Nouveau régime canadien visant les accords de poursuite suspendue
Nouveau régime canadien visant les accords de poursuite suspendue
Devant la complexification et la mondialisation croissantes des entreprises, les États recherchent constamment de nouvelles façons de lutter contre la criminalité des sociétés et d’intenter des poursuites contre elles à cette fin. D’abord adoptés aux États‑Unis et au Royaume-Uni, les accords de poursuite suspendue (les « APS ») sont un moyen auquel les gouvernements recourent de plus en plus dans le monde pour tenir les sociétés responsables de leurs actes.
Suivant un processus de consultation publique qui s’est déroulé à l’automne de 2017, le gouvernement canadien a déposé au printemps de 2018 un projet de loi qui a mené à l’instauration d’un régime d’APS au Canada[1]. Le projet de loi C-74, qui modifie le Code criminel, établit un cadre pour l’utilisation des APS, à savoir le régime des accords de réparation, que les autorités poursuivantes peuvent offrir à titre de solution de rechange à des poursuites dans des circonstances précises. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 21 juin 2018, et les dispositions pertinentes entreront en vigueur 90 jours plus tard. Il est donc possible que les poursuivants commencent à offrir des accords de réparation dès septembre 2018.
Contexte
Les APS ou accords de réparation sont des accords officiels intervenant entre le poursuivant et un ou plusieurs accusés, normalement des entreprises, selon lesquels des accusations sont portées contre la partie en cause, mais les poursuites sont suspendues jusqu’à la fin d’une durée convenue. Si, à l’expiration de la durée d’un APS, la partie a respecté les conditions stipulées, les accusations sont abandonnées. Par contre, si la partie contrevient à l’accord, le poursuivant a la possibilité d’aller de l’avant avec les poursuites. Les APS sont le plus souvent utilisés en réponse à des crimes d’entreprises, notamment des crimes perpétrés par des sociétés ou par des personnes physiques agissant pour le compte de sociétés, et peuvent inclure des infractions comme la fraude, la corruption et les comportements anticoncurrentiels.
Les APS sont une formidable solution de rechange pour les autorités poursuivantes au Canada sur bien des plans. Les enquêtes sur les actes répréhensibles d’entreprises prennent du temps, sont incroyablement coûteuses et aboutissent rarement à des condamnations. En revanche, les APS incitent les entreprises à l’autodivulgation, ce qui permet de précieuses économies de temps et de ressources, y compris ceux des tribunaux. Les renseignements obtenus de sociétés permettent aux autorités poursuivantes de cibler les personnes physiques qui se sont livrées à la conduite illégale sans punir la société dans son ensemble. Les APS peuvent également être bénéfiques pour les victimes d’actes criminels, à qui ils permettent d’obtenir une restitution beaucoup plus tôt que si l’affaire avait procédé selon les rouages plus traditionnels des tribunaux criminels.
Nouveau régime canadien
Conformément au nouveau régime canadien, les poursuivants peuvent entamer des négociations sur un accord de réparation (c.‑à‑d. un APS) avec une organisation qui est accusée d’avoir commis une infraction prescrite. Ce régime emprunte abondamment au modèle des APS du Royaume-Uni, qui est assujetti à des normes, modalités et conditions similaires. Au Canada, les accords de réparation ne seront offerts qu’à des organisations (au sens donné à ce terme dans le Code criminel, à l’exclusion des corps constitués, des syndicats professionnels et des municipalités). Ils doivent en outre suivre le cadre réglementaire détaillé et être approuvés par un tribunal avant de pouvoir prendre effet.
Les poursuivants ne peuvent proposer des accords de réparation que s’ils sont d’avis qu’il existe une perspective raisonnable de condamnation, que si l’acte ou l’omission reproché n’a pas eu de conséquences graves, notamment n’est pas susceptible d’avoir causé des lésions corporelles ni un décès, qu’il est dans l’intérêt public de négocier un tel accord et que si le procureur général a consenti à la négociation de cet accord. Au moment d’établir si un accord est dans l’intérêt public, les poursuivants doivent tenir compte de facteurs précis, comme la nature et la gravité de l’infraction et le fait que l’organisation a pris ou non des mesures pour réparer le tort causé. Toutefois, il leur est interdit de tenir compte d’autres éléments, notamment de préoccupations relatives à l’intérêt économique national en ce qui a trait à des infractions à l’égard de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers.
Le régime prévoit un processus très détaillé et énonce précisément les éléments qui doivent obligatoirement figurer dans un accord de réparation. Bien que les poursuivants puissent à leur gré y inclure d’autres modalités, les accords doivent contenir les éléments de la liste non exhaustive suivante :
- Une déclaration convenue des faits relatifs à l’infraction qui est imputée à l’organisation;
- Une déclaration par laquelle l’organisation se reconnaît responsable de l’infraction;
- Un engagement de la part de l’organisation d’aider à identifier les personnes en cause et un engagement de sa part à collaborer à toute enquête;
- L’obligation de l’organisation de verser, le cas échéant, une pénalité pour l’infraction visée par l’accord et le montant à payer;
- L’obligation de l’organisation de remettre, le cas échéant, les biens, bénéfices ou avantages qui ont été obtenus par suite de l’infraction perpétrée;
- Les mesures de réparation que l’organisation est tenue de prendre à l’égard des victimes de l’infraction;
- Une mention du délai dans lequel l’organisation doit remplir les conditions de l’accord.
Les accords de réparation ne seront offerts que pour une liste prescrite d’infractions, qui comprend notamment des crimes économiques comme les actes de corruption, la fraude, le vol, la contrefaçon et l’usage de faux, ainsi que le recyclage des produits de la criminalité, de même que certains crimes prévus par la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers. Fait intéressant, les infractions relatives à la concurrence, comme celles que prévoit la Loi sur la concurrence, ne sont pas incluses dans la liste des infractions visées et ne pourront faire l’objet d’accords de réparation.
Conclusion
L’instauration des accords de réparation au Canada représente un important pas en avant dans la lutte contre la criminalité des entreprises. Toutefois, la législation canadienne actuelle n’est pas exempte de problèmes. Le texte de la loi est parfois ambigu, ce qui peut susciter de la confusion et des inquiétudes parmi les sociétés qui participeraient autrement à des négociations. Par exemple, dans le cas d’infractions relatives à la concurrence qui ne sont pas couvertes par le régime, on ne sait pas au juste si les sociétés qui négocient des accords de réparation à l’égard de certaines infractions pourraient néanmoins être accusées d’une infraction relative à la concurrence pour cette même conduite. Dans l’affirmative, cette situation pourrait considérablement réduire l’attrait de l’autodivulgation pour les organisations. Au bout du compte, seul le temps dira si la démarche actuelle du Canada s’avérera fructueuse dans la lutte contre la criminalité des entreprises ou si des changements devront être apportés au régime des accords de réparation.
par Guy Pinsonnault, Jamieson D. Virgin et Holly Sherlock (stagiaire)
[1] http://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-74/sanction-royal.
Mise en garde
Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
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