Possibles incidences du conflit en Ukraine sur les contrats entre entreprises russes et canadiennes
Possibles incidences du conflit en Ukraine sur les contrats entre entreprises russes et canadiennes
Vu l’invasion de l’Ukraine et les sanctions économiques imposées en conséquence, les entreprises canadiennes qui ont conclu des contrats commerciaux avec des entités russes sont maintenant exposées à des risques sur le plan juridique et de leur réputation. Comme nombre d’ententes ne peuvent plus être pleinement exécutées en raison de contraintes physiques ou juridiques, les entreprises canadiennes doivent connaître les conséquences d’une résiliation ou d’une inexécution pour elles et leurs cocontractants.
McMillan fait régulièrement le point sur les saisissantes sanctions économiques imposées par le Canada en réaction à la guerre. Consultez les plus récents bulletins ici et ici. Se voulant un complément, le présent bulletin présente trois outils juridiques que les entreprises devraient connaître si la conjoncture les empêche d’exécuter des contrats.
1. Respect des sanctions et des politiques publiques du Canada
Les entreprises canadiennes qui ont conclu des contrats commerciaux avec des parties russes devraient tout d’abord lire les clauses sur le droit applicable et le règlement des différends. Ce sont les lois applicables qui, avec les modalités du contrat, déterminent si une partie a le droit de résilier le contrat ou si un principe comme celui de la force majeure permet d’excuser son inexécution. Les contrats prévoient aussi parfois que les différends doivent être réglés devant des tribunaux canadiens ou étrangers, ou encore par voie d’arbitrage international.
Quoi que disent ces clauses, un contrat peut être inexécutable s’il va à l’encontre d’une politique publique du Canada, une question d’espèce dont la réponse, dans un contexte qui évolue à une vitesse aussi fulgurante, est difficile à prédire. Cela dit, de manière générale, un contrat est inexécutable s’il exige qu’une partie commette un acte illégal, comme enfreindre des sanctions économiques. Suivant l’évolution de la situation, d’autres considérations d’ordre public pourraient soulever des questions morales fondamentales rendant un contrat inexécutable même en l’absence d’acte à proprement parler illégal.
Une politique publique peut aussi pousser un tribunal canadien à refuser de reconnaître et d’appliquer un jugement ou une sentence arbitrale provenant de l’étranger. Par exemple, si une partie est jugée responsable par une cour étrangère ou un tribunal international d’arbitrage siégeant à l’étranger d’avoir manqué à un contrat pour respecter une sanction canadienne, les tribunaux canadiens pourraient refuser d’appliquer cette décision ou de prononcer un jugement contre cette partie au Canada. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il y a incompatibilité avec le droit canadien qu’il y a nécessairement une politique publique en jeu. La décision étrangère doit toucher les valeurs morales fondamentales ou l’ordre public.
2. Clauses de force majeure et suspension des obligations
Les entreprises qui font affaire avec des entités russes ou dont les activités sont perturbées par la guerre en Ukraine devraient aussi vérifier si leurs contrats commerciaux contiennent une clause de force majeure. Cette clause stipule qu’une partie peut suspendre ses obligations si, pour des motifs précis et indépendants de sa volonté (comme la guerre, les troubles civils, l’insurrection et d’autres situations qui empêchent le contrat d’être exécuté comme prévu), elle ne peut s’en acquitter.
Dans la plupart des territoires de common law, la force majeure ne peut être invoquée que si elle est prévue au contrat. En revanche, dans nombre de territoires régis par le droit civil, dont le Québec, la force majeure s’applique par l’effet de la loi, même si elle ne fait pas l’objet d’une clause.
Tant en common law qu’en droit civil, la portée et les effets d’un cas de force majeure dépendront du libellé du contrat. Certaines clauses prévoient la suspension d’obligations bien précises, sans effet sur les autres. D’autres clauses permettent à une partie de mettre fin à l’intégralité du contrat après un certain temps, établissent un processus et stipulent qui doit assumer les coûts ou autres conséquences.
Les entreprises canadiennes devraient vérifier si leurs contrats contiennent une clause de force majeure et, le cas échéant, demander un avis sur sa portée et ses conséquences dans le contexte actuel afin de savoir si elles peuvent l’invoquer et comment le faire. Le contrat pourrait exiger, par exemple, la remise d’un avis ou la prise d’autres mesures pour que la clause de force majeure puisse être valablement invoquée.
3. Principe de l’impossibilité d’exécution et résiliation des obligations contractuelles
Si l’objectif d’un contrat tel qu’il a été initialement prévu devient impossible à atteindre, le principe de l’impossibilité d’exécution peut s’appliquer, auquel cas les deux parties peuvent être libérées de leurs obligations. Cela peut par exemple survenir si une guerre mène à la destruction matérielle de l’objet du contrat, ou encore si des sanctions économiques interdisent toute opération avec des entités russes désignées ou relativement à leurs biens, l’exécution constituant dans ce dernier cas un acte illégal. Dans de tels cas, la fin du contrat peut être reconnue.
Toutefois, la barre à atteindre pour appliquer ce principe est haute. Non seulement les parties doivent-elles être dans l’impossibilité immédiate d’exécuter le contrat de la manière prévue, mais la situation doit avoir un certain degré de permanence qui justifie la fin du contrat. L’impossibilité d’exécution doit être évaluée au cas par cas, mais une guerre et des sanctions économiques peuvent être un motif suffisant si elles sont par nature d’une durée indéterminée.
Ce principe n’est pas la solution à tout : les tribunaux pourraient aussi mettre fin à certaines parties précises du contrat, mais laisser le reste en vigueur. Ils étudient alors le contrat pour déterminer quels sont les aspects qui peuvent encore être exécuté et si les parties avaient, au moment de la conclusion, prévu le risque que certains événements surviennent. Dans la mesure où certains aspects du contrat demeurent exécutables, ou s’ils estiment que les parties auraient raisonnablement pu prévoir la survenance de l’événement visé, ils pourraient hésiter à libérer complètement les parties de leurs obligations.
Par conséquent, les entreprises canadiennes dont l’exécution d’obligations contractuelles est mise à mal par la situation actuelle doivent déterminer pourquoi ils ne peuvent s’en acquitter, et dans quelle mesure.
Les spécialistes du litige commercial de McMillan aident leurs clients à démêler les problèmes les plus épineux. Ils travaillent régulièrement dans des dossiers de litiges transfrontaliers et d’arbitrage international et prodiguent des conseils sur des situations politiques et économiques dynamiques. Ils collaborent aussi étroitement avec les experts en commerce de McMillan sur des enjeux liés aux sanctions économiques et divers dossiers réglementaires.
par Robert Wisner, Éric Vallières et Tom Hatfield
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022
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