Interdiction d’acquisition, imposition d’une taxe et bien plus : introduction au PL 86 à saveur agricole !
Interdiction d’acquisition, imposition d’une taxe et bien plus : introduction au PL 86 à saveur agricole !
Le gouvernement du Québec a récemment présenté à l’Assemblée nationale le Projet de loi no 86, Loi visant à assurer la pérennité du territoire agricole et sa vitalité (le « projet de loi » ou « PL 86 »).
Ce projet de loi introduit plusieurs modifications significatives à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (la « LPTAA ») et autres lois connexes. Il impose certaines restrictions sur l’acquisition de terres agricoles par des non-agriculteurs, et prévoit un système robuste de surveillance et de sanction en cas de non-respect de la nouvelle réglementation. Les municipalités, d’ailleurs, se voient dotées du pouvoir d’imposer une taxe sur les unités d’évaluation qui comprennent des terres à vocation agricole exploitables, mais non exploitées.
Définition d’« agriculture »
Dans un premier temps, le PL 86 propose d’amender la définition d’« agriculture » dans la LPTAA, afin d’y exclure la construction ou l’utilisation de serres, d’une superficie totale de deux hectares ou plus, et de bâtiments de production végétale autres que des serres, d’une superficie totale de 5 000 m2 ou plus, si, dans les deux cas, ils sont situés majoritairement sur des sols de classe 1 à 3 à l’Inventaire des Terres du Canada. Ces classes représentent les sols ne comportant aucune limitation importante à la production agricole (classe 1), les sols présentant des limitations modérées, restreignant notamment la diversité des cultures (classe 2) et les sols présentant des limitations assez sérieuses nécessitant des pratiques de conservation spéciales (classe 3).
Restrictions sur l’acquisition de terres agricoles
D’ailleurs, s’il est adopté, le PL 86 instaurera un moratoire avec effet rétroactif au 5 décembre 2024, soit la date de présentation du PL 86, sur l’achat de terre agricole par des fonds d’investissement et à certaines conditions, des personnes morales qui ne sont pas des exploitations agricoles enregistrées conformément à la Loi sur le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. L’interdiction totale prendra fin avec l’entrée en vigueur du projet de loi, soit à partir du moment où sera nécessaire pour bon nombre d’acquéreurs potentiels, autres que des agriculteurs, d’obtenir l’approbation de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (la « CPTAQ ») avant de pouvoir acquérir une terre agricole. L’acheteur non-agriculteur devra convaincre la CPTAQ que ses intentions sont agricoles plutôt que financières ou spéculatives. Lorsqu’elle sera appelée à évaluer une telle demande d’acquisition, la CPTAQ devra prendre en considération, entre autres, l’usage projeté de la terre, notamment l’intention de l’acquéreur de cultiver le sol ou d’élever des animaux; le caractère propice de la terre à la culture du sol ou au pâturage; l’incidence de l’acquisition sur le prix des terres agricoles de la région; et les effets de l’acquisition sur le développement économique de la région. À noter qu’une vente effectuée entre le 5 décembre 2024 et la date éventuelle de l’entrée en vigueur, soit en violation du moratoire, pourrait être annulée ou confirmée, a posteriori, par la Commission.
Le PL 86 renforce également le cadre d’analyse que la CPTAQ doit appliquer lors de l’examen de demandes d’autorisation, c’est-à-dire une demande cherchant à ce que soit autorisé une nouvelle utilisation d’une terre à des fins autres que l’agriculture, ainsi que les demandes d’exclure un lot d’une zone agricole. Cela implique l’ajout de nouveaux critères sur lesquels la CPTAQ doit se baser, dont le dynamisme du territoire agricole; les effets d’une utilisation relative à l’agrotourisme, le cas échéant, sur la viabilité de l’exploitation agricole avoisinante; et la conformité (ou non) de la demande au schéma d’aménagement et de développement de la région. Le projet de loi prescrit aussi la nécessité d’imposer des mesures d’atténuation lorsque des utilisations non agricoles sont autorisées.
Le projet de loi s’étend par ailleurs aux restrictions sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents. Entre autres, il est désormais obligatoire qu’un non-résident obtienne l’autorisation de la CPTAQ avant d’acheter les actions d’une société par actions dont l’un des actifs, et non plus son principal actif, consiste en une terre agricole, si cette acquisition d’actions a pour effet de rendre ladite société non-résidente du Québec.
Registre des transactions
Afin d’améliorer la transparence des transactions foncières et évaluer, en temps réel, le statut des terres agricoles au Québec, le PL 86 prévoit un mécanisme de suivi de certains droits fonciers. Il est ainsi prévu que certains droits portant sur les lots situés en zone agricole, droits spécifiques à être déterminés par règlement, devront être inscrits au registre foncier. L’Officier de la publicité foncière devra, par la suite, rendre ces renseignements disponibles à la CPTAQ. Celle-ci, à son tour, devra transmettre ces renseignements au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation afin de le soutenir dans l’élaboration de projets et programmes visant à assurer la protection et le développement de l’agriculture au Québec.
Dans ce même d’ordre d’idée, la CPTAQ tient désormais un nouveau registre de renseignements relatifs aux sanctions administratives pécuniaires imposées en application de la LPTAA. Entre autres, ce registre précise le nom du contrevenant, la date et la nature du manquement ayant donné lieu à l’imposition de la sanction ainsi que le montant de la sanction imposée.
Pouvoir de taxation des municipalités
Le PL 86 accorde également aux municipalités le pouvoir d’imposer une taxe sur les unités d’évaluation qui comprennent des terres à vocation agricole exploitables, mais non exploitées. La taxe est calculée sur la valeur imposable de la terre à vocation agricole exploitable, mais non exploitée. Cette mesure vise à inciter les propriétaires de terres agricoles à les exploiter activement plutôt qu’à les laisser en friche.
La définition de terres à vocation agricole exploitables, mais non exploitées exclut notamment les terres qui font déjà l’objet d’un droit d’utilisation pour un usage autre qu’agricole, les terres qui constituent l’assiette d’un bâtiment avec une valeur égale ou supérieure à 10 000 $ et les terres d’une superficie d’un demi-hectare ou moins. Les municipalités qui choisissent d’imposer une telle taxe peuvent d’ailleurs prévoir des cas d’exonération.
Immunité de poursuite
Le PL 86 élargit l’immunité de poursuite civile pour les agriculteurs. Ces derniers sont toujours protégés de réclamations en raison des poussières, bruits ou odeurs qui résultent d’activités agricoles. Et le projet de loi étend désormais cette immunité aux nuisances liées aux lumières, fumées, vibrations et insectes inhérents à la pratique de l’agriculture.
Parc d’innovation agricole
Le projet de loi établit également un parc d’innovation agricole, dont la mission est de protéger les terres agricoles qui le composent et d’y favoriser l’implantation de modèles et de pratiques innovantes en matière d’agriculture. Les terres qui constituent le parc seront déterminées par le gouvernement.
Sanctions administratives et pénales
Pour assurer le respect des normes de protection du territoire agricole, le projet de loi introduit un régime bonifié de sanctions administratives pécuniaires. Par exemple, des sanctions administratives peuvent être imposées aux non-agriculteurs qui achètent des terres agricoles sans l’approbation préalable de la CPTAQ; ainsi qu’aux personnes qui omettent de fournir des informations ou documents requis par la CPTAQ, ou qui négligent de transmettre les renseignements fonciers exigés par règlement. Bien que les montants exacts des pénalités seront déterminés par règlement, ils ne peuvent généralement pas dépasser 5 000 $ pour les personnes physiques et 10 000 $ pour les autres entités. D’autres sanctions sont prévues spécifiquement pour les non-résidents qui transgressent les normes de protection. Le PL 86 prévoit d’ailleurs des facteurs aggravants aux fins de la détermination de la peine en cas de poursuite pénale.
Pouvoirs d’enquête
Le PL 86 établit également un régime d’inspection musclé pour superviser le respect des normes de protection des terres agricoles, en habilitant des inspecteurs et des enquêteurs à mener des investigations approfondies. Ces derniers sont autorisés à pénétrer sur un lot situé en zone agricole, incluant dans les bâtiments non résidentiels et les véhicules, à toute heure raisonnable, et peuvent prélever des échantillons de sol, effectuer toute sorte de tests, et même utiliser tout ordinateur ou matériel se trouvant sur les lieux pour accéder à des données relatives à l’application des règles contenues dans un appareil électronique. Bien entendu, toute personne qui entrave, gêne ou trompe les inspecteurs et enquêteurs dans l’exercice de leurs fonctions est passible d’une amende de plusieurs milliers de dollars.
Entrée en vigueur
Finalement, le projet de loi prévoit que l’entrée en vigueur de certaines mesures est subordonnée à l’adoption d’un ou plusieurs règlements par le gouvernement du Québec. Comme nous l’avons vu précédemment, les droits agricoles spécifiques qui devront être inscrits au registre foncier, ainsi que le montant exact des sanctions administratives pécuniaires, seront prévus par règlement. D’autre part, au titre des acquéreurs qui ne peuvent acheter des terres agricoles sans l’approbation de la CPTAQ, le PL 86 rajoute le propriétaire de terres agricoles dont la superficie totale dépasse un certain seuil, seuil qui sera fixé par règlement.
Conclusion
Sans surprise, le projet de loi a généralement été bien accueilli par les acteurs du secteur agricole. Toutefois, nous doutons que le même accueil s’applique aux propriétaires passifs de terres agricoles ou encore aux personnes souhaitant développer un projet autre qu’agricole sur une telle terre. Au surplus, quelles seront les balises du pouvoir d’imposition de la taxe par les municipalités ou encore pour la création du parc d’innovation agricole? Ce projet de loi soulève plusieurs incertitudes quant à son application et au fardeau financier que pourraient subir certains propriétaires fonciers concernés. Notre équipe suivra l’évolution du PL 86 au cours des prochains mois.
By Sonia Rainville, Marie-Lou Beaumont, Martin Thiboutot and Noah Davis-Assil (stagiaire)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis. Il est préférable d’obtenir un avis juridique spécifique.
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