Gestion des perturbations de la chaîne d’approvisionnement : l’importance des clauses de Force Majeure et de règlement des différends
Gestion des perturbations de la chaîne d’approvisionnement : l’importance des clauses de Force Majeure et de règlement des différends
L’impact dévastateur du coronavirus a mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Les entreprises canadiennes ont déjà constaté des retards dans la réception de marchandises provenant de leurs fournisseurs étrangers ainsi que des interruptions de service chez les fournisseurs de services critiques non résidents. Alors que l’incidence de ces perturbations se fait de plus en plus sentir, les entreprises devront porter une attention toute particulière aux dispositions « standards » figurant dans leurs contrats et qui portent sur des questions telles que la force majeure et le règlement des différends.
Force majeure : portée et avis
Le trait commun des clauses de force majeure est l’événement « inattendu et humainement imprévisible et incontrôlable[1]. » En dépit de ce trait commun, les clauses de force majeure varient grandement, aussi est-il important de vérifier le libellé de ces clauses rapidement dès qu’un différend survient afin d’examiner les questions suivantes :
- Portée des événements déclencheurs : le libellé des clauses de force majeure sera un facteur critique pour résoudre la question de savoir si les impacts du coronavirus sont des motifs d’excuse des retards dans l’exécution d’obligations contractuelles. Les tribunaux devront déterminer l’intention des parties en tenant compte du contrat dans son entier, en donnant aux mots employés dans la clause de force majeure leur sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat[2].
- Incidence sur les événements déclencheurs : Un fournisseur n’a pas forcément besoin de démontrer que les événements déclencheurs rendent l’exécution du contrat impossible. Cependant, il devra habituellement démontrer que les événements ont créé, en termes commerciaux, un problème réel et important. Un fournisseur peut aussi avoir un devoir d’atténuation de l’effet des événements déclencheurs, s’il est raisonnable pour lui de le faire dans les circonstances[3].
- Avis et durée : Bon nombre de clauses de force majeure exigent qu’un avis d’un événement déclencheur soit donné rapidement. Si l’événement se prolonge au-delà d’un délai défini, l’autre partie au contrat peut avoir le droit de donner un avis de résiliation du contrat.
Le principe d’impossibilité d’exécution (frustration) en common law
Dans les territoires canadiens de common law, en l’absence d’une clause de force majeure dans un contrat, un fournisseur peut avoir à invoquer le principe de l’impossibilité d’exécution (frustration) ou de l’impossibilité sur le plan commercial. Ce principe permet à une partie de résilier le contrat dans son intégralité, plutôt que de suspendre l’exécution d’une obligation de façon temporaire. Toutefois, le fardeau dans le cadre d’une réclamation fondée sur l’impossibilité d’exécution est élevé. Le critère est de savoir si un événement est survenu après la formation du contrat qui rend l’exécution du contrat radicalement différente de celle qu’avaient envisagée les parties au moment de la conclusion du contrat. Si ce critère strict est rempli, le contrat sera considéré comme résilié[4].
Règles par défaut au Québec et dans d’autres territoires de droit civil
Dans les territoires de droit civil comme le Québec, les fournisseurs qui ne disposent pas d’une clause de force majeure dans les contrats qu’ils ont conclus peuvent se fonder sur les dispositions figurant dans le Code civil du Québec[5](« CCQ ») ou des textes correspondants dans les autres territoires. Le CCQ comporte des dispositions relatives à la force majeure qui s’appliquent lorsque les parties n’ont pas inclus une telle clause dans leurs contrats. Ces dispositions ne sont pas d’ordre public et, par conséquent, toute clause contractuelle sur le même sujet aura préséance sur les dispositions du CCQ en cette matières[6]. Les deux critères requis pour qu’un événement soit considéré comme un événement de force majeure sont les suivants[7] :
- le caractère imprévisible de l’événement pour un débiteur de l’obligation raisonnablement prudent et diligent au moment de la conclusion du contrat[8];
- le caractère irrésistible de l’événement à tel point que tout effort de résistance à celui-ci ou à ses effets serait futile. On ne s’attend pas à une perfection de la part du débiteur de l’obligation, mais il doit tout de même faire preuve d’une diligence raisonnable. Le débiteur de l’obligation ne peut éviter la responsabilité uniquement du fait que l’obligation devient pour lui plus difficile, dangereuse ou coûteuse à exécuter. L’exécution de l’obligation doit être empêchée par la survenance de l’événement de manière absolue et permanente, sauf si les délais sont de rigueur[9].
Si un débiteur d’une obligation peut démontrer qu’un événement de force majeure est survenu, il peut être libéré de ses obligations. Le débiteur peut se fonder sur les dispositions du CCQ relatives à la force majeure avant qu’il ne soit en défaut à l’égard de l’exécution de ses obligations. Une fois qu’il est en défaut, il ne peut se fonder que sur les dispositions relatives à la force majeure lorsque son créancier n’aurait pas pu bénéficier de l’exécution de ses obligations en raison du même événement de force majeure. Par conséquent, l’applicabilité de ces dispositions dépendra beaucoup des faits de l’espèce et devrait être évaluée au cas par cas. Dans tous les cas, le fardeau de la preuve incombe au débiteur de l’obligation[10].
Si un débiteur d’une obligation a assumé la responsabilité à l’égard des événements visés dans des clauses contractuelles, ou a commis une faute en raison de ses actes, il ne pourra pas se prévaloir des dispositions de force majeure prévues dans le CCQ[11]. Le débiteur qui invoque la force majeure devrait garder à l’esprit que, ce faisant, il libère le créancier de l’exécution de son obligation corrélative. Si l’obligation a déjà été entièrement exécutée, le créancier sera tenu de dédommager le débiteur. Si l’obligation a été partiellement exécutée, le créancier demeure responsable dans la mesure de son enrichissement du fait de l’exécution par le débiteur de son obligation[12].
Clauses de choix des lois applicables et de règlement des différends
Comme il a été démontré ci-dessus, la possibilité d’invoquer la force majeure et l’interprétation des clauses de force majeure dépendra du choix de lois applicables fait par les parties. De plus, le choix de la loi applicable au contrat ne doit pas être confondu avec le choix du forum ou du tribunal ayant compétence pour entendre les différends découlant du contrat.
Les parties à des ententes d’approvisionnement internationales choisissent souvent de s’en remettre à l’arbitrage pour le règlement de leurs différends. La souplesse des règles d’arbitrage est un atout dans un contexte d’affaires où les témoins et les conseillers juridiques pourraient ne pas être en mesure de se déplacer ou de participer à des réunions en personne. Bon nombre de règles d’arbitrage international comportent davantage d’exigences informelles en ce qui concerne la signification des actes de procédure ou la présentation de la preuve que n’en comportent les règles de la plupart des tribunaux nationaux. Les dépôts courants sont effectués par courriel, les interrogatoires préalables ne sont d’habitude pas autorisés et la preuve par témoin est souvent présentée au moyen de déclarations écrites sans serment. Bien que les témoins puissent être requis de témoigner sous serment, les tribunaux d’arbitrage international autorisent souvent des témoignages par vidéoconférence ou sont disposés à tenir des audiences orales dans des lieux qui sont plus pratiques pour les parties que ce qu’offre le lieu de l’arbitrage prévu dans le contrat.
À la lumière de la crise actuelle, les tribunaux de nombreux territoires canadiens ne publient que maintenant des directives visant la dispense de formalités légales qui pourraient créer des risques inutiles pour la santé. Ces directives évoluent rapidement et autorisent le dépôt par voie électronique, prolongent les délais de prescription ou de procédure et disposent d’une observation stricte de certaines règles de procédure civile. Les parties à un litige et les tribunaux devraient prendre acte du succès des intervenants du domaine de l’arbitrage sur le plan de la dispense des formalités et prendre les mesures qui s’imposent pour protéger la santé du public dans le contexte de la crise actuelle.
par Robert Wisner et Thomas van den Hoogen
[1] Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne-Nackawic Pulp and Paper Co., 1975, [1976] 1 RCS 580, 56 DLR (3d) 409, au par. 4.
[2] Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., [2014] 2 R.C.S. 633, au par. 47.
[3] Atcor Ltd v Continental Energy Marketing Ltd, [1996] 6 WWR 274, 1996 CarswellAlta 642 (Alta CA) at paras 29-30.
[4] Naylor Group Inc.c. Ellis-Don Construction Ltd., 2001 R.C.S. 58.
[5] R.L.R.Q. c. CCQ-1991 [CCQ].
[6] Pierre-Gabriel Jobin & Nathalie Vézina, Motifs légaux d’exonération, Les obligations, 7th Edition, EYB2013OBL128, 1051-1072, aux par. 844 et s. [Jobin & Vézina].
[7] CCQ, supra note 5, à l’article 1470.
[8] Jobin & Vézina, supra note 6, au par. 845.
[9] Jobin & Vézina, supra note 6, au par. 846.
[10] CCQ, supra note 5, à l’art. 1693.
[11] Zurich, compagnie d’assurances du Canada c. Centre du camion Beaudoin inc., 2013 QCCS 1985, aux par. 90 à 101.
[12] CCQ, supra note 5, à l’art. 1694.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
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