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La Cour canadienne de l’impôt reconnaît que des paiements inscrits en tant que « salaire » étaient en fait des prêts d’actionnaires

1er avril 2025 Bulletin en fiscalité Lecture de 5 min

La décision récemment rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Malamute Contracting Inc. v. The King  Malamute »)[1] illustre les problèmes que peuvent engendrer les notes occasionnelles dans les documents financiers, à savoir que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») peut choisir les notes à partir desquelles établir une position en matière de cotisation à l’égard des contribuables, même s’ils respectent la loi.

Les faits

Dans l’affaire Malamute, le contribuable était « une petite entreprise contractante qui effectue principalement de la rénovation de cuisines et de salles de bains ». Les actionnaires du contribuable étaient les époux David et Danielle Lynch. David réalisait la plupart des travaux avec l’aide de deux employés, tandis que Danielle s’occupait de la comptabilité de l’entreprise[2].

Malamute a émis au couple des chèques toutes les deux semaines entre janvier 2018 et mars 2019 pour des montants « généralement constants ». Les chèques portaient la mention « paie » et y figuraient généralement des « montants non arrondis » (1 889,12 $, par exemple) semblables à un salaire net « qu’une personne recevrait après déduction de l’impôt sur le revenu et des retenues du Régime de pensions du Canada (« RPC ») d’un salaire brut[3] ». Malamute a effectivement procédé au versement de l’impôt sur le revenu et des cotisations au RPC sur les chèques de janvier et février 2018, mais a ensuite cessé de le faire et commencé à traiter les paiements comme des avances d’actionnaires[4].

L’ARC était d’avis que les paiements effectués à partir de mars 2018 constituaient également un salaire sur lequel Malamute devait retenir et verser de l’impôt sur le revenu et des cotisations au RPC. Par conséquent, l’ARC a établi une cotisation à l’égard de Malamute, laquelle comprenait des pénalités[5].

Comme il a été expliqué en première instance et accepté par la Cour, c’est en définitive « la volonté de Danielle de se conformer aux obligations fiscales qui a mis Malamute dans l’embarras[6] ». Danielle ne possédait aucune expérience en tant que commis comptable. Puisqu’elle savait qu’elle et son mari allaient devoir payer de l’impôt sur les montants qu’ils recevaient de Malamute, elle a utilisé un site Web du gouvernement pour estimer la somme à verser pour chaque chèque. Elle a donc émis des chèques pour les montants « non arrondis » ainsi que pour les versements erronés de janvier et février 2018[7].

La situation de Malamute illustre bien l’adage selon lequel « aucune bonne action ne reste impunie ».

La décision

Le juge Cook, s’exprimant au nom de la Cour canadienne de l’impôt, a fait remarquer qu’il est reconnu en droit que « le traitement fiscal d’un paiement est régi par sa nature au moment où il est effectué », de sorte qu’une fois qu’un paiement est versé à titre de salaire, sa nature ne peut pas être modifiée rétroactivement à des fins fiscales[8]. Le juge Cook a aussi indiqué qu’« un contribuable peut passer des écritures dans les livres comptables pour refléter les ajustements de ses comptes au fur et à mesure qu’ils ont lieu » et qu’« un actionnaire salarié peut retirer de l’argent sous forme de prêts d’une société au cours de l’année. À la fin de l’année, la répartition des dividendes et du salaire de l’actionnaire salarié est décidée. Le compte de prêts est alors ajusté en conséquence[9]. »

Le juge Cook a conclu que, d’après le témoignage de David et Danielle Lynch et de leur comptable, « le plan depuis le début était de payer le couple sous forme de dividendes et non de salaire », étant donné que « le paiement d’un salaire pourrait créer d’énormes problèmes de flux de trésorerie pour une petite entreprise comme Malamute si elle ne disposait pas des fonds nécessaires pour les versements[10] ». Il a également noté que les états financiers de Malamute concordaient avec le fait que le couple n’a pas reçu de rémunération d’emploi et que les chèques « étaient généralement comptabilisés comme des prélèvements sur le compte de prêts des actionnaires[11] ». Il a blâmé l’ARC d’avoir principalement choisi les mois de janvier et février 2018 et ignoré les douze mois suivants, précisant qu’« il semble s’agir d’une extrapolation injustifiée de la part de l’ARC, qui n’a pas tenu compte adéquatement du contexte factuel[12] ».

L’ARC a tenté de faire valoir que Malamute ne pouvait pas déclarer et payer des dividendes puisqu’elle n’était pas solvable. C’est pourquoi les montants versés au couple ne pouvaient être autre chose que des salaires. Le juge Cook a rejeté cet argument, faisant remarquer que même si Malamute avait des problèmes de solvabilité, il ne voyait pas en quoi cela justifiait de transformer le montant des chèques en salaire si la mention de l’objet n’indiquait rien à ce sujet[13].

L’ARC a également tenté de faire valoir que Malamute avait « admis » que les chèques correspondaient à des versements de salaire, puisque son comptable, lors de la vérification de l’ARC, a laissé entendre que les chèques de janvier et février 2018 (sur lesquels des versements avaient été effectués) pouvaient être considérés comme un salaire, mais pas les autres chèques. Le juge Cook a rejeté cette déclaration en précisant qu’« elle n’apparaît pas comme un aveu de M. Pallard, mais plutôt comme une concession faite dans le but de régler le dossier avec l’ARC[14] ».

Les observations

Il est compréhensible que l’ARC ait décidé de vérifier la situation fiscale de Malamute, car la société a brusquement cessé d’effectuer les versements quinzomadaires à ses actionnaires. Ce qui l’est moins, c’est que l’ARC a choisi d’établir une cotisation à l’égard de Malamute, pénalités comprises, et de porter l’affaire devant les tribunaux en dépit des autres éléments de preuve documentaire et des explications de David et Danielle Lynch qui appuyaient la conclusion selon laquelle les versements de janvier et février 2018 avaient été effectués par erreur et du fait que la mention « salaire » sur les chèques n’est pas déterminante sur cette question. Comme l’a souligné le juge Cook, il n’y avait rien d’inhabituel ou d’inacceptable d’un point de vue fiscal à ce que le couple fasse, au cours de l’année, des retraits sous forme d’avances d’actionnaires dans le compte de Malamute, puis déterminent la répartition des dividendes et du salaire à la fin de l’année. En termes simples, bien que David et Danielle Lynch aient commis certaines erreurs dans la comptabilité de Malamute, ils ont agi comme des contribuables qui respectent la loi en gérant leurs affaires de la même manière que d’autres petites entreprises dirigées par leur propriétaire.

Cette affaire démontre malheureusement certaines pratiques problématiques de l’ARC :

  1. Sélectionner des faits qui appuient une position faible en matière de cotisation, tout en ignorant ceux qui soutiennent une position contraire plus forte.
  2. Considérer les notes dans les livres et registres d’un contribuable comme déterminantes, même si cela peut appuyer une position faible en matière de cotisation.
  3. Considérer les efforts que les contribuables déploient de bonne foi pour combler les écarts comme des « aveux » de manquement aux obligations fiscales.

Cette affaire rappelle aux propriétaires exploitants la nécessité de tenir une comptabilité rigoureuse et de porter particulièrement attention à l’inscription et à la description des paiements effectués aux propriétaires exploitants. Elle rappelle aussi l’importance de recourir à une aide professionnelle pour assurer la conformité fiscale.

[1] Malamute Contracting Inc. The King, 2025 TCC 47.
[2] Ibid, par. 2 et 3.
[3] Ibid, par. 4.
[4] Ibid, par. 11.
[5] Ibid, par. 5 et 6.
[6] Ibid, par. 17.
[7] Ibid, par. 15-17.
[8] Ibid, par. 7, 9 et 10.
[9] Ibid, par. 8.
[10] Ibid, par. 14.
[11] Ibid, par. 17 et 18.
[12] Ibid, par. 24.
[13] Ibid, par. 19.
[14] Ibid, par. 22.

Par Michael H. Lubetsky

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2025

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