


Actions collectives au Québec : une augmentation des recours privés en droit de l’environnement exerce une pression additionnelle sur le secteur du commerce de détail
Actions collectives au Québec : une augmentation des recours privés en droit de l’environnement exerce une pression additionnelle sur le secteur du commerce de détail
Dans un récent jugement[1], la Cour supérieure du Québec a approuvé le règlement d’une action collective canadienne impliquant Dollarama, portant sur l’affichage allégué trompeur de certains « Écofrais » facturés par les détaillants.
Cette décision est intervenue quelques mois seulement après qu’une autre action collective ait été autorisée, également à l’encontre de Dollarama (parmi d’autres détaillants), concernant l’écoblanchiment lié à leurs sacs de magasinage en plastique réutilisables[2].
Le présent bulletin traite du raisonnement de ces jugements, ainsi que de leurs conséquences sur les entreprises et les consommateurs québécois.
Règlement conclu dans une action collective sur les Écofrais
Le pourquoi et le comment des « Écofrais »
Au Québec, le Règlement sur la récupération et la valorisation des produits par les entreprises (le « Règlement ») est en vigueur depuis 2011 et s’applique à certains produits vendus, tels que les produits électriques, les produits pharmaceutiques, les piles et la peinture[3].
En vertu du Règlement, les entreprises qui commercialisent ces produits sont responsables de leur gestion en fin de vie. L’objectif visé est de réduire les quantités de matières résiduelles à éliminer lorsque ces produits atteignent la fin de leur cycle de vie[4].
En raison du Règlement, plusieurs entreprises ont choisi de prélever un « Écofrais » aux consommateurs sur la vente de ces produits, afin de couvrir les coûts de conformité au Règlement.
La manière dont cet Écofrais est affiché par rapport au prix des produits est la question au cœur de cette action collective.
Contexte procédural
Le 23 mai 2023, le Demandeur a demandé l’autorisation d’exercer une action collective contre les défendeurs Dollarama, Loblaw et Shoppers Drug Mart (ce dernier faisant également affaire sous le nom Pharmaprix)[5].
Le Demandeur prétend que, pendant la période visée par l’action collective, Dollarama n’aurait pas correctement affiché la totalité du prix de vente de produits sur lesquels des Écofrais ont été facturés. Les Écofrais en question étaient de 0,08 à 0,60 $.
Selon le Demandeur, Dollarama aurait délibérément fragmenté le prix annoncé en indiquant uniquement le coût de base du produit sur son étiquette de prix. De façon spécifique, le Demandeur allègue que Dollarama aurait :
- Affiché les Écofrais applicables séparément sur l’étiquette de l’étagère et en caractères beaucoup plus petits;
- Ajouté les Écofrais applicables au prix du produit seulement lorsque le client arrivait à la caisse pour payer.
Le Demandeur allègue que ces pratiques étaient trompeuses, étant en contravention aux articles 223, 223,1 et 224 (c) de la Loi sur la protection du consommateur, à l’article 1 (1) (b) du Décret concernant la Politique d’exactitude des prix pour les commerçants utilisant la technologie du lecteur optique (la « Politique d’exactitude des prix »), aux articles 6, 7, 1375 ou 1458 du Code civil du Québec et à l’article 54 de la Loi sur la concurrence.
Les dommages prétendument subis par le groupe étaient fondés sur l’article 1(1) (b) de la Politique d’exactitude des prix, qui prévoit que :
- Si le prix exact du bien est de 10 $ ou moins, le bien doit être remis gratuitement au consommateur;
- Si le prix est supérieur à 10 $, un rabais de 10 $ doit être appliqué à l’achat du bien.
Le règlement Dollarama
Le 10 décembre 2024, la cour a approuvé un règlement contre Dollarama pour un montant total de 2 643 718,75 $. Les défendeurs Loblaw et Shoppers Drug Mart n’ont pas conclu d’entente de règlement avec le demandeur et contestent toujours la demande d’autorisation[6].
Selon le règlement Dollarama, le paiement aux membres de l’action collective sera effectué au moyen de virements électroniques Interac, jusqu’à concurrence de 10 $ par membre, selon le nombre total de membres approuvés. Si un nombre élevé de membres approuvés donne lieu à des paiements de moins de 3 $ chacun, aucun transfert ne sera effectué et les fonds seront distribués à des organismes de bienfaisance (sous réserve de l’approbation ultérieure de la cour).
De manière significative, l’entente de règlement Dollarama comprend également des changements aux pratiques commerciales que Dollarama a mis en œuvre de façon permanente depuis juillet 2023, notamment :
- Modifier les étiquettes des produits soumis à un Écofrais, de manière à ce que le prix total affiché comprenne ledit Écofrais et mette davantage l’accent sur ce prix; et
- Retirer les étiquettes de prix préimprimées de ces produits.
Bien que le règlement conclu avec Dollarama en l’espèce n’ait manifestement aucune valeur juridique, il ne fait aucun doute qu’il établit un précédent en pratique quant à la façon dont les détaillants québécois peuvent traiter adéquatement des Écofrais. Il s’agit également d’un point tournant où l’application privée des réclamations environnementales par actions collectives devrait devenir de plus en plus courante. Les demandeurs en actions collectives et d’autres groupes d’activistes environnementaux en ont sans doute pris note.
La prochaine cible : les actions en écoblanchiment
Comme indiqué précédemment, le règlement Dollarama survient quelques mois seulement après qu’une autre action collective environnementale soit autorisée contre Dollarama et plusieurs autres grands détaillants, en lien avec des pratiques alléguées d’écoblanchiment[7].
Le Demandeur dans cette deuxième action collective allègue que divers détaillants poursuivis auraient fait de la publicité erronée selon laquelle leurs sacs de magasinage en plastique réutilisables étaient « recyclables », alors qu’en réalité ils ne l’étaient pas, contrevenant ainsi aux mêmes dispositions de la Loi sur la protection du consommateur, du Code civil du Québec et de la Loi sur la concurrence sur la publicité trompeuse.
En autorisant l’action collective, la cour était d’avis que le Demandeur avait démontré de façon prima facie que les sacs en plastiques n’étaient pas réellement recyclables au Québec. Ce faisant, la cour s’est penchée sur la question de savoir si certains matériaux recyclables sont généralement acceptés par les centres de tri, une question ayant également été traité dans la décision Keurig[8], où le Bureau de la concurrence a imposé – notamment – une sanction de 3 millions de dollars sur la base d’un raisonnement similaire. La cour a aussi rejeté l’argument formulé par d’autres défenderesses, soit que les sacs auraient étaient pliés d’une certaine façon avant d’être remis aux clients, de fait qu’aucun d’entre eux auraient été véritablement induit en erreur par le mot « recyclable », puisqu’ils ne pouvaient le voir.
Cette affaire fait suite à d’importantes modifications apportées à la Loi sur la concurrence qui ont créé des infractions précises visant les pratiques d’écoblanchiment et qui ont ouvert encore plus la porte à l’application privée par des parties motivées, y compris, peut-être, des groupes d’activistes environnementaux.
Pour une compréhension plus approfondie de ces nouveaux amendements, nos bulletins précédents sur le sujet fournissent les renseignements clés : L’écoblanchiment et le resserrement de la réglementation du Canada en matière de déclarations environnementales : les récentes modifications apportées à la Loi sur la concurrence, Net Zero Plans Deserve Closer Attention Than They Are Getting et Le projet de loi C-59 étend la portée du terme « pratiques commerciales trompeuses » de la loi sur la concurrence : l’écoblanchiment et comment rester à l’écart des fausses représentations en matière d’environnement. Plus récemment, le Bureau de la concurrence a publié un projet de lignes directrices sur l’application de l’écoblanchiment. Veuillez consulter notre bulletin à ce sujet.
Depuis des décennies, les juristes aident leurs clients à évaluer et à développer des technologies, des méthodologies, des produits et un savoir-faire en faveur du développement durable et à garantir le respect des régimes réglementaires. Ce qui est nouveau, c’est l’importance et l’attention que ces actions suscitent auprès d’une grande majorité de personnes, et en particulier du consommateur moyen.
Dans ce contexte, il sera intéressant de voir comment les cours canadiennes se prononceront sur ces développements et si des limitations seront fixées afin de trouver un équilibre approprié pour les consommateurs, entre la protection de l’environnement et le coût de l’activité pour les détaillants canadiens, qui peut trop souvent se traduire par une inflation non désirée.
[1] Ohayon c. Dollarama, 2024 QCCS 1363.
[2] Cohen c. Dollarama, 2024 QCCS 2087. Plus récemment, une demande d’autorisation d’exercer une action collective a été déposée contre 9199-4467 QUÉBEC INC. (faisant affaire sous le nom EARTH RATED) en rapport avec les allégations de la nature compostable des sacs à crottes.
[3] Règlement sur la récupération et la valorisation des produits par les entreprises, Q-2, r. 40.1; « Responsabilité élargie des producteurs », en ligne : Recyc-Québec.
[4] « Règlement sur la récupération et la valorisation de produits par les entreprises », en ligne : Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.
[5] Ohayon c. Dollarama, 2024 QCCS 1876, par. 4.
[6] Ibid.
[7] Cohen c. Dollarama, 2024 QCCS 2087.
[8] Keurig Canada Inc., CT-2022-001.
par Éric Vallières, Martin Thiboutot, Joséane Chrétien et Nadya Goorachurn
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis. Il est préférable d’obtenir un avis juridique spécifique.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s. r. l. 2025
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