Insights Header image
Insights Header image
Insights Header image

Évolution récente de l’industrie canadienne des substances psychédéliques

12 février 2025 Bulletin sur les marchés des capitaux et valeurs mobilières Lecture de 8 min

Introduction

L’industrie des substances psychédéliques au Canada continue de changer et l’issue de certaines évolutions demeure incertaine. En période d’imprévisibilité, il est essentiel pour les acteurs de l’industrie et les intervenants de comprendre la situation actuelle et les possibles développements à l’avenir. Dans le présent bulletin, nous faisons le point sur les progrès et tendances clés dans le domaine des substances psychédéliques au Canada depuis notre dernier examen annuel en 2022 (en anglais).

Accès aux substances psychédéliques

Par l’effet de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la « LRCDAS »), les substances psychédéliques sont qualifiées de substances désignées. Dans les faits, cette qualification signifie que la plupart des activités qui mettent en cause des substances psychédéliques sont interdites, sous réserve de certaines exceptions. Comme nous l’avons indiqué dans nos bulletins précédents, les particuliers peuvent actuellement accéder de trois façons aux substances psychédéliques au Canada : une exemption prévue à l’article 56 de la LRCDAS, le Programme d’accès spécial (« PAS ») et les essais cliniques.

Exemptions prévues à l’article 56

L’article 56 de la LRCDAS permet à la ministre de la Santé mentale et des Dépendances et ministre associée de la Santé (la « ministre ») d’accorder des exemptions discrétionnaires pour l’accès à des drogues et à des substances désignées, par catégorie ou sur une base individuelle, si ces exemptions servent des raisons médicales, scientifiques ou d’autres raisons d’intérêt public (l’« exemption prévue à l’article 56 »)[1].

Le 31 janvier 2023, la première exemption provinciale en application de l’article 56 est entrée en vigueur en Colombie-Britannique. Elle permet aux adultes de posséder une certaine quantité d’opioïdes, de méthamphétamine, de cocaïne et de MDMA sans faire l’objet d’accusations criminelles[2]. Des préoccupations ont été soulevées dans la province au sujet de l’utilisation de drogues illicites dans les espaces publics, ce qui a amené le gouvernement de la Colombie-Britannique à modifier à deux reprises l’exemption prévue à l’article 56 pour en limiter l’application dans les espaces publics, entre autres restrictions[3]. À partir du 7 mai 2024, l’exemption prévue à l’article 56 accordée à la Colombie-Britannique ne s’applique qu’aux résidences privées, aux refuges et aux centres de santé désignés, et la possession d’opioïdes, de méthamphétamine, de cocaïne et de MDMA est de nouveau interdite dans la plupart des espaces publics[4].

Peu de temps après, le 17 mai 2024, la demande d’exemption prévue à l’article 56 présentée par la Ville de Toronto en vue de décriminaliser la possession de toutes les drogues visées par la LRCDAS a été rejetée. La ministre a conclu que la proposition, initialement présentée le 4 janvier 2022, ne permettait pas de protéger la santé et la sécurité publiques de manière adéquate[5]. Les inquiétudes comprenaient la faisabilité pour les forces de l’ordre de mettre en œuvre le plan, la protection des jeunes et le manque de soutien de la part des principaux acteurs, comme le gouvernement provincial de l’Ontario[6].

Une grande partie des demandes individuelles pour une exemption prévue à l’article 56 ont également été rejetées. En novembre 2024, un article rapportait que, depuis 2020, 643 patients et professionnels de la santé ont demandé un accès à des substances psychédéliques dans le cadre d’une exemption prévue à l’article 56. Seulement 101 (environ 16 %) de ces demandes ont été approuvées et 415 (environ 65 %) ont été rejetées[7]. Les raisons du rejet de chaque demande en particulier ne sont pas facilement accessibles, mais CBC News a publié en 2022 que les demandes d’exemption prévue à l’article 56 pour usage personnel ont été rejetées et que les demandeurs ont été redirigés vers le PAS[8].

PAS

Les médecins peuvent demander l’accès à certaines substances psychédéliques dans le cadre du PAS pour les patients admissibles. Les patients admissibles comprennent ceux qui souffrent d’une maladie grave ou qui met leur vie en danger lorsque les traitements conventionnels ont échoué, ne conviennent pas ou ne sont pas offerts au Canada[9].

En novembre 2024, un article a indiqué que 318 des 471 demandes d’accès à la psilocybine ou à la MDMA présentées depuis 2022 dans le cadre du PAS ont été approuvées, soit environ 68 %[10]. Lorsqu’une demande dans le cadre du PAS est rejetée, une autre voie pour le demandeur est de demander une exemption prévue à l’article 56.

Le 27 février 2023, Santé Canada a publié un avis aux intervenants détaillant les exigences pour les professionnels de la santé qui souhaitent avoir accès aux substances psychédéliques dans le cadre du PAS à des fins de psychothérapie assistée par des psychédéliques[11]. L’avis reconnaît l’intérêt croissant que suscite cette psychothérapie ainsi que les risques psychologiques et physiques pour les patients[12].

Essais cliniques

Le nombre d’essais cliniques autorisés portant sur les psychédéliques, tels que la psilocybine, la MDMA et la kétamine, a augmenté au cours des dernières années. Parmi les essais cliniques en cours dans l’espace de recherche canadien sur les substances psychédéliques en 2024, environ :

  •  18 utilisent la kétamine;
  •  15 utilisent la psilocybine;
  • 2 utilisent la MDMA[13].

Le gouvernement du Canada a également pris des mesures pour élargir la portée de la recherche sur les substances psychédéliques. Le 29 juin 2023, la ministre a annoncé une subvention de recherche de près de 3 millions de dollars pour soutenir trois essais cliniques sur des substances psychédéliques. La subvention provient d’un concours de recherche spécial qui a été mené en 2022 et appuie des essais portant sur l’utilisation de la psychothérapie combinée à la psilocybine pour traiter le trouble lié à la consommation d’alcool, la dépression résistante au traitement et la détresse psychologique de fin de vie chez les patients atteints d’un cancer à un stade avancé[14]. La subvention a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (« IRSC »), l’organisme fédéral de financement de la recherche en santé du Canada. Les IRSC ont organisé des concours de recherche qui ont fourni près de 4 millions de dollars de financement supplémentaire pour la recherche sur les substances psychédéliques en 2023 et plus de 4 millions de dollars en 2024[15].

Contestation des obstacles à l’accessibilité

En plus des moyens d’accès décrits ci-dessus, plusieurs initiatives légales ont été prises ces dernières années pour accroître l’exposition ou l’accès aux substances psychédéliques au Canada.

Le 27 juillet 2022, huit Canadiens ont introduit une demande contre le gouvernement du Canada et le ministre de la Santé, affirmant que les moyens actuels d’accès à la psilocybine sont insuffisants, ce qui porte donc atteinte à leurs droits prévus par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »)[16]. La demande vise, entre autres, à obtenir des ordonnances qui déclarent inconstitutionnelle l’interdiction de la psilocybine à des fins médicales dans la LRCDAS[17]. Si un jugement favorable était rendu, l’utilisation des substances psychédéliques à des fins médicales ne serait plus illégale et l’industrie des substances psychédéliques s’en trouverait fondamentalement changée. Ce litige est toujours en cours[18].

Le 25 septembre 2023, la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire présentée par des praticiens de la santé pour contester 96 refus d’accorder une exemption prévue à l’article 56 prononcés par le ministre. Les praticiens de la santé ont demandé des exemptions prévues à l’article 56 pour posséder et consommer de la psilocybine dans le cadre de leur propre formation en matière de psychothérapie assistée par psilocybine. Le ministre a jugé que les exemptions prévues à l’article 56 n’étaient pas nécessaires pour des raisons d’intérêt public, notamment des raisons médicales ou scientifiques, puisque les demandeurs pouvaient y avoir accès dans le cadre d’essais cliniques. Les demandeurs ont soutenu que les décisions du ministre étaient déraisonnables, affirmant que le ministre avait omis de traiter des éléments de preuve et des arguments fondamentaux, que les motifs de ses décisions ne sont pas transparents et qu’il n’a pas traité des arguments relatifs à l’effet qu’aurait un rejet sur les droits des patients à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. La Cour fédérale a conclu que les décisions du ministre étaient raisonnables et a rejeté la demande[19].

Le 21 novembre 2023, trois demandeurs ont déposé un avis de question constitutionnelle dans lequel ils soutiennent que la prohibition de la psilocybine par la LRCDAS enfreint l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte[20]. Les demandeurs avaient été accusés dans le cadre d’une descente de police dans un dispensaire de psilocybine. Ils ont fait valoir que la psilocybine est essentielle pour permettre à une personne de faire l’expérience de la liberté de pensée protégée par l’alinéa 2b) d’une manière plus complète[21]. Le litige est toujours en cours[22]. Cet argument est fondamentalement différent de celui qui précède, relatif à l’insuffisance de l’accès à des fins médicales, mais il est révélateur d’un environnement où plus de gens contestent les restrictions du gouvernement du Canada sur l’accès à la psilocybine en particulier.

Suivant cette tendance, le 24 mai 2024, la Cour fédérale a annulé la décision de Santé Canada de rejeter une demande dans le cadre du PAS pour la psilocybine afin de traiter les algies vasculaires de la face[23] au motif que la demande ne contenait pas suffisamment de renseignements sur l’innocuité et l’efficacité de la psilocybine et que des alternatives thérapeutiques étaient disponibles sur le marché[24]. La Cour fédérale a jugé le refus déraisonnable, puisque Santé Canada n’avait pas pris en compte les arguments du demandeur concernant l’article 7 de la Charte et le caractère insuffisant des autres médicaments disponibles. La Cour fédérale a également jugé que la décision n’était pas conforme aux communications antérieures de Santé Canada qui, lors d’un entretien avec le médecin du demandeur, avait reconnu que l’innocuité de la psilocybine pour les algies vasculaires de la face était établie[25]. À la suite de cette décision, Santé Canada a approuvé pour la première fois l’utilisation de la psilocybine dans le cadre du PAS pour le traitement des algies vasculaires de la face[26].

Conclusion

L’industrie des substances psychédéliques a subi d’importantes transformations au cours des dernières années. D’autres évolutions se profilent à l’horizon, alors que des contestations fondées sur la Charte sont entendues et jugées par les cours. En outre, les changements possibles de gouvernement au niveau fédéral au Canada ainsi que les décisions de certaines provinces apporteront d’autres changements. Nous continuerons de suivre de près ces changements afin de vous tenir au courant de l’évolution du contexte réglementaire et du marché.

[1] Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch. 19, art. 56.
[2] Santé Canada, Exemption de catégorie en vertu du paragraphe 56(1) visant la possession de petites quantités de certaines substances illégales dans la province de la Colombie-Britannique – Centre de santé, refuge et résidence privée (Ottawa : Santé Canada, le 30 mai 2024), en ligne.
[3] Santé Canada, Déclaration de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances et ministre associée de la Santé (Ottawa : Santé Canada, le 14 septembre 2023), en ligne, supra note 2.
[4] Supra note 2.
[5] Santé Canada, Déclaration de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances et ministre associée de la Santé (Ottawa : Santé Canada, le 17 mai 2024), en ligne.
[6] Idem.
[7] Omar Mosleh, « These patients are considering MAiD. They say Canada has made it harder to access magic mushrooms — a treatment giving them reason to live », Toronto Star (13 novembre 2024), en ligne, en anglais.
[8] Caroline Barghout et Kimberly Ivany, « Terminal cancer patient denied magic mushrooms after Health Canada rule change », CBC News (28 février 2022) en ligne, en anglais.
[9] Santé Canada, Programmes d’accès spécial de Santé Canada : Demander un médicament, (Ottawa : Santé Canada, le 15 mars 2024), en ligne.
[10] Supra note 7.
[11] Santé Canada, Avis aux intervenants : Demandes au Programme d’accès spécial (PAS) relatives à la psychothérapie assistée par des psychédéliques, (Ottawa : Santé Canada, le 27 février 2023), en ligne.
[12] Idem.
[13] Santé Canada, Rechercher un essai clinique, en ligne.
[14] Instituts de recherche en santé du Canada, Le gouvernement du Canada investit près de 3 millions de dollars dans l’étude des bienfaits potentiels de la psychothérapie combinée à la psilocybine (Ottawa : Instituts de recherche en santé du Canada, le 29 juin 2023), en ligne.
[15] Instituts de recherche en santé du Canada, Données sur les décisions de financement, en ligne.
[16] Hartle v. Crown (27 juillet 2022), Ottawa T-1560-22 (CF) (Statement of Claim, Hartle) au par. 176.
[17] Idem, au par. 183.
[18] Canada, Cour fédérale, « » (dernière visite le 10 février 2025), en ligne.
[19] Toth c. Canada (Santé Mentale et Dépendances), 2023 CF 1283, au par. 116.
[20] R. v. Akila (21 novembre 2023), London 2311998232310420801 (ONCJ) (Notice of constitutional question, Akila) à la page 2.
[21] Idem.
[22] Dale Carruthers, « London magic mushroom shop still open after chain claims to shut 30 locations », London Free Press (5 décembre 2024), en ligne, en anglais.
[23] Lance v. Canada (Attorney General), 2024 FC 787, au par. 97.
[24]Idem, au par. 35.
[25] Idem, au par. 64-90.
[26] Sharon Kirkey, « ‘Suicide headache’ patient granted magic mushroom access after Health Canada U-turn », National Post (12 juin 2024), en ligne, en anglais.

Par Leila Rafi, Sasa Jarvis, , Veronica Russo et Gary Preteau (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2025

Perspectives (5 Posts)Voir Plus

Featured Insight

Black History, Black Futures avec entre Paul Davis et l’athlète olympique Jerome Blake

Dans cet épisode, Paul Davis, associé au sein des groupes Marchés des capitaux et valeurs mobilières et Fusions et acquisitions, s’est entretenu avec le médaillé d’or olympique canadien Jerome Blake sur l’importance du mentorat dans son parcours vers la réussite.

Lire plus
17 Mar, 2025
Featured Insight

Nouveaux énoncés de pratique de la commission des oppositions des marques de commerce entrant en vigueur le 1er avril 2025 sur la gestion de l’instance, les ordonnances de confidentialité et l’adjudication des frais

Les modifications du Règlement sur les marques de commerce mettent en œuvre la gestion de l’instance, les ordonnances de confidentialité et l’adjudication des frais dans les procédures d’opposition, de l’article 45 et d’objection.

Lire plus
11 Mar, 2025
Featured Insight

Compte à rebours concernant le carbone : le Canada annonce un projet de protocole fédéral de crédits compensatoires pour le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone direct de l’air

Le gouvernement fédéral a publié un projet de protocole de crédits compensatoires pour le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone direct de l’air, ouvrant de nouvelles voies pour la création de crédits supplémentaires.

Lire plus
11 Mar, 2025
Featured Insight

Le secteur minier en Ontario : défis et perspectives d’une industrie en terrain accidenté

Chef de file mondial, le secteur minier canadien s’attaque aux délais d’obtention de permis, aux obstacles à l’investissement et aux pénuries de talents afin de stimuler la croissance et la compétitivité.

Lire plus
11 Mar, 2025
Featured Insight

Dans le contexte des guerres commerciales, le Canada élargit les examens relatifs à la sécurité nationale des investissements étrangers

En réaction à sa guerre commerciale avec les États-Unis, le Canada a mis à jour ses lignes directrices relatives à la sécurité nationale afin que la sécurité économique devienne un facteur de sécurité nationale.

Lire plus
10 Mar, 2025