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Modifications de la loi sur la concurrence : ce que les parties à une fusion doivent savoir

23 juillet 2024 Bulletin Concurrence, anti-trusts et investissements étrangers Lecture de 7 min

Dans le troisième article de notre série sur les modifications apportées à la Loi sur la concurrence qui fait suite à notre bulletin général et à notre bulletin sur l’écoblanchiment, nous abordons l’incidence des récentes modifications sur les examens des fusions au Canada. Voici un résumé des principaux changements :

  • Les nouvelles règles accordent une importance renouvelée aux parts de marché et à la concentration du marché dans l’analyse des fusions. Dans bien des cas, il incombera aux parties à la transaction de démontrer que leur transaction n’est pas anticoncurrentielle.
  • Les seuils de déclenchement de l’obligation de déposer un avis de fusion comprennent les ventes au Canada et englobent donc un ensemble plus large de transactions qui, autrement, auraient échappé à l’examen obligatoire en vertu de l’ancienne loi.
  • Pour prévenir les fusions particulièrement anticoncurrentielles, il faut les corriger au point où on ne peut plus dire qu’elles nuisent à la concurrence.

Nous analysons en détail les répercussions de ces changements et nous abordons ci-après quelques autres mises à jour du régime canadien d’examen des fusions.

1.      Les fusions entraînant une augmentation substantielle de la concentration du marché sont présumées nuire à la concurrence.

Jusqu’aux modifications proposées dans le projet de loi C-59, le Bureau de la concurrence du Canada et le Tribunal de la concurrence ne pouvaient conclure qu’une fusion aurait pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence en se fondant uniquement sur des preuves d’une augmentation de la part de marché ou de la concentration. À la suite des modifications apportées par le projet de loi C-59, cette approche a été renversée puisque le Tribunal de la concurrence est maintenant expressément autorisé à tenir compte des parts de marché lorsqu’il examine si une transaction est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

De plus, une fusion qui est susceptible d’accroître la concentration ou la part de marché au-delà d’un seuil défini par la loi est présumée anticoncurrentielle, c’est-à-dire que le fardeau juridique et de la preuve est transféré aux parties à la fusion, de sorte qu’elles doivent démontrer que leur fusion n’est pas susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Pour définir une augmentation importante de la concentration ou de la part de marché, les modifications se fondent sur l’indice Herfindahl-Hirschman (« IHH »), qui est la « somme des carrés des parts de marché des fournisseurs ou des clients ». Toutefois, contrairement à la situation aux États-Unis, où l’IHH sert de ligne directrice aux fins de l’analyse des transactions, au Canada, un changement suffisant de l’IHH déclenchera la présomption qu’une fusion est anticoncurrentielle en vertu de la loi. Cette présomption réfutable s’appliquera dans le cadre d’une transaction lorsque :

(a) l’indice de concentration (IHH) augmente ou est susceptible d’augmenter de plus de 100; et

(b) soit :

1) l’indice de concentration (IHH) est ou sera vraisemblablement supérieur à 1 800; ou

2) la part de marché des parties à la fusion est ou sera vraisemblablement supérieure à 30 %.

Pour voir comment cette présomption fonctionne dans la pratique, reportez-vous aux tableaux illustratifs en annexe du présent bulletin s’appuyant sur deux projets de fusion dans des marchés comptant sept concurrents. Dans le premier exemple, le sixième et le septième concurrents les plus importants dans un marché moins concentré fusionnent pour devenir le troisième concurrent le plus important avec une part de 15 %. Comme le montre l’annexe, bien que l’IHH augmente de plus de 100 dans cet exemple, la présomption n’est pas déclenchée parce que l’IHH du marché demeure inférieur à 1 800 et que la part de marché combinée des parties est inférieure à 30 %. Dans le deuxième exemple, les quatrième et cinquième concurrents les plus importants dans un marché plus concentré fusionnent pour devenir le troisième concurrent le plus important avec une part de 15 %. Toutefois, contrairement à l’exemple précédent, l’annexe montre que la présomption de caractère anticoncurrentiel s’applique parce que l’IHH augmente de plus de 100 et que l’IHH du marché dépasse 1 800.

Dans des situations réelles, il est très rare que les parties conviennent d’une part de marché. L’analyse et la présentation de preuves d’expert en ce qui concerne les définitions du marché géographique et des produits, et la façon dont les parts doivent être calculées seront donc d’autant plus importantes. De plus, en pratique, compte tenu de la taille de l’économie canadienne, il est fort probable que les transactions sur le marché ou les transactions stratégiques déclenchent la présomption de caractère anticoncurrentiel.

Si le Bureau de la concurrence du Canada ou le Tribunal de la concurrence détermine que la présomption structurelle est établie, les parties à la fusion peuvent tenter de réfuter cette présomption, mais il leur incombe de démontrer, en se fondant sur d’autres facteurs, qu’il est peu probable que la concurrence soit empêchée ou sensiblement diminuée.

Nous prévoyons que ces modifications feront en sorte qu’un nombre croissant de fusions seront contestées par le Bureau de la concurrence.

2.     D’autres fusions assujetties à un avis obligatoire

Les fusions qui atteignent certains seuils financiers doivent faire l’objet d’un avis soumis au Bureau de la concurrence avant leur clôture, ce qui permet au Bureau d’évaluer si ces fusions sont susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence avant que les transactions ne soient conclues. Les modifications récentes élargissent la portée du seuil de la taille de la cible pour inclure les ventes à l’importation, ce qui fera en sorte qu’un plus grand nombre de fusions seront visées par cette obligation d’avis préalable à la clôture.

Avant l’adoption du projet de loi C-59, ce seuil visait à déterminer si la cible acquise avait des actifs de 93 millions de dollars canadiens au Canada ou des revenus bruts de 93 millions de dollars provenant des ventes générées par ces actifs (soit par des ventes sur le marché intérieur canadien ou par des ventes à l’exportation à partir du Canada). Les modifications proposées dans le projet de loi C-59 élargissent les critères de revenus pour inclure également toutes les ventes que la cible effectue à destination du Canada, en plus des ventes sur le marché intérieur canadien et des exportations. Ce changement visera les transactions qui ne faisaient pas l’objet d’un avis préalable, particulièrement lorsque la cible a une présence modeste au Canada, mais qu’elle réalise des ventes importantes au Canada en provenance de ses établissements étrangers.

Pour une vue d’ensemble complète des seuils de déclenchement de l’obligation d’avis de fusion prévu par la Loi sur la concurrence, veuillez consulter notre tableau des seuils ici.

3.       Des mesures correctives plus étendues seront nécessaires pour remédier aux concentrations anticoncurrentielles

Avant les modifications du projet de loi C-59, il suffisait d’offrir une mesure corrective qui ferait probablement en sorte que la fusion ne nuise plus « sensiblement » à la concurrence.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-59 prévoient maintenant que les mesures visant à remédier à une fusion qui nuit sensiblement à la concurrence devraient rétablir la concurrence à son niveau antérieur. En revanche, si une fusion nuit à la concurrence, mais non sensiblement, elle pourra être conclue sans mesure corrective. Ce changement et l’absence de parallélisme (puisque les fusions ne peuvent être contestées que si elles sont susceptibles d’avoir une incidence substantielle sur la concurrence, mais si elles sont contestées, les mesures correctives doivent éliminer toute incidence sur la concurrence) peuvent inciter les parties à la fusion à trouver des mesures correctives préalables qui réparent un préjudice potentiel substantiel pour la concurrence avant l’envoi de l’avis de leur transaction au Bureau de la concurrence.

4.      Autres modifications du régime des fusions

En plus des changements importants susmentionnés, d’autres modifications récentes apportées à la Loi sur la concurrence :

  • abrogent la défense fondée sur les gains en efficience découlant d’une fusion (en date du 15 décembre 2023), qui permettait aux parties autorisées à une fusion de défendre une fusion par ailleurs anticoncurrentielle en établissant que les gains en efficience probables compenseraient les effets anticoncurrentiels de la fusion. Les parties à la fusion peuvent toujours se référer à l’efficience pour démontrer qu’une fusion ne sera pas anticoncurrentielle si cette efficience entraîne une baisse des coûts variables, une baisse des prix, de meilleures possibilités de collaboration et de partage des connaissances ou d’autres avantages qui peuvent améliorer le rendement de l’entreprise issue du regroupement;
  • font passer le délai pendant lequel le Bureau de la concurrence peut contester les fusions qui n’ont pas fait l’objet d’un avis formel d’un an à trois ans après la clôture;
  • exigent que le Bureau de la concurrence et le Tribunal de la concurrence tiennent compte de l’incidence d’une fusion sur le marché du travail lorsqu’ils déterminent si une fusion est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Bien que le Bureau ait indiqué qu’il tenait déjà compte de la concurrence sur le marché du travail lorsqu’il détermine si une fusion est anticoncurrentielle, cette modification constitue un signal du Parlement indiquant qu’il pourrait être nécessaire d’accorder plus d’importance aux considérations liées au marché de l’emploi dans le cadre des examens des fusions.
  • empêche les parties à la fusion de conclure des transactions jusqu’à ce que le Tribunal de la concurrence se prononce sur toute demande d’injonction provisoire déposée par le Bureau de la concurrence.

Restez à l’affût du prochain article de notre série qui traite des modifications de la Loi sur la concurrence. Si vous avez des questions ou des besoins en matière de droit de la concurrence, n’hésitez pas à communiquer avec le groupe Droit de la concurrence et de l’antitrust de McMillan ou avec votre personne-ressource chez McMillan.

Par : Le Groupe de la concurrence et de l’antitrust de McMillan[1]

[1] Le Groupe de la concurrence et de l’antitrust de McMillan remercie Natalie Cunningham (étudiante d’été) pour sa contribution à ce bulletin.

 

Annexe – Exemple de calcul de la concentration découlant d’une fusion

A) Présomption du caractère anticoncurrentiel de la fusion non applicable
 

Présomption du caractère anticoncurrentiel de la fusion non applicable : L’IHH a augmenté de 112 (> 100), mais la part de marché des parties à la fusion n’est que de 15 % (pas plus de 30 %) et le total de l’IHH du marché n’est que de 1 774 (inférieur à 1 800).

 

B)   Présomption du caractère anticoncurrentiel de la fusion applicable

Présomption du caractère anticoncurrentiel de la fusion applicable : L’IHH a augmenté de 112 (> 100) et l’HHI total du marché est de 2 294 (> 1 800).

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024

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