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Pandémies et épidémies : Faire face au risque dans les projets de PPP

11 mai 2020 Bulletin sur les partenariats public-privé Lecture de 6 min

Les conventions visant des projets de partenariat public-privé (PPP) au Canada contiennent une liste de types et de formulations d’événements imprévisibles, ainsi que des dispositions relatives aux situations d’urgence et aux changements législatifs qui sont beaucoup plus détaillées que les normes du CCDC utilisées pour les projets de construction. Néanmoins, très peu de conventions de projet accordent expressément une forme quelconque de soutien lors d’une pandémie ou d’une épidémie, tandis que d’autres sont ambiguës quant à la manière dont ces événements sont traités. Il en résulte que les partenaires privés ont du mal à donner un sens à leurs obligations d’exécution en pleine crise de la COVID-19, ce qui pourrait les rendre responsables en cas de retards, de dépassements de coûts et de déductions pour défauts de service. Par ailleurs, les partenaires privés doivent concilier ces obligations contractuelles avec leurs obligations et responsabilités juridiques, civiques et sociales d’entreprise en matière de santé et de sécurité, notamment en ce qui concerne les mesures d’éloignement et d’isolement social.

La crise de la COVID-19 a incité les participants aux PPP à explorer les moyens de relever les défis auxquels l’industrie est actuellement confrontée[1], mais elle nous rappelle aussi brutalement qu’un réétalonnage de la répartition des risques des PPP est nécessaire à l’avenir. Le secteur public devrait expressément assumer les risques plus larges associés à l’éclosion de maladies, aux pandémies et aux épidémies de manière plus générale. En même temps, on peut demander aux partenaires privés d’assumer certains risques quantifiables et contrôlables associés à de futurs événements de pandémie lorsque ces risques (ou les hypothèses de risque) sont identifiés et spécifiés au début du processus de passation de marché.

Répartir le risque

Comme le nom l’indique, les PPP représentent un « partenariat » entre l’autorité du secteur public et le partenaire du secteur privé. L’élément central de toutes les conventions de PPP est la répartition contractuelle des risques et des responsabilités à la partie la plus apte à les gérer de manière efficace et efficiente[2]. Les conventions de projet s’articulent autour du principe selon lequel les partenaires privés prennent en charge l’exécution du projet et des risques quantifiables similaires, tandis que l’autorité adjudicatrice assume (ou partage) le risque de retards (et parfois les coûts) attribuables à des événements qui ne sont pas sous le contrôle du partenaire privé, non quantifiables ou non assurables. Il est essentiel que les risques liés au projet soient correctement identifiés et répartis entre les parties afin d’encourager une tarification efficace et un bon rapport qualité-prix. Une convention de projet qui ne répartit pas les risques de manière appropriée peut entraîner l’échec du projet ou en faire augmenter les coûts globaux, qui sont à leur tour répercutés sur les contribuables.

Ainsi, presque toutes les conventions visant des projets de PPP prévoient, au minimum, certains événements de force majeure (par exemple, la guerre, le terrorisme, les embargos et autres situations similaires équivalant à une force majeure) qui donnent au partenaire privé le droit à une forme quelconque de soutien limité. Toutefois, la plupart des conventions de projet excluent les éclosions de maladies, les pandémies et les épidémies de leur liste limitée d’événements imprévisibles, même si ces événements sont également hors du contrôle du partenaire privé et ne sont ni quantifiables ni assurables.

La COVID-19 a donné au marché un aperçu de la manière dont une pandémie peut affecter le secteur privé. Elle peut entraîner des restrictions gouvernementales imprévisibles et variables, des pénuries de main-d’œuvre, la volatilité des marchés financiers et des perturbations dans l’approvisionnement. Elle touche l’ensemble de l’industrie et, dans la plupart des cas, le secteur privé n’est pas en mesure d’atténuer ces impacts de façon significative.  Les effets de la COVID-19 sont non quantifiables, imprévisibles, non assurables et ne peuvent pas être atténués de manière différenciée par les participants du secteur – un authentique événement imprévisible. Si l’on demande au secteur privé de fixer le prix de ce type de risques, on ne soutient pas l’esprit de la répartition des risques sur laquelle sont basés les contrats de PPP et on n’adhère pas au principe du rapport qualité-prix que le modèle de PPP s’efforce d’atteindre. Ainsi, le risque d’éclosions de maladies, de pandémies et d’épidémies, comme d’autres événements imprévus qui existent déjà dans les conventions de projet, devrait être assumé par le secteur public. Le partenaire privé devrait avoir droit à un allègement dans la mesure où ces événements augmentent manifestement les coûts, ont un impact sur les progrès ou interrompent l’exécution aux termes du projet.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de possibilité pour un certain partage des risques entre les parties. Des événements spécifiques qui peuvent être accessoires à l’événement de pandémie lui-même et qui sont quantifiables et contrôlables peuvent être attribués au partenaire privé et, avec les bonnes hypothèses et les bons paramètres, produire des prix précis et serrés pendant le processus d’appel d’offres. Sur la base des enseignements tirés de la COVID-19, on pourrait élaborer des cadres plus spécifiques et plus détaillés pour traiter de certains aspects de santé et sécurité et de la planification de la gestion de la pandémie. Cela permettrait aux soumissionnaires d’évaluer ces aspects, qui pourraient devenir des éléments permanents ou récurrents de l’industrie, et de fixer les prix s’y rapportant. Lorsque de tels risques (ou hypothèses de risque) sont identifiés et spécifiés au début du processus de passation de marché, le partenaire privé est mieux à même d’en fixer le prix et de les assumer.

Structurer le soutien

Le soutien apporté en cas d’éclosions de maladies, de pandémies et d’épidémies ne peut se limiter à l’incidence, à la propagation ou à la localisation du virus. La crise de la COVID-19 a montré que les mesures prises par les gouvernements et le grand public pour contrôler et réduire les effets du virus peuvent être plus perturbatrices que la maladie causée par le virus lui-même. La crainte et l’anxiété générales du grand public et de la population active, les fermetures d’usines de fabrication dans le monde entier, la fermeture des frontières internationales et interprovinciales, ainsi que les ordonnances, directives et lignes directrices gouvernementales contribuent toutes à ralentir les activités de construction ou de maintenance, à provoquer des pénuries de main-d’œuvre et à perturber la chaîne d’approvisionnement.

Les mesures de soutien en cas d’événement imprévu doivent tenir compte de tous ces facteurs corrélés afin de garantir une répartition juste et raisonnable des risques :

  • Les documents de projet doivent inclure une meilleure appréciation de la nature multidimensionnelle des catastrophes mondiales comme les pandémies et les épidémies.  Par exemple, une fermeture dans un pays peut avoir des effets importants sur l’offre ou la fourniture de matériaux, d’équipements et de main-d’œuvre pour un projet dans un autre pays.  Les conventions de projet existantes (et même de nombreuses autorités adjudicatrices qui envisagent des mesures de soutien aux pandémies dans le cadre de futures conventions de projet) ignorent souvent les conséquences d’une chaîne d’approvisionnement mondiale hautement intégrée et les relations entre les participants locaux, nationaux et internationaux aux projets.
  • Au minimum, les mesures de soutien devraient inclure une prolongation du délai pour les retards pendant la période de construction et exclure les déductions pour les défauts de service pendant la période opérationnelle.
  • Les mesures de soutien devraient inclure le paiement des coûts directs du partenaire privé ainsi que le service de la dette accumulée et les distributions au titre des capitaux propres auxquelles il a renoncé.  Ceci est particulièrement important pour garantir l’efficacité de la tarification et la viabilité financière des projets dont la clôture est envisagée pendant un événement imprévisible en cours.

Le cadre des mesures de soutien offre également un certain potentiel de partage des risques. Par exemple, certains mécanismes de partage des risques tels que les allocations de coûts peuvent être utilisés, en même temps que les mesures expresses de soutien liées aux événements imprévus, pour les événements conditionnels et leurs conséquences, ce qui donne aux participants la flexibilité nécessaire pour harmoniser la productivité avec les mesures de santé et de sécurité.

Au-delà des pandémies et des épidémies

Outre le besoin immédiat de répondre aux impacts de la COVID-19 dans les marchés publics en cours, il est important pour l’industrie des PPP de clarifier le langage contractuel pour les futurs marchés publics afin de traiter spécifiquement des événements imprévisibles mondiaux et locaux similaires. La crise de la COVID-19 a rapidement mis au premier plan les questions liées à la répartition des risques qui étaient demeurées dans l’ombre. Les projets sur le marché canadien étant devenus plus complexes et plus importants au fil du temps, les litiges concernant les réclamations matérielles ont augmenté, et de nombreux participants du secteur privé ont exprimé leurs préoccupations quant à la tendance à un transfert accru des risques vers le secteur privé[3].  Alors que l’industrie des PPP travaille de concert pour équilibrer les intérêts de ses parties prenantes à la lumière de la crise de la COVID-19, elle devrait saisir l’occasion d’évaluer en collaboration le modèle de répartition des risques existant, en utilisant les leçons apprises et les fruits de l’expérience actuelle.

par Julie Han et Ahsan Mirza

[1] Voir, par exemple, Tim Murphy et Drew Fagan, « Canada’s Infrastructure Bank: An Opportunity to Step Up and Rebuild Canada’s Post-Pandemic Economy », bulletin du Groupe d’affaires publiques McMillan aVantage (6 mai 2020).
[2] Timothy J. Murphy, Public-Private Partnerships in Canada: Law, Policy and Value for Money (Toronto: LexisNexis Canada, 2019) p. 143.
[3] Voir, par exemple, Lucy Saddleton, « Contractors call for changes to P3 model to address issue of risk transfer », The Canadian Lawyer Magazine (5 mars 2020).

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020

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