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Préparez-vous! Le plastique est maintenant une « substance toxique » aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement

19 juillet 2021 Bulletin sur la réglementation et l'environnement Lecture de 6 min

L’automne dernier, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique annonçait le plan du gouvernement fédéral pour l’éradication des déchets plastiques au pays. Des modifications majeures ont depuis été apportées à la réglementation fédérale. Notamment, le plastique est maintenant considéré comme une « substance toxique » aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)[1] (« LCPE »). De plus, le gouvernement se penche actuellement sur des propositions de modifications visant à interdire l’exportation d’articles en plastique aux fins d’élimination.

Ce troisième bulletin de notre série « Préparez-vous! » sur les interdictions et la réglementation relatives aux plastiques à usage unique[2] s’attarde aux répercussions des modifications proposées ou récemment apportées à la LCPE sur les entreprises.

Le plastique, une « substance toxique »

Le 23 avril 2021, l’administrateur en conseil du Canada a pris un décret pour ajouter les « articles manufacturés en plastique » à la liste des substances toxiques de l’annexe 1 de la LCPE (le « décret »). La modification est entrée en vigueur la journée même[3]. À l’origine du décret se trouve la quantité de plus en plus inquiétante de plastique qui est rejetée dans l’environnement (par enfouissement et par incinération, notamment) plutôt que recyclée. Dans son décret, l’administrateur en conseil souligne que sur les quelque 3 268 kilotonnes de plastique générées au Canada en 2016, seulement 305 (soit 9 %) ont été recyclées. Or, la pollution plastique est nocive pour l’environnement et les animaux, puisqu’elle perturbe les écosystèmes et contribue au transport de maladies.

Le décret a été pris à la suite de consultations menées auprès des parties prenantes d’avril 2018 à mai 2020 pour discuter des obstacles et des solutions pour l’atteinte de l’objectif de zéro déchet de plastique que s’est fixé le Canada. Le fait de qualifier de « toxique » une substance que les Canadiens utilisent quotidiennement en a fait sourciller plus d’un, mais cette mesure était nécessaire : dans sa forme actuelle, la LCPE exige que les produits, les matières et les composés soient classés ainsi pour que des limites soient imposées à leur utilisation et à leur élimination.

La définition d’« articles manufacturés en plastique », qui ne figure pas dans le texte même de la LCPE, est donnée dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié avec le décret. Elle est suffisamment large pour englober tous les produits en plastique (ou presque)[4] :

Les articles manufacturés en plastique comprennent tous les articles en plastique dotés d’une forme ou de caractéristiques matérielles précises pendant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation finale, une ou plusieurs fonctions qui dépendent en tout ou en partie de leur forme ou de leurs caractéristiques. Ces articles peuvent inclure des produits finis, ainsi que les composantes des produits. Tous les articles manufacturés en plastique ont le potentiel de devenir de la pollution plastique.

En qualifiant les plastiques de substances toxiques dans la LCPE, Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») se donne une plus grande latitude pour prendre des mesures de gestion des risques et d’atténuation des conséquences écologiques. Le ministère pourrait par exemple adopter des règlements interdisant ou limitant l’utilisation de certains produits en plastique, comme ceux visés par l’interdiction annoncée par le ministre le 7 octobre 2020, de même que des plans de prévention de la pollution et des codes de pratique visant la protection de l’environnement.

Vu l’étendue des pouvoirs conférés à ECCC pour la gestion des substances toxiques dans la LCPE, les entreprises auraient avantage à surveiller l’arrivée de nouveaux règlements ou de nouvelles directives sur la gestion, la production et la disposition du plastique, plus particulièrement à l’approche de l’interdiction des plastiques à usage unique, qui doit entrer en vigueur à la fin de 2021[5].

Interdiction d’exporter certains déchets plastiques

Le 2 juin 2021, la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-204, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), qui, au moment de publier le présent bulletin, était à l’étude au comité sénatorial[6]. Le projet de loi mènerait à une interdiction d’exporter des « déchets plastiques » dans des pays étrangers, comme les États-Unis et la Chine, pour leur élimination définitive.

Le projet de loi C-204 est né des inquiétudes quant à la tendance du Canada d’exporter ses déchets pour qu’ils soient éliminés dans d’autres pays. En le présentant à la Chambre des communes, le député Scott Davidson a déploré que « le Canada traite le reste de la planète comme son dépotoir »[7] depuis trop longtemps. Le Canada est signataire de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination (la « Convention de Bâle »), qui exige qu’un pays donne son consentement éclairé avant que des déchets, dangereux ou non, soient exportés vers son sol[8].

Le Canada a ratifié la Convention de Bâle le 28 août 1992, et des modifications à cette convention sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021[9]. Les pays exportateurs sont maintenant tenus d’obtenir le consentement éclairé écrit du pays d’importation avant d’y acheminer des déchets plastiques dont le recyclage est limité ou difficile, comme les plastiques contaminés ou constitués de plus d’un polymère. Comme la Convention de Bâle fait partie de son droit national depuis 1992, le Canada est lié par ces modifications[10].

Le Canada a maintes fois omis de respecter ses engagements au titre de la Convention de Bâle. Par exemple, en 2013 et en 2014, Chronic Inc., une entreprise d’exportation de plastiques de l’Ontario, a envoyé 1 500 tonnes de ce qui devait être des plastiques recyclables aux Philippines. Toutefois, on retrouvait aussi dans les conteneurs du métal, du papier et des déchets domestiques. Cet accroc à la Convention de Bâle a soulevé l’indignation populaire, et le président philippin Rodrigo Duterte a même menacé de déclarer la guerre si le Canada ne reprenait pas ses déchets[11]. Le projet de loi C-204 vise à prévenir ce genre de situations.

Cela dit, pendant les débats à la Chambre des communes, certains députés ont soulevé des inquiétudes quant à l’application du projet de loi dans le contexte des engagements pris par le pays en vertu de la Convention de Bâle. L’obligation d’obtenir un consentement éclairé et le projet de loi C-204 constitueraient en effet deux sources législatives réglementant l’exportation de déchets au Canada, ce qui pourrait créer de la confusion pour les parties prenantes quant au régime applicable à leurs déchets et à leurs circonstances.

La liste des « déchets plastiques » du projet de loi C-204 comprend notamment l’éthylène, le styrène et le polypropylène, dont l’exportation serait par conséquent interdite. Les plastiques qui ne font pas partie de la liste pourraient quant à eux être exportés, pourvu que les dispositions de la Convention de Bâle sur le consentement éclairé soient respectées. Vu cette possible dualité de régimes, les parties prenantes devraient s’assurer de bien comprendre et de respecter les obligations qui s’appliquent à l’exportation des produits qu’elles produisent ou gèrent en fonction de la nature de ces produits[12].

Points à retenir

Le projet de loi C-204 poursuit actuellement son chemin au Sénat; il faudra donc encore attendre avant de savoir s’il entrera dans le droit. Les entreprises qui utilisent ou éliminent des plastiques ou exportent des déchets auraient tout de même avantage à étudier les effets que la loi proposée aurait sur leurs activités. Par ailleurs, les entreprises qui font affaire avec des gestionnaires de déchets qui font de l’exportation pourraient devoir revoir leurs arrangements. De plus, même si la loi proposée n’entre pas en vigueur, un autre projet de loi réglementant les exportations de déchets plastiques pourrait être présenté pour éviter que la situation avec les Philippines ne se reproduise.

L’approche canadienne en matière de production de plastique et de gestion des déchets continue d’évoluer, et il faut s’attendre à d’autres changements. Les experts en réglementation de McMillan continueront de suivre la situation et de vous informer des derniers développements.

[1] Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33.
[2] Talia Gordner et Cody Foggin, « Préparez-vous! L’interdiction des plastiques à usage unique se généralise au Canada – Êtes-vous prêt? » (septembre 2020); Talia Gordner et Cody Foggin, « Préparez-vous! Le Canada annonce un plan pour s’attaquer aux plastiques à usage unique » (octobre 2020).
[3] Décret d’inscription d’une substance toxique à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) : DORS/2021-86 (23 avril 2021) Gaz. C. II.
Ibid.
[5] ECCC, « Réalisations du portefeuille : comparution devant le Comité permanent » (10 mars 2021)
[6] Projet de loi C-204, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), 2e sess., 43e légis., 2020-2021 (adopté par la Chambre des communes le 2 juin 2021).
[7] Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes (7 février 2020), p. 1205.
[8] Environnement et Changement climatique Canada, « Contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux : Convention de Bâle » (27 avril 2020).
[9] Environnement et Changement climatique Canada, « Modifications à la Convention de Bâle concernant les déchets de plastique : impacts sur l’industrie canadienne du recyclage » (26 janvier 2021).
[10] Environnement et Changement climatique Canada, « Contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux : Convention de Bâle » (27 avril 2020).
[11] Katie Dangerfield, « The Philippines is shipping back Canada’s heaping garbage. What’s Ottawa going to do with the trash? » (30 mai 2019).
[12] Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes (14 mai 2021), p. 1409-1410.

par Talia Gordner, Julia Loney, Ralph Cuervo-Lorens et Julianna Ivanyi (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r. l. 2021

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