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Les tests de dépistage aléatoires de drogue comme le cannabis peuvent-ils être imposés par l’employeur ?

Octobre 2018 Bulletin Droit de l'emploi et du travail Lecture de 6 min

Dans certains cas, un employé qui a un problème de dépendance à l’alcool ou aux drogues peut devoir subir un test de dépistage, MAIS le dépistage aléatoire n’est pas automatique. Les tribunaux peuvent autoriser le dépistage aléatoire dans les lieux de travail considérés comme dangereux, MAIS seulement lorsque le dépistage constitue une réponse proportionnée qui tient compte des préoccupations légitimes quant à la sécurité et à la protection de la vie privée. Même si le dépistage après un incident et le dépistage lorsque l’employeur a des motifs raisonnables de croire qu’un employé a les facultés affaiblies sont en général autorisés, les tribunaux n’ont pas encore décidé que les employeurs pouvaient effectuer le dépistage aléatoire de consommation de marijuana, d’autres drogues ou d’alcool.

La décision de principe actuelle sur ce point est l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Pâtes & Papier Irving, Ltée (« Irving »)[1] dans lequel la Cour a affirmé ceci :

[L]a dangerosité d’un lieu de travail — que ce dernier soit décrit comme dangereux, intrinsèquement dangereux ou à grand risque —, bien que manifestement fort pertinente, ne constitue que la première étape de l’examen. Les tribunaux n’ont jamais jugé qu’elle justifie automatiquement l’imposition unilatérale d’un régime illimité de tests aléatoires susceptibles d’emporter des sanctions disciplinaires. Ils ont plutôt requis que l’employeur prouve l’existence de risques accrus pour la sécurité, comme des indices d’un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail.

Plusieurs facteurs entrent en jeu lorsqu’un employeur fait subir à un employé un test de dépistage de drogue, notamment de consommation de marijuana. La Cour suprême du Canada a défini ce test de la « mise en balance des intérêts » comme reposant sur l’existence de risques particuliers pour la sécurité et la preuve d’un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie dans un milieu de travail donné. Une décision récente de la Cour d’appel de l’Alberta (« ABCA »), Suncor Energy Inc. v. Unifor Local 707A a porté sur le débat permanent entre le droit de l’employé à la protection de sa vie privée et le maintien de la sécurité en milieu de travail[2].

Contexte

En 2012, Suncor Inc. a annoncé l’adoption d’une politique de tests aléatoires de dépistage de drogue et d’alcool à ses sites d’exploitation de sables bitumineux dans le nord-est de l’Alberta. Les employés à ces sites travaillaient des quarts de 12 heures et manipulaient un équipement d’exploitation minière et industriel parmi les plus complexes au monde (notamment des camions poids lourds aussi grands que des édifices à plusieurs étages). Les sites étaient tous situés près de régions sensibles sur le plan de l’environnement et de communautés densément peuplées. Le fait que des accidents survenant à ces sites pourraient occasionner une catastrophe humaine ou environnementale n’était pas contesté.

Selon Suncor, les préoccupations liées à la consommation de drogue et d’alcool en milieu de travail à ces sites étaient ” sans précédent ” au Canada. Même si elle avait pris des mesures importantes pour répondre à ces préoccupations – notamment la sensibilisation et la formation des employés, l’adoption d’une procédure d’interdiction de drogues et l’emploi de chiens détecteurs – ces initiatives s’étaient révélées grandement inefficaces. Ainsi, Suncor soutenait que les tests de dépistage aléatoires de consommation de drogue ou d’alcool pour les employés occupant des postes clés en matière de sécurité et des postes de direction étaient devenus nécessaires.

Unifor, le syndicat représentant plus de 3 000 employés de Suncor à ces sites, alléguait que la preuve d’un problème répandu n’était pas suffisamment établie pour justifier des tests de dépistage aléatoires. De plus, Unifor se plaignait que la politique de Suncor ne faisait pas la distinction entre les employés syndiqués, les employés non syndiqués et les employés d’entrepreneurs tiers. Par conséquent, Unifor a déposé un grief et a renvoyé l’affaire à un tribunal d’arbitrage.

Décisions des instances inférieures

Le tribunal d’arbitrage a tranché à la majorité en faveur d’Unifor. Même si le tribunal était d’accord sur le fait que les sites de Suncor étaient dangereux et que la sécurité était importante, il était aussi d’avis que les tests de dépistage aléatoires n’étaient pas automatiquement justifiés dans des milieux de travail dangereux. De l’avis de la majorité des arbitres, Suncor n’avait pas réussi à faire la preuve de préoccupations suffisantes en matière de sécurité touchant les employés syndiqués en particulier pour justifier l’imposition de tests de dépistage aléatoires. Selon la majorité, la preuve avancée par Suncor n’était pas recevable, car elle concernait le milieu de travail dans son ensemble.

Suncor a demandé la révision judiciaire de la décision du tribunal d’arbitrage devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta. La Cour s’est rangée du côté de Suncor et a conclu que la décision du tribunal était déraisonnable. Cependant, avant que l’affaire puisse être renvoyée à l’arbitrage, Unifor a porté la décision de la Cour du banc de la Reine en appel devant l’ABCA.

Tests de dépistage aléatoires de drogue et d’alcool : quand sont-ils autorisés ?

L’ABCA a amorcé son analyse en étudiant l’arrêt Irving de la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême a décidé que pour déterminer si la règle qu’un employeur veut imposer est proportionnée par rapport à la préoccupation qu’elle cherche à régler, on doit appliquer le critère de la mise en balance des intérêts.

L’ABCA était d’accord avec le tribunal d’arbitrage que l’existence d’un lieu de travail dangereux n’est pas suffisante, en soi, pour justifier l’imposition de tests de dépistage aléatoires. La question de l’existence d’un problème de consommation de drogue et d’alcool dans un milieu de travail dangereux doit être évaluée au cas par cas.

Dans cette affaire, l’ABCA a jugé, à l’instar de la Cour du banc de la Reine, que l’exigence par le tribunal d’arbitrage d’une preuve de préoccupations liées à la sécurité visant particulièrement les employés syndiqués de Suncor était déraisonnable. Une telle exigence imposait une norme de preuve trop exigeante. Même si la preuve produite par Suncor ne faisait pas de distinction entre les employés syndiqués, les employés non syndiqués et les employés d’entrepreneurs tiers, elle démontrait quand même que plus de 95 % des employés qui avaient subi un test à la suite d’incidents liés à la sécurité en milieu de travail avaient des traces de drogue et/ou d’alcool dans leur système. De plus, aucune preuve ne permettait de conclure que la consommation de drogue ou d’alcool différait de manière importante entre les employés syndiqués et les employés non syndiqués.

L’ABCA a rejeté l’appel d’Unifor et a confirmé la décision de la Cour du banc de la Reine de renvoyer le dossier à l’arbitrage devant un nouveau tribunal d’arbitrage.

À la suite de la décision de l’ABCA, Unifor a obtenu une injonction provisoire interdisant à Suncor de mettre en œuvre la politique de tests aléatoires de dépistage de drogue et d’alcool dans l’attente d’une nouvelle audience d’arbitrage ou de l’accueil de sa demande de permission d’en appeler devant la Cour suprême. La demande de permission d’en appeler devant la Cour suprême d’Unifor a été rejetée le 14 juin 2018 sans motifs.

Il reviendra au nouveau tribunal d’arbitrage d’étudier la proportionnalité de la politique de tests aléatoires de dépistage de drogue et d’alcool au regard des préoccupations liées au respect de la vie privée soulevées par le syndicat.

Ce que les employeurs doivent savoir

Le maintien de la santé et de la sécurité en milieu de travail est d’une importance primordiale. Toutefois, les tests de dépistage aléatoires de drogue et d’alcool ne sont pas automatiquement justifiés par la simple présence d’un danger dans les lieux de travail. Les tests de dépistage aléatoires doivent plutôt être une réponse proportionnelle à la preuve d’un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail (par opposition à une preuve qui ne vise que les travailleurs directement touchés par la décision).

Pour le moment, l’imposition d’une politique de tests de dépistage pour un « motif raisonnable » ou « à la suite d’un incident » est autorisée s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’employé a les facultés affaiblies. En revanche, une politique qui impose unilatéralement des tests de dépistage aléatoires, sans motif raisonnable et en l’absence d’un problème plus large d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail, a peu de chance de survivre à une contestation.

Par conséquent, les employeurs doivent savoir ce qui suit :

  1. les tests de dépistage aléatoires de drogue ne sont pas automatiquement justifiés dans des lieux de travail dangereux;
  2. les tests de dépistage aléatoires de drogue doivent être une réponse proportionnelle à une preuve établissant un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail et non à une preuve visant seulement les travailleurs qui seront directement touchés.

par Gordana Ivanovic

[1] Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34.
[2] Suncor Energy Inc. v. Unifor Local 707A, 2017 ABCA 313.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2019

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