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Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents : mise à jour des principales directives du bureau de la concurrence

10 mai 2021 Bulletin sur le droit de la concurrence Lecture de 8 min

Le 6 mai 2021, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié des mises à jour de ses Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents (les « LDCC »). Les LDCC révisées sont accessibles ici.

Contexte

Les LDCC sont une « grosse affaire ». Le Bureau de la concurrence publie un volume important de directives portant sur diverses questions relatives à son approche en matière d’application de la Loi sur la concurrence (la « Loi »). Presque toutes les directives du Bureau sont les bienvenues, mais elles n’ont pas toutes la même importance. Les LDCC sont au sommet de la hiérarchie à cet égard. L’une des raisons est que la collaboration entre concurrents – dans certains cas, la fixation des prix ou les comportements de collusion – peut se situer parmi les infractions les plus graves en matière de concurrence. Par conséquent, les LDCC présentent un grand intérêt pour les entreprises qui cherchent à collaborer de façon légitime avec leurs concurrents tout en évitant les infractions graves aux lois sur la concurrence.

L’autre raison, c’est qu’il y a peu de directives judiciaires sur ce sujet très important. La loi canadienne a été modifiée de façon très importante en 2010 afin de créer des infractions en soi relativement à certains types d’accords entre concurrents (essentiellement des accords sur la fixation des prix, l’attribution du marché et la restriction de la production) et de retirer d’autres types d’accords (comme les accords verticaux) de la portée du droit pénal. Les modifications ont également créé une défense législative précise, mais pas tout à fait claire, contre les dispositions pénales pour certains types d’arrangement en coentreprise entre concurrents. Enfin, les modifications de 2010 ont ajouté une nouvelle disposition (article 90.1) qui permet la contestation civile d’autres types d’accords entre concurrents.

L’aperçu ci‑dessus démontre à lui seul la complexité des modifications apportées à la Loi sur la concurrence en 2010. Depuis leur introduction, la jurisprudence en matière d’interprétation est très limitée[1]. Par conséquent, il est particulièrement utile d’avoir des indications à l’égard de la façon de voir les choses du Bureau dans ce domaine. Le présent bulletin ne résume pas tout le contenu des LDCC. Il met l’accent sur les changements importants par rapport à la version originale publiée en 2009.

Incidence dans les cas de fusions

(i)  Accords allant au‑delà d’une fusion pure

Les LDCC mises à jour prévoient que lorsque les parties à une fusion concluent un accord qui va au‑delà de l’accord de fusion pure et simple, le Bureau peut déterminer s’il devrait ouvrir une enquête criminelle sur les aspects de la transaction qui vont au‑delà de la fusion proprement dite. À cet égard, le libellé suivant a été ajouté aux LDCC mises à jour :

Lorsque des parties concluent tout accord allant au‑delà de l’acquisition, de la fusion ou de l’association d’intérêts, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur dudit accord, le Bureau déterminera la ou les dispositions de la Loi en vertu desquelles l’enquête ou l’examen devrait être poursuivi. Le Bureau peut exercer les pouvoirs formels que lui confèrent les articles 11 et 15 de la Loi afin d’obtenir des renseignements ou des documents pertinents à l’égard de cette décision.

(ii)  Accords de non‑concurrence

Les LDCC mises à jour continuent de reconnaître, comme leurs prédécesseures, que les accords de non‑concurrence associés aux transactions de fusion peuvent servir à des fins légitimes, comme s’assurer qu’un acheteur dans une transaction de fusion réalise la pleine valeur d’une entreprise achetée en n’ayant pas à faire concurrence au vendeur pour fidéliser la clientèle, et elles prévoient que les accords de non‑concurrence conclus dans le cadre d’une fusion seront généralement examinés en vertu des dispositions sur les fusions de la Loi. Toutefois, dans un changement par rapport aux LDCC originales, les LDCC mises à jour préviennent qu’il est possible, en de rares occasions, qu’un accord de non‑concurrence conclu dans le cadre d’une fusion puisse être examiné au titre des dispositions pénales sur la collusion comme s’il représentait un accord sur l’attribution de marchés, ou en vertu de la disposition civile sur les accords si l’effet de l’accord de non‑concurrence est incertain dans l’examen de la fusion. Les LDCC mises à jour contiennent le nouveau libellé suivant :

Cependant, dans de rares cas, [les clauses de non‑concurrence conclues dans le cadre d’une fusion] peuvent être examinées en vertu de l’article 45 de la Loi, par exemple lorsque la clause de non‑concurrence peut équivaloir à un accord sur l’attribution des marchés, ou en vertu de l’article 90.1 de la Loi, par exemple lorsque l’effet de l’accord de non‑concurrence est incertain au moment où la fusion peut faire l’objet d’un examen en vertu de l’article 92 de la Loi.

Le nouveau libellé pourrait avoir un effet dissuasif important sur ce que les LDCC elles‑mêmes considèrent comme des accords de non‑concurrence normaux et économiquement avantageux qui permettent le transfert de la pleine valeur d’une entreprise dans une transaction de fusion.

Accord servant de trompe‑l’œil

Les LDCC révisées ajoutent un article énonçant que lorsque la forme de tout accord sert de trompe‑l’œil pour éviter l’application des dispositions pénales de la Loi, le Bureau se concentrera sur le fond de l’accord ou de la collaboration lorsqu’il déterminera si une conduite particulière doit être évaluée au titre de la disposition pénale. À cet égard, ce nouveau libellé a été ajouté aux LDCC mises à jour :

Le Bureau est conscient que les parties puissent tenter de structurer ou de concevoir un accord ou une collaboration de manière à éviter un examen en vertu de l’article 45. Si le Bureau détient la preuve qu’une collaboration ou un accord sert de trompe‑l’œil, et ce, peu importe son degré d’officialisation ou son caractère exécutoire, il examinera un tel arrangement en vertu de l’article le plus approprié de la Loi.

Les commentateurs avaient exhorté le Bureau, si sa préoccupation était de repérer les transactions qui étaient conçues pour ressembler à des fusions, mais qui étaient en fait des complots, à formuler une exception de « trompe‑l’œil » à ses directives selon laquelle les fusions ne donneraient pas lieu à des poursuites criminelles, comme solution de rechange à l’édulcoration des directives claires concernant les fusions énoncées dans les LDCC d’origine. Dans ce cas, le Bureau a choisi de faire les deux.

Accords verticaux et distribution mixte

Les LDCC révisées précisent que les accords verticaux entre les clients et les fournisseurs seront généralement examinés au titre des dispositions relatives aux questions susceptibles d’examen et non des dispositions pénales de la Loi. Toutefois, les LDCC révisées affaiblissent les directives, particulièrement en ce qui concerne les accords de distribution mixte, qui étaient l’une des parties les plus solides des LDCC d’origine. Elles le font d’abord en prévoyant que l’orientation ne s’applique qu’aux accords « purement » verticaux. Deuxièmement, elles prévoient que les arrangements verticaux qui comprennent un accord entre concurrents pour fixer les prix, attribuer des marchés ou limiter l’offre d’un produit seront généralement évalués au titre de la disposition pénale.

Comme l’article 45 peut s’appliquer seulement aux accords horizontaux, cet ajout est susceptible de causer beaucoup de préoccupations et de confusion à ceux qui ont des accords de distribution mixte.

Concept plus large de « concurrent » au titre de la disposition civile

Les LDCC précédentes déclaraient que le Bureau ne considérerait pas les parties à un accord comme des concurrents au sens de la disposition civile sur les accords (article 90.1) seulement lorsqu’elles se font concurrence à l’égard de produits qui sont assujettis à l’accord contesté.

Dans les LDCC révisées, le Bureau a élargi son approche par rapport aux concurrents. Le Bureau est maintenant d’avis que la disposition civile sur les accords peut s’appliquer à tout accord tant que deux ou plusieurs des parties à cet accord sont des concurrents ou des concurrents potentiels à l’égard d’un produit, bien que son objet principal soit probablement les produits assujettis à l’accord. De plus, les LDCC révisées soulignent qu’une partie à un accord qui ne fait concurrence à aucune des autres parties à l’accord pourrait toujours être assujettie à la sanction de la disposition civile sur les accords si au moins deux des autres parties à l’accord sont des concurrents réels ou potentiels.

À cet égard, les LDCC mises à jour citent l’accord de consentement obtenu dans le cadre de l’enquête sur les livres électroniques au titre de l’article 90.1, dans le cadre de laquelle Apple a été considérée comme partie à des accords avec des éditeurs aux fins de l’article 90.1, même si Apple n’était pas en concurrence avec les éditeurs.

Contestations potentielles plus vastes pour les accords avec les concurrents et les arrangements en coentreprise

Dans les LDCC révisées, le Bureau semble envisager d’élargir sa démarche d’application des dispositions civiles de la Loi qui portent sur les accords, en plus de la définition élargie de concurrent mentionnée ci-dessus. Premièrement, les LDCC soulignent que le Bureau déterminera si l’accord est susceptible d’empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence dans un marché, quel qu’il soit, et pas seulement dans le marché des produits assujettis à l’accord. Deuxièmement, les LDCC précédentes énonçaient que le Bureau envisagerait une contestation de la collaboration seulement si les parties n’étaient pas en mesure de mener indépendamment les activités qu’elles s’entendent de mener plutôt par la collaboration. Elles ajoutaient que même si les parties étaient susceptibles de mener l’activité de façon indépendante, une enquête plus approfondie pourrait être justifiée, mais que la conduite ne serait pas nécessairement contestée. Ce libellé a été supprimé des LDCC mises à jour.

Accords « entre acheteurs » et les questions d’emploi

Les révisions provisoires des LDCC publiées l’été dernier laissaient entendre que les accords conclus entre des entreprises pour acheter des choses ou acquérir des intrants – en particulier les accords relatifs à l’embauche ou à la rémunération d’employés – pourraient être assujettis aux dispositions pénales, malgré le fait que le libellé de la Loi n’appuie pas cette interprétation et que les groupes d’achat sont souvent perçus comme s’ils profitaient à la concurrence, surtout pour les plus petits concurrents.

Cette suggestion a suscité une certaine controverse et, à la fin de novembre 2020, le Bureau a publié une déclaration précisant son point de vue selon lequel les dispositions criminelles de la Loi en matière de collusion ne s’appliquent pas aux accords de non‑débauchage (c.‑à‑d. les accords entre concurrents pour ne pas embaucher les employés de l’autre), aux accords de fixation des salaires et à d’autres formes d’accords « entre acheteurs ». Veuillez consulter notre bulletin antérieur pour une discussion sur les conséquences de cette déclaration.

La mise à jour des LDCC réitère l’énoncé de clarification de novembre 2020 du Bureau selon lequel les accords d’achat conjoint, les accords d’interdiction de débauchage et les accords de fixation de salaires ne sont pas interdits par l’article 45, mais peuvent faire l’objet d’un examen au regard des dispositions de la Loi sur les pratiques susceptibles de faire l’objet d’un examen.

Cette question demeure controversée et pourrait éventuellement entraîner des changements législatifs.

Les directives sont bonnes, mais pas déterminantes

Comme nous l’avons souligné, les directives du commissaire de la concurrence, tant en ce qui concerne la collaboration entre concurrents que de façon plus générale, sont les bienvenues et importantes. Toutefois, elles ne sont pas déterminantes. Elles peuvent avoir une certaine influence sur le Tribunal de la concurrence et les tribunaux, mais ne sont pas contraignantes.

Les tribunaux ont rendu des décisions contraires aux directives du Bureau de la concurrence à plusieurs reprises. Les lignes directrices du Bureau de la concurrence ne sont pas non plus contraignantes pour le Bureau de la concurrence lui‑même, qui a parfois agi contrairement à ces lignes directrices. Enfin, et c’est peut‑être le plus important, les lignes directrices du Bureau de la concurrence ne sont pas contraignantes pour les plaignants privés, y compris les demandeurs de recours collectifs, qui peuvent choisir d’intenter des poursuites invoquant une violation de la disposition criminelle de la Loi pour un comportement qui, selon les directives du Bureau, ne constitue pas une infraction criminelle. Par conséquent, les directives sont les bienvenues, et les directives claires et non ambiguës, qui réduisent au minimum l’utilisation de mots comme « généralement » et « habituellement » sont particulièrement bien accueillies, mais elles ne répondent pas et ne peuvent pas répondre à toutes les préoccupations. Il est important de faire attention, surtout lorsque vous vous aventurez près de la limite, seul ou en coentreprise.

Conclusion

Comme il a été mentionné au début, le Bureau n’offre pas de directives plus importantes aux collectivités juridiques et commerciales que celles des LDCC. La publication des LDCC originales était opportune et a eu une grande influence. Dix ans plus tard, il convient de faire une mise à jour. De même, l’attention que le Bureau a mise pour apporter les changements contenus dans les LDCC révisées est également appropriée, surtout compte tenu de la jurisprudence limitée à ce jour. Cela dit, il y a des changements significatifs dans les LDCC mises à jour et il est important que les entreprises comprennent ces ajustements subtils, mais importants. Ces changements démontrent, dans une certaine mesure, une légère augmentation des soupçons à l’égard de la collaboration des entreprises et la possibilité d’adopter une position un peu plus agressive en matière d’application de la loi dans ce domaine.

Par conséquent, il sera important de porter une attention particulière à ces changements, surtout lorsqu’on envisage des accords de coentreprise.

Si vous avez des questions, particulièrement en ce qui a trait aux coentreprises ou aux collaborations commerciales entre concurrents, ou en ce qui a trait à la distribution mixte ou à des accords semblables, les membres du groupe Concurrence et antitrust de McMillan seraient ravis de vous aider.

par William Wu, James Musgrove et Éric Vallières

[1] La décision la plus importante interprétant les dispositions révisées est le jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Watson v. Bank of America 2015 BCCA 362, qui a confirmé que la nouvelle infraction prévue à l’article 45 ne s’applique pas aux accords entre des entreprises qui ne sont liées que verticalement dans la chaîne de distribution, et exige en outre que, pour constituer une infraction, un accord entre concurrents doit être un accord portant sur le produit à l’égard duquel ils sont en concurrence.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2021

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