Le Canada réforme ses régimes de sanctions, de conformité et de pénalités liés à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et cible davantage les actifs russes
Le Canada réforme ses régimes de sanctions, de conformité et de pénalités liés à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et cible davantage les actifs russes
L’Énoncé économique de l’automne de 2024 du gouvernement du Canada prévoit de nouvelles réformes substantielles des régimes canadiens de sanctions économiques et de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité (« LRPC »).
Les institutions financières canadiennes sont invitées à prendre connaissance du mécanisme d’utilisation des bénéfices exceptionnels anticipé
Le Canada prévoit d’étendre son régime de sanctions pour cibler davantage les actifs russes, afin de soutenir les efforts de guerre et la reconstruction de l’Ukraine. L’Énoncé économique de l’automne de 2024 annonce une version « canadienne » du mécanisme d’utilisation des bénéfices exceptionnels de l’Union européenne[1]. Cette nouvelle « redevance ciblée » redirigera les intérêts courus sur les actifs russes immobilisés détenus par les institutions financières canadiennes vers le soutien à l’Ukraine.
En février 2024, l’Union européenne a introduit un mécanisme d’utilisation des bénéfices exceptionnels pour soutenir l’Ukraine qui réaffecte les bénéfices dérivés des actifs russes immobilisés dépassant un million d’euros[2]. Le Conseil de l’Union européenne exige que les dépositaires centraux de titres (« DCT ») qui détiennent plus d’un million d’euros d’avoirs de la Banque centrale de Russie comptabilisent séparément les soldes de trésorerie exceptionnels et interdit aux DCT de céder les bénéfices nets qui en découlent[3]. Les DCT doivent verser les bénéfices nets de ces comptes à l’Union européenne chaque semestre afin qu’ils soient distribués à l’Ukraine[4]. Le premier paiement de 1,5 milliard d’euros a été transféré à l’Ukraine en juillet 2024[5].
Le mécanisme d’utilisation des bénéfices exceptionnels du Canada devrait s’aligner sur l’approche de l’Union européenne, qui redistribue les bénéfices générés par des biens immobilisés, mais non saisis ou confisqués. On ne sait pas encore comment ce mécanisme fonctionnera, notamment en ce qui concerne les types d’actifs et de bénéfices qui seront pris en compte et les processus de transfert des institutions financières fédérales au gouvernement. Il pourrait toutefois englober les titres détenus par les institutions financières fédérales canadiennes, mais aucun détail supplémentaire n’est encore disponible.
Le régime canadien de confiscation des actifs est conçu pour cibler les actifs sanctionnés en vue de leur redistribution. Il permet au gouvernement canadien de saisir des biens qui appartiennent à une personne sanctionnée ou qui sont détenus ou contrôlés par une telle personne (voir notre bulletin précédent). L’avion cargo Antonov-124 appartenant à Volga-Dnepr, qui est retenu à l’aéroport Pearson de Toronto depuis février 2022, a notamment été saisi dans le cadre de ce régime[6]. Après la saisie, le gouvernement peut engager une poursuite judiciaire conduisant à la confiscation du bien (après avoir examiné les intérêts potentiels de tiers non sanctionnés dans le bien).
Élargissement du régime canadien de LRPC : fournisseurs de services aux entreprises et pénalités plus sévères
L’Énoncé économique de l’automne de 2024 annonce également de nouveaux changements au régime canadien de LRPC. Ces changements étendent les obligations des entités déclarantes et introduisent des pénalités plus sévères en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (« LRPCFAT »)[7]. Ils s’ajoutent aux consultations actuelles concernant les améliorations proposées au régime canadien de LRPC (voir notre bulletin précédent – en anglais).
(a) Nouvelles entités déclarantes : les fournisseurs de services aux entreprises
Le Canada inclura les « fournisseurs de services aux entreprises » (des entreprises qui participent à la création, à l’administration et à la gestion de sociétés) parmi les entités déclarantes en vertu de la LRPCFAT[8]. Selon le Groupe d’action financière, ces fournisseurs présentent un risque de recyclage des produits de la criminalité[9]. L’Énoncé économique de l’automne de 2024 ne contient pas d’autres détails sur la mesure dans laquelle ces fournisseurs seront couverts par la LRPCFAT.
(b) Inscription obligatoire au CANAFE pour toutes les entités déclarantes
Toutes les entités déclarantes qui ne sont pas déjà inscrites devront s’inscrire auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE »). Ce changement vise à renforcer le respect du régime de LRPC et à améliorer les capacités d’enquête et d’échange d’informations du CANAFE.
(c) Augmentation des pénalités
Le Canada prévoit d’alourdir considérablement les pénalités en cas de violation des exigences de LRPC. L’Énoncé économique de l’automne de 2024 présente les changements notables suivants :
- Augmentation des pénalités administratives pécuniaires (PAP) : Augmentation des PAP maximales à 40 fois leur montant actuel.
- Fixer des limites aux pénalités : Les limites des pénalités pouvant être imposées dans un même procès-verbal de non-conformité seront fixées au plus élevé des montants suivants :
- la somme de 4 millions de dollars pour une personne et de 20 millions de dollars pour une entité;
- un taux de 3 % des revenus bruts annuels à l’échelle mondiale.
- Refus ou révocation de l’inscription: La possibilité de refuser ou de révoquer l’inscription d’une entreprise de services monétaires dont la PAP est en souffrance.
- Augmentation des pénalités pour les infractions criminelles: Les pénalités maximales pour les infractions criminelles seront multipliées par dix par rapport au montant actuel et les peines d’emprisonnement seront plus longues.
- Ententes de conformité : Les entités déclarantes devront conclure une entente de conformité avec CANAFE à la suite de l’imposition d’une PAP.
- Ordonnances publiques de conformité : La direction de CANAFE devra émettre une ordonnance de conformité publique si l’entente de conformité n’est pas respectée, avec des PAP supplémentaires correspondantes[10].
Ces changements reflètent l’engagement du Canada à renforcer son régime de LRPC et de lutte contre le financement des activités terroristes, et visent à promouvoir le respect des règles et à faciliter l’application de la législation pour empêcher l’utilisation du système financier à des fins illicites.
Désignations récentes de sanctions à l’encontre de la Chine, de la Russie et du Venezuela
Les entreprises et les professionnels de la conformité doivent rester vigilants : l’Énoncé économique de l’automne de 2024, ainsi que les nouvelles désignations de sanctions du Canada à l’égard d’autres personnes en vertu des règlements sur les sanctions à l’encontre de la Russie, de la Chine et du Venezuela, montrent que les sanctions économiques et la conformité en matière de LRPC restent un domaine dynamique.
- Russie: Le 10 décembre 2024, neuf personnes ont été désignées en vertu du Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie[11].
- Chine : Le 2 décembre 2024, huit personnes ont été désignées en vertu du Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la République populaire de Chine[12].
- Venezuela: Le 17 décembre 2024, cinq personnes ont été désignées en vertu du Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant le Venezuela[13].
McMillan fait régulièrement le point sur les sanctions (voir notre bulletin sur les lignes directrices d’Affaires mondiales Canada portant sur l’application des sanctions économiques prévues dans la Loi sur les mesures économiques spéciales et notre bulletin sur les récents changements apportés par le Canada à l’application des sanctions) et continuera à publier des informations à mesure que de nouveaux développements se produiront.
McMillan est disponible pour aider les entreprises à se préparer pour les changements anticipés mentionnés dans l’Énoncé économique de l’automne de 2024.
[1] Ministère des Finances du Canada, Énoncé économique de l’automne de 2024, 205.
[2] Conseil européen, « Avoirs russes immobilisés : le Conseil décide de mettre en réserve les recettes exceptionnelles» (12 février 2024).
[3] Idem.
[4] Conseil européen, « Recettes exceptionnelles générées par les avoirs russes immobilisés: le Conseil donne son feu vert à l’utilisation des bénéfices exceptionnels nets afin de soutenir les capacités d’autodéfense de l’Ukraine et sa reconstruction» (21 mai 2024).
[5] Commission européenne, « First transfer of €1.5 billion of proceeds from immobilised Russian assets made available in support of Ukraine today» (en anglais) (26 juillet 2024).
[6] Gouvernement du Canada, « Décret concernant la saisie de biens situés au Canada (Volga-Dnepr Airlines ou Volga-Dnepr Group) : DORS/2023-120 » Gazette du Canada, Partie II, volume 157, numéro 13.
[7] Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17, dans sa version modifiée.
[8] Ministère des Finances du Canada, Énoncé économique de l’automne de 2024, 206.
[9] Groupe d’action financière, FATF Report: Money Laundering Using Trust and Company Service Providers, (en anglais) (octobre 2010).
[10] Ministère des Finances du Canada, Énoncé économique de l’automne de 2024, 208.
[11] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, DORS/2014-58.
[12] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la République populaire de Chine, DORS/2021-49.
[13] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant le Venezuela, DORS/2017-204.
par Neil Campbell, William Pellerin, Tayler Farrell, Nicole Davidson (stagiaire en droit)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024
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