Insights Header image
Insights Header image
Insights Header image

Gérer l’incertitude économique : ce que les entreprises doivent savoir sur les clauses de force majeure en droit québécois

18 février 2025 Bulletin sur le droit des affaires Lecture de 7 min

Les organisations, frappées par l’incertitude économique croissante alimentée par les possibles tarifs américains sur les marchandises canadiennes, recherchent de plus en plus des stratégies d’atténuation des risques dans leurs contrats. Peuvent-elles invoquer la clause de force majeure?

En vertu du droit québécois, les parties peuvent invoquer des clauses de force majeure pour se dégager de leurs obligations contractuelles lorsque des événements imprévisibles et incontrôlables se produisent.

Le présent bulletin examine ce qui constitue un cas de force majeure en droit québécois, l’application de la disposition connexe et ce que les organisations doivent prendre en compte dans le contexte d’une relation interentreprises.

1.  Qu’est-ce qui constitue un cas de force majeure en droit québécois?

En droit québécois, voici ce que prévoit l’article 1470 du Code civil du Québec (« CcQ ») :

« Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. »

Ainsi, le CcQ permet expressément l’extinction des obligations contractuelles d’une organisation lorsqu’un cas de force majeure à la fois imprévisible et irrésistible se produit. En d’autres termes, pour qu’un événement soit qualifié de cas de force majeure, il doit être indépendant de la volonté de la partie touchée, impossible à anticiper au moment de la formation du contrat et impossible à surmonter.

2.   Deux cas de figure dans lesquels une partie peut invoquer la force majeure

En droit québécois, une organisation peut invoquer une force majeure pour obtenir un allègement de ses obligations contractuelles, principalement dans deux cas de figure :

  1. les parties ont expressément convenu d’une clause de force majeure dans leur contrat et cette clause prévoit une réparation mutuellement convenue en cas de force majeure;
  2. le contrat n’aborde pas les cas de force majeure, auquel cas la partie touchée peut invoquer l’application du CcQ et demander réparation pour suspendre ou résilier ses obligations.

Les parties à un contrat commercial sont libres de négocier les modalités d’une clause de force majeure en fonction de leurs besoins, notamment sa portée, les faits déclencheurs et les conséquences de la survenance d’un cas de force majeure. Si les parties conviennent expressément des modalités d’une clause de force majeure dans leur accord commercial, ces modalités prévaudront entre elles. Par conséquent, les cours interpréteront l’application et la portée d’une clause de force majeure en fonction des règles d’interprétation du droit des contrats.

En revanche, si le contrat n’aborde pas la question et ne contient pas de clause de force majeure, l’article 1470 du CcQ peut s’appliquer. Dans ce cas, il incombe à la partie qui invoque une force majeure de prouver que ses obligations contractuelles doivent être éteintes ou suspendues en raison de la survenance d’un événement imprévisible et irrésistible.

3.   Évaluation des cas de force majeure

i. Personne diligente et prudente

D’entrée de jeu, l’évaluation d’un cas de force majeure est effectuée du point de vue d’une personne raisonnablement diligente et prudente placée dans les mêmes circonstances que les parties. En d’autres termes, une partie touchée par un cas de force majeure doit être en mesure de démontrer que toute autre personne raisonnable et prudente se trouvant dans les mêmes circonstances n’aurait pas été en mesure de remplir ses obligations en raison du cas de force majeure. Il ne suffit pas que la partie touchée démontre qu’elle était incapable d’exécuter ses obligations à titre personnel.

ii.  Événement imprévisible

Pour interpréter une clause de force majeure ou déterminer si un événement peut être qualifié de force majeure en vertu du CcQ, les cours analysent les circonstances au moment de la formation du contrat. Dans leur analyse, elles évaluent si le cas de force majeure était prévisible au moment de la formation du contrat. Si l’événement allégué était raisonnablement prévisible à ce moment, les cours du Québec ne qualifieraient pas l’événement de cas de force majeure.

iii.  Événement irrésistible

Pour évaluer le caractère irrésistible d’un événement, les cours du Québec évaluent si les effets de l’événement étaient insurmontables et si sa survenance était inévitable. Pour qu’un événement soit considéré comme irrésistible, il faut qu’il y ait une impossibilité absolue d’exécution, pas seulement une difficulté ou un coût accru pour la partie touchée. Ainsi, le critère d’irrésistibilité prévu par le CcQ ne s’appliquera pas à toute obligation dont l’exécution devient plus contraignante ou exceptionnellement difficile.

iv.  Événement externe

Les cours évalueront également l’externalité de l’événement. Essentiellement, une partie touchée par un cas de force majeure peut être libérée de l’exécution de ses obligations prévues par le contrat lorsque l’événement était entièrement externe à la partie en question. En d’autres termes, le cas de force majeure ne doit pas être causé par un acte ou une faute imputable à la partie touchée ou influencé d’une manière ou d’une autre par celle-ci.

4.    Exceptions à l’extinction des obligations pour cause de force majeure

Il existe deux grandes exceptions à la règle de la force majeure prévue à l’article 1470 du CcQ. La première exception est lorsque la partie touchée a convenu par contrat d’assumer les risques ou les pertes en cas de force majeure. Dans ce cas, la partie touchée ne pourra pas invoquer ultérieurement l’exemption prévue à l’article 1470 du CcQ.

La seconde exception à la règle est une situation où une partie est déjà en défaut d’exécution de ses obligations lorsque le cas de force majeure se produit. Dans ce cas, l’autre partie peut exiger l’exécution en nature des obligations ou, si l’exécution est devenue impossible, l’exécution par équivalence. Toutefois, il convient de noter que cette exception est elle-même soumise à une exception.

5.   Comment les cours du Québec ont-elles interprété la force majeure?

Les cours du Québec appliquent des critères stricts lorsqu’elles évaluent les cas de force majeure. Pour pouvoir invoquer un cas de force majeure, une partie doit démontrer les conditions d’externalité (c’est-à-dire que l’événement n’est pas attribué à la partie touchée), d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’impossibilité absolue d’exécuter l’obligation. En outre, la partie touchée doit également démontrer qu’elle ne pouvait pas empêcher le cas de force majeure puisqu’il échappait totalement à son contrôle.

Les cours du Québec ont accepté des réclamations pour force majeure dans des cas où des fermetures imposées par le gouvernement (par exemple, les fermetures liées à la COVID-19) ont rendu impossible l’exécution du contrat. Toutefois, les cours ont également statué que les fluctuations du marché, les augmentations de prix des matières premières et les changements de politique étrangère défavorables ne constituent pas nécessairement une force majeure. Bien que perturbatrices, ces circonstances ne rendent pas l’exécution absolument impossible.

Le sujet de la force majeure a suscité un regain d’intérêt dans le contexte des récentes incertitudes économiques associées aux États-Unis, particulièrement en ce qui concerne l’imposition soudaine de tarifs touchant de façon importante différents secteurs d’activité. Une partie peut-elle suspendre ou résilier ses obligations prévues par un contrat commercial dans le cas où un tarif soudain et inattendu est imposé par un gouvernement étranger, entraînant des perturbations majeures dans un secteur d’activité? Nous n’avons pas de réponse toute faite à cette question. Les organisations devraient demander un avis juridique pour évaluer leurs options et les recours juridiques dont elles disposent en vertu de leur contrat ou du CcQ.

Enfin, et tel que mentionné précédemment, une partie qui est déjà en défaut de ses obligations contractuelles aura plus de difficulté à invoquer avec succès la force majeure.

6.   Principaux éléments à prendre en compte lors de la négociation d’une clause de force majeure

Fondamentalement, une clause de force majeure permet aux parties contractantes de s’entendre sur ce qui constitue un cas de force majeure, le moment où il est déclenché et la façon dont le risque est réparti entre les parties. Bien que les clauses de force majeure puissent varier considérablement sur le plan de la portée et de la complexité, voici quelques éléments à prendre en compte.

i.  Fait déclencheur

La clause devrait définir clairement quels événements dispensent une partie de l’exécution du contrat. Certains contrats adoptent une définition générale qui correspond à celle du CcQ, tandis que d’autres présentent des événements précis (par exemple, les catastrophes naturelles, les pandémies, les mesures gouvernementales, les guerres, les grèves). Les organisations peuvent convenir de la portée des faits déclencheurs et doivent examiner attentivement le type d’événement qui peut déclencher l’application de la clause de force majeure.

ii.  Conséquence des faits déclencheurs

La clause doit préciser la mesure dans laquelle un événement affecte l’exécution du contrat. En droit québécois, l’exécution doit devenir impossible; il ne suffit pas qu’elle soit plus difficile ou plus coûteuse. Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement d’un seuil inférieur. La clause peut également comprendre une obligation de limitation du préjudice, exigeant que la partie touchée prenne des mesures raisonnables pour minimiser la conséquence.

iii.  Exemptions précises

Les parties peuvent exclure ou limiter l’application de la clause de force majeure. Certains contrats excluent explicitement de la force majeure les difficultés financières, les changements de réglementation ou les pénuries de main-d’œuvre. En fonction de la nature du contrat, du secteur d’activité et des parties touchées, les organisations peuvent juger utile d’exclure certains événements de la définition d’un cas de force majeure afin de garantir que les obligations contractuelles sont exécutées en dépit de la survenance d’un tel événement.

iv.  Exigences d’avis

De nombreuses clauses de force majeure imposent à la partie touchée d’aviser l’autre partie en temps opportun de la survenance d’un cas de force majeure. Le droit de la partie touchée de demander réparation pourrait être restreint ou perdu si elle ne le fait pas. La clause doit préciser la forme que doit avoir l’avis (par exemple, avis écrit, courriel, courrier recommandé, etc.) et l’exigence de fournir des mises à jour si l’événement se poursuit. Une bonne pratique est de décrire l’événement, ses effets, la durée prévue et les mesures d’atténuation, entre autres détails.

v. Durée des cas de force majeure

La clause devrait préciser ce qui se produit si un fait déclencheur persiste au-delà d’une période raisonnable. Certains contrats prévoient une suspension temporaire des obligations, tandis que d’autres prévoient des droits de résiliation si l’événement se poursuit au-delà d’une période déterminée (par exemple, 30, 60 ou 90 jours). L’inclusion de droits de résiliation clairs peut contribuer à atténuer l’incertitude et à réduire les contestations d’interprétation devant les cours.

7.   Points à retenir

En période d’instabilité économique, les organisations doivent évaluer soigneusement leurs contrats afin de déterminer si les clauses de force majeure peuvent leur offrir un recours viable. Bien que le droit québécois fournisse un cadre juridique par défaut applicable aux cas de force majeure, les parties à un contrat commercial interentreprises ont la possibilité de rédiger une clause contractuelle en fonction de leurs besoins et de leurs réalités propres.

Toutefois, compte tenu de l’interprétation stricte des clauses de force majeure par les cours du Québec, les organisations devraient demander des conseils juridiques pour s’assurer que leurs contrats offrent une protection adéquate contre les perturbations imprévues, comme les tarifs imposés par le gouvernement.

En comprenant l’application et la portée de la force majeure en droit québécois, les organisations peuvent atténuer les risques de manière proactive et naviguer dans l’incertitude économique avec plus de confiance.

Par Amir Kashdaran

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2025

Perspectives (5 Posts)Voir Plus

Featured Insight

Black History, Black Futures avec entre Paul Davis et l’athlète olympique Jerome Blake

Dans cet épisode, Paul Davis, associé au sein des groupes Marchés des capitaux et valeurs mobilières et Fusions et acquisitions, s’est entretenu avec le médaillé d’or olympique canadien Jerome Blake sur l’importance du mentorat dans son parcours vers la réussite.

Lire plus
17 Mar, 2025
Featured Insight

Nouveaux énoncés de pratique de la commission des oppositions des marques de commerce entrant en vigueur le 1er avril 2025 sur la gestion de l’instance, les ordonnances de confidentialité et l’adjudication des frais

Les modifications du Règlement sur les marques de commerce mettent en œuvre la gestion de l’instance, les ordonnances de confidentialité et l’adjudication des frais dans les procédures d’opposition, de l’article 45 et d’objection.

Lire plus
11 Mar, 2025
Featured Insight

Compte à rebours concernant le carbone : le Canada annonce un projet de protocole fédéral de crédits compensatoires pour le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone direct de l’air

Le gouvernement fédéral a publié un projet de protocole de crédits compensatoires pour le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone direct de l’air, ouvrant de nouvelles voies pour la création de crédits supplémentaires.

Lire plus
11 Mar, 2025
Featured Insight

Le secteur minier en Ontario : défis et perspectives d’une industrie en terrain accidenté

Chef de file mondial, le secteur minier canadien s’attaque aux délais d’obtention de permis, aux obstacles à l’investissement et aux pénuries de talents afin de stimuler la croissance et la compétitivité.

Lire plus
11 Mar, 2025
Featured Insight

Dans le contexte des guerres commerciales, le Canada élargit les examens relatifs à la sécurité nationale des investissements étrangers

En réaction à sa guerre commerciale avec les États-Unis, le Canada a mis à jour ses lignes directrices relatives à la sécurité nationale afin que la sécurité économique devienne un facteur de sécurité nationale.

Lire plus
10 Mar, 2025