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Plateformes de cryptomonnaie : pression et orientation de la part des organismes de réglementation canadiens

7 juillet 2021 Bulletin sur les marchés des capitaux et valeurs mobilières Lecture de 7 min

Le 29 mars dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (l’« OCRCVM » et, conjointement avec les ACVM, (les « Autorités ») ont publié l’Avis conjoint 21-329 du personnel (l’« Avis »). Celui-ci indique clairement que les Autorités comptent appliquer la législation canadienne en valeurs mobilières aux « plateformes de négociation de cryptoactifs » (les « PNC ») et fait état des obstacles réglementaires qui attendent celles qui souhaitent faire des affaires au Canada. Il démontre aussi que la popularité grandissante des cryptoactifs auprès des investisseurs a fait de la réglementation des PNC une priorité.

L’Avis est publié en pleine croissance du secteur de la cryptomonnaie. La cotation directe de Coinbase, la plus importante plateforme des États-Unis (en volume des opérations), était l’une des entrées en bourse les plus attendues de 2021, et la capitalisation boursière du marché des cryptomonnaies a dépassé les 2 billions de dollars américains après avoir doublé cette année[1].

Depuis la publication de l’Avis, les Autorités ont fait des mises en garde au public et entamé des procédures contre des PNC qui ne se sont pas inscrites. Les sociétés mères de Kucoin[2] et de Poloniex[3], des entreprises de négociation de cryptomonnaies, sont les deux plus récentes cibles des efforts de mise en application de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO »). D’autres organismes de réglementation d’ailleurs ont aussi fait des interventions de la sorte, dont la SEC, aux États-Unis, et la Financial Conduct Authority, au Royaume-Uni.

Avant la publication de l’Avis, la CVMO appliquait les règlements aux PNC au cas par cas. McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. (« McMillan ») a été l’un des premiers cabinets à offrir des conseils juridiques sur ces questions. Les avocats de McMillan ont négocié les premiers règlements impliquant des PNC dans des causes réglementaires au Canada[4]. Ils ont également discuté avec la Rampe de lancement de la CVMO pour le compte de clients du domaine des technologies financières qui explorent des modèles d’affaires novateurs faisant intervenir des cryptoactifs.

Pour en savoir plus sur les nouveautés antérieures au sujet de la réglementation des PNC au Canada, consultez notre bulletin Mise à jour touchant la législation en valeurs mobilières à l’égard de la cryptomonnaie – Cadre de plateforme et fournisseurs de services.

PNC, plateformes de courtier et plateformes de marché

L’Avis a été publié dans une tentative d’établir un consensus et d’assurer une constance dans le traitement des PNC. La question au cœur des décisions antérieures était de savoir si la cryptomonnaie était en elle-même une valeur mobilière. On ne peut dégager de position claire à cet égard, mais la plupart des affaires réglementaires concernant les PNC consistaient à déterminer si les contrats sur cryptoactifs négociés sur des PNC répondaient à la définition de « contrats dérivés » en droit canadien. En abordant l’enjeu de cette façon, on évitait de devoir répondre à la question plus complexe de déterminer si une cryptomonnaie donnée est une « valeur mobilière ». Le traitement des contrats sur cryptoactifs comme étant des contrats dérivés a été bien reçu par les organes judiciaires des Autorités, comme le Tribunal de la CVMO.

Selon l’Avis, une PNC est une plateforme qui facilite la négociation a) de cryptoactifs qui sont des valeurs mobilières (des « jetons de titre ») ou b) d’instruments ou de contrats qui visent des cryptoactifs (des « contrats sur cryptoactifs »)[5].

Il indique aussi que les exigences réglementaires applicables varieront selon que le PNC est une « plateforme de courtier » ou une « plateforme de marché ».

Principales activités des courtiers

Les deux principales activités exercées par une PNC qui est une plateforme de courtier sont :

  • faciliter uniquement le placement initial de jetons de titre;
  • agir à titre de contrepartie lors de chaque opération sur des jetons de titre ou des contrats sur cryptoactifs, sans qu’il y ait d’interactions entre les utilisateurs sur la PNC.

Principales caractéristiques des marchés

Aux yeux des Autorités, une PNC est plutôt une plateforme de marché si elle :

  • établit, tient ou offre un marché ou un mécanisme permettant aux acheteurs et vendeurs de jetons de titre ou de contrats sur cryptoactifs ou aux parties à ceux-ci de se rencontrer;
  • réunit les ordres de nombreux acheteurs et vendeurs de jetons de titre ou de contrats sur cryptoactifs, ou de parties à ceux-ci;
  • utilise des méthodes éprouvées, non discrétionnaires, selon lesquelles les ordres sur des jetons de titre ou des contrats sur cryptoactifs interagissent, et les acheteurs et les vendeurs ou les parties qui passent des ordres s’entendent sur les conditions d’une opération.

Exigences réglementaires

Les plateformes de courtier doivent s’inscrire à titre de courtier de la catégorie qui correspond à ses activités. Une plateforme de courtier qui n’offre pas de marges ni de prêts et ne fait que faciliter le placement de jetons de titre en vertu de dispenses de prospectus sera généralement tenue de s’inscrire à titre de courtier sur le marché dispensé ou de courtier d’exercice restreint, selon le cas. Si elle offre des marges ou des prêts pour l’acquisition de jetons de titre, elle doit s’inscrire à titre de courtier en placement et adhérer à l’OCRCVM. L’Avis précise aussi que les plateformes de courtier qui effectuent des opérations sur contrats sur cryptoactifs sont également tenues de s’inscrire à titre de courtier de la bonne catégorie. De plus, si elles effectuent des opérations pour le compte d’investisseurs individuels qui sont des personnes physiques, elles devront généralement s’inscrire à titre de courtiers en placement et devenir membres de l’OCRCVM.

Les sociétés inscrites existantes qui lancent des produits ou des services de cryptoactifs doivent signaler ce changement dans leurs activités commerciales.

L’Avis indique que les dispositions applicables aux marchés du cadre réglementaire existant s’appliqueront aussi aux plateformes de marché. Les activités de négociation effectuées sur les plateformes de marché seront, selon toute vraisemblance, soumises à des exigences en matière d’intégrité du marché, et ces plateformes seront exploitées sous la supervision des ACVM et de l’OCRCVM. De plus, les règlements applicables aux bourses pourraient aussi s’appliquer aux plateformes de marché. Si une plateforme de marché permet la négociation de jetons de titre et réglemente leurs émetteurs, ou réglemente les participants de la négociation et leur impose des sanctions qui vont au-delà du simple refus d’accès, elle sera probablement considérée comme une bourse. Les plateformes de marché qui exercent les activités d’une bourse doivent obtenir une reconnaissance (ou une dispense de reconnaissance) à ce titre.

Par ailleurs, l’Avis indique très clairement que les plateformes de marché et les plateformes de courtier ne sont pas des catégories mutuellement exclusives. Les plateformes de marché qui exercent des activités semblables à celles des plateformes de courtier sont soumises aux règlements sur les courtiers applicables, et vice-versa.

Dans l’ensemble, l’Avis sert un important rappel aux PNC étrangères qui ont des clients canadiens : elles sont soumises aux lois canadiennes sur les valeurs mobilières.

Adaptation des obligations réglementaires et approche provisoire

Dans leur Avis, les Autorités indiquent très clairement qu’elles s’attendent à ce que les PNC respectent la législation canadienne en valeurs mobilières. Toutefois, pour stimuler l’innovation, elles font preuve de souplesse en prévoyant une période de transition, compte tenu a) du temps nécessaire pour préparer la demande d’inscription et la demande d’adhésion à l’OCRCVM nécessaires et les obtenir et b) de la réalité des PNC qui veulent tester des idées novatrices dans une industrie qui évolue rapidement.

Par conséquent, une PNC qui n’offre pas de prêts ou de négociation sur marge et qui n’agit pas comme une bourse sera probablement d’abord tenue de s’inscrire à titre de courtier d’exercice restreint ou de courtier sur le marché dispensé et de s’inscrire à titre de courtier en placement plus tard. Cette approche provisoire permettra à la PNC d’exercer ses activités selon des conditions adaptées à son modèle d’affaires. Pour ce qui est des plateformes de marché qui exercent les fonctions d’une bourse, les Autorités semblent prêtes à se pencher sur la nécessité de les reconnaître à ce titre pendant la transition afin d’adapter les exigences réglementaires aux modèles d’affaires des entités visées par l’Avis.

Application et effets

Dans des dossiers antérieurs et actuels d’application des règlements visant des PNC, la CVMO a demandé l’imposition de toutes sortes de mesures correctives et punitives pour le non-respect allégué de la législation en valeurs mobilières. Dans l’affaire Poloniex, la CVMO veut que Poloniex :

  • cesse, de façon permanente ou temporaire, de faire des opérations sur titres ou sur dérivés;
  • se voit interdire, de façon permanente ou temporaire, d’acquérir toute valeur mobilière;
  • soit réprimandée;
  • se voit interdire, de façon permanente, d’agir à titre de personne inscrite, de gestionnaire de fonds d’investissement ou de promoteur au sens des règlements sur les valeurs mobilières;
  • remette à la CVMO toutes les sommes obtenues auprès d’utilisateurs ontariens;
  • paie les dépens et des pénalités supplémentaires[6].

Dorénavant, étant donné la taille relative du marché canadien, les PNC choisiront probablement tout simplement de ne plus exercer de telles activités pour éviter de s’exposer à des sanctions. Les particularités, les coûts et les inconvénients associés à une inscription au Canada (à supposer qu’elles y soient admissibles) poussent les PNC à ne pas offrir leurs produits aux Canadiens. Il est plutôt utopique de penser que des PNC qui offrent des services partout dans le monde, dans une douzaine, voire une centaine de pays, vont apporter des changements considérables à leur entreprise pour satisfaire aux exigences particulières des Autorités. Ce n’est donc pas surprenant que le 25 juin dernier, Binance, la plus importante plateforme d’échange de cryptomonnaie au monde (en volume des opérations), a annoncé qu’elle cesserait ses activités auprès des utilisateurs de l’Ontario[7]. Il est toutefois encourageant de voir qu’en publiant l’Avis et en adoptant une approche provisoire pour l’inscription, les Autorités emploient des outils d’application autres que la voie judiciaire.

Il y a toutefois lieu de se demander si l’Avis tient suffisamment compte de l’influence des technologies sur les PNC. Le processus énoncé dans l’Avis et les mesures d’application qui y sont liées sont-ils vraiment à l’avantage des Canadiens qui souhaitent négocier des contrats sur cryptoactifs ou des jetons de titre et qui ont des options pour ce faire à l’étranger? Ces technologies servent à décentraliser la monnaie elle-même. Sachant cela, l’approche du Canada, qui consiste à tenter d’insérer la cryptomonnaie dans les régimes existants, est-elle vraiment la bonne? Chose certaine, les PNC devront s’adapter aux exigences des Autorités jusqu’à ce qu’une nouvelle approche soit adoptée.

[1] Voir Crypto Market Cap Surpasses $2 Trillion After Doubling This Year.
[2] Voir Statement of Allegations: In the Matter of Mek Global Limited and PhoenixFin Pte. Ltd.
[3] Voir Statement of Allegations: In the Matter of Polo Digital Assets, Ltd.
[4] Voir, par exemple, eToro (Europe) Limited, 2018 ONSEC 49 (eToro) et International Capital Markets Pty. Ltd. (Re), 2019 ONSEC 28.
[5] Parmi les PNC qui facilitent la négociation de contrats sur cryptoactifs se trouvent les plateformes qui permettent aux utilisateurs d’acheter et de vendre des cryptoactifs, mais ne leur accordent qu’un droit contractuel ou une créance sur ceux-ci. L’exploitant de la plateforme n’est pas non plus tenu de remettre le cryptoactif à l’utilisateur immédiatement. Voir l’Avis 21-327 du personnel des ACVM.
[6] Supra, note 3.
[7] Voir Binance Terms of Use Review (2021-06-25).

par Matthew DeAmorim, Adam Chisholm et Raj Dewan

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2021

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