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Ce que chaque propriétaire d’une marque de commerce enregistrée au Canada doit savoir

Septembre 2019 Bulletin de propriété intellectuelle Lecture de 7 min

Une décision récente de la Cour fédérale dans l’affaire Live! Holdings, LLC[1] nous offre une occasion intéressante pour examiner certaines choses que les propriétaires de marques de commerce devraient faire pour protéger l’investissement qu’ils ont fait dans leur portefeuille de marques de commerce.

La Loi sur les marques de commerce (la « Loi ») protège les marques de commerce, que celles-ci soient enregistrées ou non enregistrées. L’éventail des recours qui sont ouverts dans le cas d’une marque de commerce enregistrée est plus large que ceux qui sont ouverts dans le cas d’une marque de commerce non enregistrée. Toutefois, la Loi prévoit un mécanisme de radiation de l’enregistrement d’une marque de commerce lorsque le propriétaire n’est pas en mesure de démontrer que celle-ci a été employée. Cette notion peut se résumer comme suit : il faut « l’employer sous peine de la perdre »[2].

L’article 45 de la Loi prévoit qu’une personne peut demander au registraire des marques de commerce d’enjoindre au propriétaire de fournir la preuve que la marque de commerce a été employée au cours des trois ans précédant la date de l’avis qu’il reçoit. Cette période de trois ans est souvent appelée la « période pertinente ». Si le registraire donne l’avis demandé, le propriétaire de la marque de commerce dispose d’un délai de trois mois pour déposer un affidavit indiquant que la marque de commerce a été employée dans le cours normal des affaires à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services pour lesquels la marque de commerce est enregistrée.

La séquence des événements dans l’affaire Live! Holdings n’est, malheureusement, pas inhabituelle dans bon nombre de cas. Live! Holdings n’a pas répondu à l’avis. Le registraire a avisé Live! Holdings que son enregistrement serait radié en raison de son défaut de produire des éléments de preuve permettant d’établir l’emploi. Live! Holdings n’a, encore une fois, rien fait et le délai d’appel a expiré. L’enregistrement a par la suite été radié. À cette étape, Live! Holdings a enfin réagi, et ses avocats ont réussi à obtenir une ordonnance de prorogation du délai, ce qui lui a permis d’interjeter appel de la décision du registraire. Heureusement, le processus d’appel de ce type de décision permet au propriétaire de la marque de commerce de déposer de nouveaux éléments de preuve. Dans le cadre de la plupart des appels, les nouveaux éléments de preuve ne sont admissibles que dans les cas où ils n’auraient pas pu, avec diligence raisonnable, être produits en première instance.

Il appert de la description, dans la décision, des éléments de preuve que Live! Holdings a déposés dans le cadre de l’appel que ces éléments de preuve ont été réunis quelque peu à la hâte. La personne qui a signé l’affidavit n’était pas un employé de Live! Holdings, mais travaillait plutôt pour une société membre du même groupe que celle-ci. Le lien entre ce membre du même groupe et Live! Holdings n’a apparemment pas été expliqué dans l’affidavit de cette personne. De plus, les connaissances de cette personne à l’égard de l’entreprise de Live! Holdings comportaient certaines lacunes. Entre autres, le témoin a déclaré qu’au moins 41 réservations au Live! Casino & Hotel situé à Hanover, au Maryland, avaient été effectuées par des personnes ayant une adresse résidentielle au Canada. Lors du contre-interrogatoire, le témoin a reconnu que cet hôtel n’existait pas au cours de la période pertinente. Sans surprise, la Cour n’a pas retenu sa suggestion selon laquelle les réservations pourraient avoir été effectuées à un autre hôtel au Maryland, soit le Live Lofts.

Bien qu’un délai de trois mois puisse sembler plus que suffisant pour répondre à un avis donné en vertu de l’article 45 de la Loi, dans les faits, c’est rarement le cas. Habituellement, l’avis arrive par surprise, et on passe beaucoup de temps précieux à décider de ce que l’on devrait faire. À supposer que la décision d’y donner suite soit prise, le propriétaire de la marque de commerce et ses avocats découvrent souvent que les registres de la société n’ont pas été tenus d’une manière qui permet de trouver facilement des preuves d’emploi de la marque de commerce. Lorsque la propriété intellectuelle d’un groupe de sociétés est détenue par une société de portefeuille, le niveau de difficulté augmente étant donné que les sociétés faisant partie de ce groupe qui utilisent la marque de commerce sont différentes de la société de portefeuille. Il se pourrait qu’un cadre supérieur de l’une des sociétés en exploitation en sache très peu au sujet de la société de portefeuille et sur la façon dont celle-ci fonctionne, tandis qu’un cadre supérieur qui a une bonne connaissance de la société de portefeuille pourrait ne pas en savoir autant au sujet des sociétés en exploitation. Dans l’arrêt Live! Holdings, il semble que le propriétaire de la marque de commerce n’aurait pas mis en place la licence appropriée entre la société de portefeuille et les sociétés en exploitation.

Alors, que devraient faire les propriétaires de marques de commerce? Il est impératif que les entreprises adoptent une stratégie proactive plutôt qu’une stratégie réactive à l’égard de leurs marques de commerce. À bien des égards, un portefeuille de marques de commerce est comme un jardin, qui demande une attention constante. L’emploi inapproprié des marques de commerce dans le portefeuille peut être comparée aux mauvaises herbes : plus l’emploi inapproprié dure depuis longtemps, plus il est difficile d’y mettre de l’ordre.

  1. Premièrement, s’assurer d’avoir en place les licences appropriées et des normes précises que les sociétés en exploitation doivent respecter lorsqu’elles emploient les marques de commerce. Vérifier que la licence mentionne expressément la marque de commerce pertinente, et qu’elle s’applique à toutes les entités qui emploient la marque.
  2. Deuxièmement, il est recommandé d’examiner régulièrement le portefeuille et d’établir si certaines marques de commerce ne sont plus employées activement, ou si les biens ou services liés à ces marques de commerce ont changé. Les marques de commerce qui ne sont plus employées activement devraient être éliminées, et la liste des biens et services pour les marques de commerce qui sont toujours employées devrait être mise à jour afin de tenir compte de ce qui se passe réellement. En fait, l’adhésion du Canada au Protocole de Madrid, qui entraîne l’élimination de catégories de biens, sera rentable au moment du renouvellement de l’enregistrement, le Canada ayant remplacé les droits de renouvellement fixes par des droits de renouvellement établis en fonction de la catégorie. Donc, moins il y a de catégories, plus les droits de renouvellement sont bas.
  3. Troisièmement, une personne au sein de l’organisation, qui connaît bien le portefeuille de marques de commerce ainsi que la façon dont les sociétés en exploitation les emploient, devrait être désignée pour prendre les décisions. Cette personne devrait savoir non seulement ce qui constitue l’emploi d’une marque de commerce (étant donné que ce ne sont pas toutes les reproductions d’une marque de commerce qui peuvent être considérées comme l’emploi d’une marque de commerce), mais également comment il faut procéder pour réunir les éléments de preuve permettant d’établir l’emploi de cette marque, voire monter à intervalles réguliers (par exemple, aux deux ans) une collection de documents ou de matériel montrant l’emploi des marques de commerce faisant partie du portefeuille.
    a.   Lorsque des sites Web sont utilisés pour montrer l’emploi d’une marque de commerce, il est particulièrement important d’archiver à intervalles réguliers une version des pages concernées afin d’établir une preuve valide de l’apparence réelle du site Web pendant la période pertinente. Selon notre expérience, la plupart des organisations ne sont pas en mesure de récupérer une version fiable des versions antérieures du site Web de l’entreprise. Il existe bien certains outils, tels que Internet Archive (connu sous le nom de Wayback Machine), qui archivent les sites Web, mais il serait préférable que ceux-ci soient plutôt considérés comme des solutions de rechange et non comme le principal moyen de montrer l’état d’un site Web au cours de la période pertinente. Bien que les documents papier soient en voie de disparition, les systèmes électroniques ne sont pas nécessairement fiables; par conséquent, il pourrait être souhaitable de conserver certaines copies papier d’anciens catalogues, de factures, de photos d’uniformes ou de devantures de magasin, ou d’attestations de présence à des salons commerciaux. Il pourrait également être nécessaire de vérifier la politique de l’entreprise en matière de conservation des documents afin de s’assurer que les documents importants relatifs aux marques de commerce sont bien conservés.
    b.    Tenez votre équipe du marketing informée. Les avantages d’en faire ainsi sont à deux volets. En effet, bien qu’il soit permis d’apporter de légères modifications à une marque de commerce, l’équipe du marketing doit pouvoir évaluer si « un nouveau look et une nouvelle perception » peuvent entraîner la disparition d’une marque de commerce existante. De plus, l’équipe du marketing est souvent la ressource qui est le plus en mesure de réunir des éléments de preuve d’emploi d’une marque de commerce. Par conséquent, il est important d’expliquer pourquoi il peut être très avantageux de conserver des dossiers faisant état des initiatives passées sur le plan du marketing.
  4. Il est aussi important de conserver la documentation concernant toute confusion. Si vos employés reçoivent des courriels indiquant qu’il y a confusion entre la marque de commerce de votre société et celle d’un tiers, des copies de ces courriels doivent absolument être conservées et ce, dès le tout début. Il est également important d’agir rapidement lorsqu’une telle situation de confusion se présente étant donné que de longues périodes de coexistence peuvent jouer contre vous dans le cadre d’une réclamation d’exclusivité que vous pourriez présenter à l’avenir.

Il est tentant de penser qu’il n’est pas nécessaire de changer la façon dont vous vous occupez de votre marque de commerce étant donné que celle-ci est inscrite au registre depuis de nombreuses années. Toutefois, les modifications apportées au droit canadien des marques de commerce en juin dernier marquent un changement radical qui entraînera une modification nécessaire des pratiques exemplaires. Par exemple, la nouvelle Loi modifiée n’oblige plus les demandeurs à déclarer la date à laquelle ils ont employé leur marque de commerce pour la première fois. Par conséquent, il sera plus important que jamais au cours des années à venir de documenter soigneusement l’emploi de sa marque de commerce. On note fréquemment, dans le cadre de différends liés aux marques de commerce, que le facteur déterminant quant à savoir qui est gagnant ou perdant dans l’affaire dépend de celui qui peut démontrer qu’il a employé la marque en premier. Tout le monde sait que de simples affirmations d’emploi d’une marque de commerce ne suffisent pas et que, par conséquent, des preuves concrètes doivent pouvoir être produites à l’appui de toute prétention d’un témoin à titre de preuve. Il est donc temps de revoir vos habitudes à l’égard de vos marques de commerce et de réaliser que votre portefeuille de marques de commerce n’est pas un cactus qu’il est préférable de laisser tranquille, mais plutôt une orchidée qui a besoin que l’on s’en occupe.

par Christie Bates, Pablo Tseng et Peter E.J. Wells

[1] Live! Holdings, LLC c. Oyen Wiggs Green & Mutala LLP, 2019 CF 1042.
[2] Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 SCR 772, au paragr. 5.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2019

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