insolvabilité[5]. Les provinces ne peuvent pas adopter de lois qui (i) réglementent fondamentalement la faillite et l’insolvabilité ou (ii) sont incompatibles avec les lois fédérales sur la faillite et l’insolvabilité. Dans la mesure où une partie de la Loi sur la construction de l’Ontario est incompatible avec la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») fédérale, la doctrine constitutionnelle de la prépondérance fédérale rend la loi provinciale inopérante dans la mesure de l’incompatibilité.

La Cour d’appel s’est récemment penchée sur la question de la prépondérance relativement aux fiducies prévues par la Loi sur la construction dans les procédures d’insolvabilité. Dans The Guarantee Company of North America v. Royal Bank of Canada (« Guarantee »)[6], elle a d’abord examiné le fondement des fiducies au titre de l’article 8 de la Loi sur la construction (concernant les montants dus aux entrepreneurs et aux sous-traitants ou reçus par eux). La Cour a conclu que le but de la fiducie prévue à l’article 8 est de protéger les participants de l’industrie de la construction contre l’enrichissement sans cause des parties situées plus haut dans la hiérarchie de la construction. Par conséquent, il ne s’agissait pas, de façon générale, d’une tentative inappropriée de réglementation de la faillite.

Ensuite, dans la décision Guarantee, la Cour d’appel s’est penchée sur la question de savoir si la fiducie prévue à l’article 8 était incompatible avec la LFI parce que les exigences en matière de fiducie prévues par les deux lois différaient. L’alinéa 67(1)a) de la LFI exige que les biens en fiducie respectent les critères de la définition d’une fiducie en common law[7]. En common law, une fiducie ne peut exister que si les « trois certitudes » sont présentes, c’est-à-dire qu’il doit y avoir quant à l’intention, certitude quant aux biens sujets à la fiducie et certitude quant aux bénéficiaires. Il y a eu un certain débat sur la question de savoir si les fiducies prévues par la loi peuvent présenter les trois certitudes, en particulier en ce qui concerne la certitude de l’intention[8]. Dans la décision Guarantee, la Cour d’appel a conclu que les fiducies prévues par la loi peuvent créer la certitude de l’intention requise en common law. En appliquant cette conclusion, la Cour d’appel a conclu que l’article 9 de la Loi sur la construction respectait les trois certitudes d’une fiducie. Par conséquent, il n’y avait aucun fondement constitutionnel permettant de conclure que la fiducie prévue à l’article 9 était inopérante.

(ii)  La décision Veltri n’a pas invalidé les fiducies de construction prévues à l’article 9

La Cour d’appel a ensuite examiné l’incidence du contexte de la LACC sur la réclamation fondée sur une fiducie. La question en litige dans Urbancorp était de savoir si une fiducie pouvait être créée étant donné que le produit de la vente a été reçu par le contrôleur nommé sous le régime de la LACC plutôt que par le débiteur. Le texte du paragraphe 9(1) de la Loi sur la construction exige que les biens en fiducie soient « reçus par le propriétaire à la suite de la vente ». Le juge de la requête a interprété l’arrêt Veltri comme signifiant le non-respect de cette exigence si les fonds sont versés à un contrôleur nommé sous le régime de la LACC plutôt qu’au propriétaire. Par conséquent, il a conclu qu’il lui incombait, conformément à la décision Veltri, de rejeter la réclamation fondée sur une fiducie[9].

À la suite d’un examen minutieux des faits dans Veltri, la Cour d’appel a conclu que son application était plus restreinte que celle faite par le juge de la requête. L’absence d’une fiducie dans Veltri ne s’explique pas par le fait que le fonctionnaire nommé par la Cour dans cette instance (plutôt que le propriétaire) détenait le produit de la vente en fiducie pour les créanciers. En fait, il n’y avait pas de fiducie dans Veltri parce qu’il n’y avait pas de produit de vente qui aurait pu être assujetti à une fiducie. Il s’agit d’une conséquence des circonstances particulières qui ont une incidence sur la réclamation fondée sur une fiducie dans cette affaire. Urbancorp, au paragraphe 23. Les circonstances dans Urbancorp étaient distinctes, car il y avait un produit net de la vente de logements en copropriété. Selon la Cour d’appel, l’arrêt Veltri ne permet pas de conclure en l’impossibilité que soient créées des fiducies de construction après la vente par un fonctionnaire nommé par la Cour.

Répercussions sur l’industrie de la construction

Pour les créanciers :

La décision Urbancorp a d’importantes répercussions sur les intervenants de l’industrie de la construction. Les réclamations fondées sur une fiducie acceptées réduiront les biens des débiteurs sur lesquels les créanciers garantis peuvent réaliser leurs garanties. Les réclamations fondées sur une fiducie prévue par la loi pourraient être assez importantes en matière de grands projets de construction complexes. Les créanciers garantis ne sont pas protégés contre l’intrusion de réclamations fondées sur une fiducie dans leurs garanties simplement parce qu’un fonctionnaire nommé par la Cour administre les biens du propriétaire. Ils doivent être conscients dès le début de leur participation à un projet de construction de la possibilité que de telles demandes diminuent leurs recouvrements dans une situation d’insolvabilité. Les prêteurs doivent garder à l’esprit ce risque collatéral, à la fois lorsqu’ils procèdent à leurs contrôles diligents et négocient les obligations de déclaration dans leurs documents de prêt et lorsque les propriétaires utilisent les facilités de prêt au cours d’un projet de construction.

Pour les entrepreneurs :

La décision Urbancorp donne une assurance aux entrepreneurs et aux autres bénéficiaires des fiducies de construction qui sont préoccupés par l’insolvabilité des propriétaires. La capacité d’un entrepreneur à évaluer la santé financière d’un propriétaire est souvent très limitée. Les fiducies prévues par la loi réduisent en partie le risque d’exécuter des travaux de construction pour un propriétaire dont la situation financière est incertaine.

Toutefois, les protections prévues par la loi ne sont pas illimitées. La fiducie ne concerne toujours que le produit net de la vente. Ainsi, certaines déductions pourraient éroder les sommes disponibles pour une fiducie potentielle. Les entrepreneurs doivent continuer d’utiliser tous les outils à leur disposition, y compris les sûretés, les règles de règlement rapide et les demandes de renseignements en vertu de l’article 39, pour se protéger contre les conséquences de l’insolvabilité du propriétaire.

par Laura Brazil, Stephen Brown-Okruhlik et Matti Thurlin (étudiant en droit)

[1] 2020 ONCA 197.
[2] 1990/C.30.
[3] LRC 1985, ch C-36.
[4] [2005] O.J. Noo 3217 (ONCA).
[5] Loi constitutionnelle de 1867, paragraphe 91(21).
[6] 2019 ONCA 9.
[7] Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd, [1989] 2 RCS 24.
[8] Sam Babe, « Deemed Provincial Trusts 30 Years After British Columbia v Henfrey Samson Belair Ltd. » (2019) Ann Rev Insolv 23; Aline Grenon, « Common Law and Statutory Trusts : In Search of Missing Links » (1995) 15:2 ETPJ 109 p. 116-117.
[9] Urbancorp, au paragraphe 23.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L. s.r.l., 2020

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