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Nouvelles mesures chinoises contre les sanctions : les entreprises canadiennes à Hong Kong doivent-elles s’inquiéter?

31 août 2021 Bulletin sur le commerce international Lecture de 6 min

Le comité permanent de l’Assemblée populaire nationale de Chine (l’« APN ») a adopté le 10 juin dernier une loi anti-sanctions étrangères (la « LASE »)[1] qui interdit aux organisations et aux particuliers d’aider des nations étrangères à imposer des sanctions contre la République populaire de Chine (la « Chine »). Ils doivent plutôt aider le gouvernement à mettre en œuvre des contre-mesures. L’APN, l’organe législatif suprême de la Chine, avait prévu d’intégrer la LASE au droit de Hong Kong, ce qui a semé l’inquiétude chez les entreprises canadiennes qui y ont des bureaux. Cette intégration est toutefois suspendue pour le moment, puisque la séance de l’APN de la semaine dernière s’est conclue sans qu’il en soit fait mention.

La LASE est le plus récent ajout au régime de sanctions de la Chine, qui compte déjà des règles de blocage et une liste d’entités non fiables. Ces mesures représentent la réplique du gouvernement chinois aux sanctions économiques, aux restrictions des importations et aux mesures de contrôle des exportations que de nombreux pays ont pris contre la Chine en raison des allégations de violation des droits de la personne des Ouïghours et d’autres minorités musulmanes dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang (le « Xinjiang »)[2].

Régime de sanctions de la Chine

Comme nous l’avons mentionné, la Chine a récemment adopté une série de mesures visant à protéger ses intérêts économiques.

Loi anti-sanctions étrangères

La LASE accorde au gouvernement de la Chine le pouvoir d’imposer des sanctions pour répliquer à des « mesures discriminatoires et restrictives » qui ciblent des citoyens chinois ou qui interfèrent avec les « affaires intérieures » du pays. Par ailleurs, il est interdit aux organisations et aux particuliers assujettis à la LASE de se conformer à des « mesures discriminatoires et restrictives » imposées contre la Chine par un autre pays. Ceux qui ne respectent pas la LASE peuvent engager leur responsabilité[3].

Règles de blocage 

En janvier 2021, le ministère du Commerce de la Chine a publié des règles de blocage qui visent à mettre en place un cadre de déclaration grâce auquel le gouvernement chinois repère les sanctions étrangères qui ont des effets extraterritoriaux restreignant la capacité des entreprises chinoises à participer à des « activités économiques, commerciales et connexes normales avec un autre État »[4].

Liste d’entités non fiables 

En septembre 2020, le ministère du Commerce de la Chine a publié une liste d’entités non fiables, soit des entités qui interrompent des « opérations ordinaires » réalisées avec une partie chinoise ou imposent des « mesures discriminatoires » qui vont à l’encontre des « principes transactionnels ordinaires du marché » et qui causent de « sérieux dommages aux droits ou aux intérêts légitimes » de cette partie. Les entités qui figurent sur cette liste sont passibles de diverses sanctions économiques[5]. Jusqu’ici, la Chine a ciblé le Canada en imposant des sanctions contre le député fédéral Michael Chong et le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes du Canada.

Ces mesures ont été prises en réponse à la multiplication des sanctions imposées à la Chine par les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne. Attardons-nous maintenant aux mesures prises par le Canada.

Mesures prises par le Canada contre la Chine

Le 23 mars 2021, le gouvernement du Canada a imposé des sanctions économiques à la Chine en application de la Loi sur les mesures économiques spéciales (la « Loi ») en raison de « violations flagrantes et systématiques des droits de la personne » au Xinjiang. Il est interdit « à toute personne se trouvant au Canada » et, de surcroît, « à tout Canadien se trouvant à l’étranger » de faire affaire avec les entités et les personnes physiques ciblées[6]. Cela signifie que les citoyens canadiens qui travaillent à Hong Kong et les entreprises canadiennes qui y exercent des activités doivent s’abstenir de faire affaire avec elles. La seule entité ciblée est Xinjiang Production and Construction Corps, une présumée organisation paramilitaire qui applique les politiques du gouvernement chinois au Xinjiang[7]. Ceux qui font affaire avec cette entité commettent une infraction à la Loi passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 25 000 $ ou d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.

Le Canada dispose aussi de mesures de contrôle des importations et des exportations qui ne visent pas directement la Chine, mais qui peuvent être invoquées pour réduire les échanges commerciaux avec ce pays. Par exemple, le Canada interdit l’importation de marchandises extraites, fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par du travail forcé dans une disposition du Tarif des douanes qui pourrait être utilisée pour proscrire l’importation de marchandises en provenance du Xinjiang[8]. Le pays dispose aussi de mesures de contrôle des exportations, prévues dans la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, qui peuvent donner lieu à l’interdiction d’exporter des marchandises et des technologies contrôlées s’il y a un risque important qu’elles servent à la commission ou à faciliter la commission d’une violation grave du droit international humanitaire ou des droits de la personne[9]. L’exportation de marchandises contrôlées pourrait donc être empêchée si l’on croit qu’elles seront envoyées au Xinjiang.

Enfin, le gouvernement du Canada oblige les entreprises canadiennes qui veulent exercer des activités au Xinjiang à signer la « Déclaration d’intégrité sur la conduite des affaires avec des entités du Xinjiang ». Elles doivent entre autres déclarer qu’elles n’obtiennent pas sciemment des produits ou des services d’un fournisseur impliqué dans le travail forcé ou d’autres violations des droits de la personne. Celles qui ne la signent pas ou qui ne collaborent pas de bonne foi pourraient se voir retirer le soutien commercial du gouvernement canadien et refuser une éventuelle aide financière de l’organisme de crédit à l’exportation Exportation et développement Canada. Même s’il ne s’agit pas d’une sanction économique, le gouvernement chinois pourrait voir cette obligation comme une « mesure discriminatoire et restrictive ».

Maux de tête en vue pour les entreprises canadiennes à Hong Kong

Si la LASE est intégrée au droit de Hong Kong, la communauté des affaires canadienne là-bas pourrait se retrouver dans une situation sans issue. Si une entreprise canadienne, aussi improbable que cela puisse paraître, s’apprête à faire affaire avec Xinjiang Production and Construction Corps et qu’elle décide d’aller de l’avant, elle risque d’enfreindre les sanctions économiques imposées par le Canada. Par contre, si elle décide de couper les ponts avec l’entité, elle s’expose à une poursuite des autorités hongkongaises pour s’être conformée à des « mesures discriminatoires et restrictives » en violation de la LASE.

Pour le moment, très peu de personnes et d’entités sont visées par les sanctions du Canada, alors il est peu probable qu’elles causent un réel problème aux entreprises canadiennes. Cela pourrait toutefois changer si les tensions entre le Canada et la Chine, comme celles provoquées par l’arrestation à Vancouver de la directrice financière de Huawei Meng Wanzhou et la détention subséquente de Michael Spavor et Michael Kovrig à Beijing, persistent. L’ajout de conglomérats comme Huawei et ZTE à la liste du Canada pourrait provoquer bien des maux de tête.

Le Canada et les lois de blocage : l’exemple de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères

Le Canada a déjà imposé des mesures similaires aux règles de blocage de la Chine en vertu de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères (la « LMEE »)[10]. Dans les années 90, dans le contexte des tensions commerciales entre les États-Unis et Cuba, le Canada a pris l’Arrêté de 1992 sur les mesures extraterritoriales étrangères (États-Unis), qui obligeait les entreprises canadiennes à aviser le gouvernement si elles recevaient des communications, généralement d’une société mère américaine, concernant le commerce entre le Canada et Cuba[11]. Pour en savoir plus à ce sujet, consultez notre bulletin publié en mai 2019. Ces entreprises se trouvaient donc prises entre l’interdiction (de la part du Canada) et l’obligation (de la part de leur société mère américaine) de respecter les sanctions imposées à Cuba par les États-Unis. L’expérience canadienne montre que les accrocs à ces lois ne sont pas toujours punis sévèrement. Les entreprises auront donc peut-être à évaluer dans quelle mesure chacune des lois risque d’être mise en application, et dans quelle mesure des sanctions risquent d’être imposées, pour choisir laquelle respecter.

Conclusion

On ne sait pas encore si la LASE sera effectivement introduite dans le droit hongkongais. La seule possibilité qu’elle le soit accentue déjà les risques liés à la conformité pour les entreprises canadiennes qui exerce des activités sur ce territoire. La conduite des affaires à Hong Kong pourrait s’en trouver compliquée, surtout si le Canada ajoute des entités à sa liste. Ces obstacles sont toutefois loin d’être insurmontables, comme en témoigne l’utilisation de l’arrêté de la LMEE par le passé. Avec l’aide de conseillers juridiques compétents des deux territoires, les entreprises canadiennes de Hong Kong peuvent atténuer le risque qu’on leur reproche un manquement aux mesures de l’un ou de l’autre.

[1]Voir la traduction anglaise non officielle de la loi anti-sanctions étrangères de la Chine.
[2]Pour en savoir plus sur les sanctions américaines, consultez notre bulletin publié en juillet 2021.
[3]Voir la traduction anglaise non officielle de la loi anti-sanctions étrangères de la Chine, articles 11 et 12.
[4]Ministère du Commerce, arrêté no1 de 2021, Rules on Counteracting Unjustified Extra-territorial Application of Foreign Legislation and Other Measures, article 2 [traduction].
[5]Ministère du Commerce, arrêté no4 de 2020, Provisions on the Unreliable Entity List, article 2 [traduction].
[6]Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la République populaire de Chine, DORS/2021-49, art 3.
[7]Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la République populaire de Chine, DORS/2021-49, Annexe, parties I et II.
[8]Tarif des douanes, LC 1997, c 36, s.-al. 132(1)m)(i.1).
[9]Loi sur les licences d’exportation et d’importation, LRC 1985, c E-19, al 7.3(1)b).
[10]Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, LRC 1985, c F-29.
[11]Arrêté de 1992 sur les mesures extraterritoriales étrangères (États-Unis), DORS/92-584.

par Stephen Wortley et Chris Scheitterlein (avec l’aide de Tayler Ferrell, stagiaire en droit)

McMillan est le seul cabinet d’avocats national canadien qui a un bureau à Hong Kong et qui conseille régulièrement des clients à propos d’investissements en Chine continentale et au Canada, se servant dans les deux cas de Hong Kong comme point d’ancrage.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2021

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