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Le projet de loi C-59 étend la portée du terme « pratiques commerciales trompeuses » de la loi sur la concurrence : l’écoblanchiment et comment rester à l’écart des fausses représentations en matière d’environnement

8 juillet 2024 Bulletin Concurrence, anti-trusts et investissements étrangers Lecture de 8 min

Le projet de loi C-59 a reçu la sanction royale le 20 juin 2024. Le projet de loi C-59 a présenté une troisième série de modifications à la Loi sur la concurrence qui, dans leur ensemble et en deux ans, ont significativement transformé l’approche du droit de la concurrence au Canada. McMillan a résumé ces modifications dans une série de bulletins, y compris un bulletin qui résume le projet de loi C-59[1].

Le présent bulletin résume les modifications apportées par le projet de loi C-59 aux dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrence en ce qui concerne les déclarations d’avantages pour l’environnement, y compris en ce qui a trait à leurs répercussions potentielles sur les entreprises et les déclarations faites au public. Lesdites modifications, qui découlent de la récente déclaration d’intention du commissaire de la concurrence (commissaire) dans le Plan annuel 2024-2025 du Bureau de la concurrence  qu’il « [continuera] à lutter contre les pratiques commerciales trompeuses en matière de déclarations environnementales (« écoblanchiment »)[2],ont été critiquées par les entreprises et les associations sectorielles.

Pratiques commerciales trompeuses

Généralités

Les dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrence prévoient que le comportement d’une entreprise est susceptible d’examen si, entre autres, elle donne au public, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit (ce qui comprend un service), soit des intérêts commerciaux quelconques :

  1. ou bien des indications fausses ou trompeuses sur un point important (art. 74.01(1)(a));
  2. ou bien, sous la forme d’une déclaration ou d’une garantie visant le rendement, l’efficacité ou la durée utile d’un produit, des indications qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée, dont la preuve incombe à l’entreprise qui donne les indications (art. 74.01(1)(b))[3].

S’il conclut qu’une entreprise s’est livrée à des pratiques commerciales trompeuses, le tribunal peut notamment lui ordonner de payer une sanction administrative pécuniaire d’un montant égal au plus élevé des montants suivants : trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, trois pour cent des recettes globales brutes annuelles de l’entreprise.

Modifications aux dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses – Déclarations en matière d’environnement

Le projet de loi C-59 élargit la portée des dispositions civiles sur les pratiques commerciales trompeuses en ajoutant deux nouvelles dispositions concernant les déclarations faites en matière d’environnement.

1.  Rendement, efficacité ou durée utile d’un produit/service –Déclarations en matière d’environnement (article 74.01(1)(b.1))

La première des nouvelles dispositions reprend simplement le libellé de l’alinéa 74.01(1)(b) actuel, qui exige qu’une entreprise soit en mesure de démontrer qu’une déclaration concernant le rendement, l’efficacité ou la durée utile d’un produit est fondée sur une « épreuve suffisante et appropriée ». Cette modification vise tout particulièrement les déclarations faites au sujet des « avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques ». On peut soutenir que cette modification ne modifie pas de façon importante l’étendue de la responsabilité des entreprises, mais qu’elle précise plutôt que les entreprises doivent étayer leurs déclarations concernant les avantages environnementaux des produits en se fondant sur une épreuve suffisante et appropriée, tout comme elles doivent le faire pour les déclarations concernant le rendement des produits. Toutefois, de nombreuses déclarations en matière d’environnement ne portent pas sur le rendement ou l’efficacité, et ne sont donc pas assujetties aux exigences préexistantes de l’alinéa 74.01(1)(b).

2.   Entreprise ou activité d’une entreprise – Déclarations en matière d’environnement (article 74.01(1)(b.2))

La deuxième des nouvelles dispositions élargit toutefois considérablement les dispositions actuelles sur les pratiques commerciales trompeuses. En effet, elle exige qu’une entreprise qui fait une déclaration « sur les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques » soit en mesure d’établir que ladite déclaration est fondée sur « des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale ».

Cette nouvelle disposition étend l’application des dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses au-delà des déclarations liées à un « produit » (par exemple, les avantages en matière d’environnement d’un produit offert aux consommateurs), aux déclarations liées à une « entreprise ou l’activité d’une entreprise ».

Le fait que la déclaration en matière d’environnement soit véridique, et ne soit ni fausse ni trompeuse, n’est pas une défense. En effet, en vertu de cette nouvelle disposition, une entreprise qui déclare que son produit offre des avantages en matière d’environnement sera considérée comme s’étant engagée dans des pratiques commerciales trompeuses si elle ne peut établir que sa déclaration est fondée sur « des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale ».

Il convient de rappeler que cette nouvelle disposition n’a été incluse dans le projet de loi C-59 que récemment, le 2 mai 2024. Elle semble se fonder sur une lettre du commissaire au comité permanent de la Chambre des communes datée du 1ᵉʳ mars 2024[4],[5].Comme l’a souligné le commissaire dans sa lettre, bien que certaines déclarations en matière d’environnement soient déjà visées par l’examen en vertu des dispositions fondamentales sur les déclarations trompeuses énoncées à l’alinéa 74.01(a), « il peut être difficile pour le Bureau de prouver qu’elles [les déclarations en matière d’environnement] sont fausses ou trompeuses sur un point important » [6].Conséquemment, écrivait le commissaire, « nous recommandons d’étudier la possibilité d’élargir l’application du renversement du fardeau de la preuve aux déclarations d’écoblanchiment afin d’exiger que toutes les déclarations environnementales visant à promouvoir un produit ou un intérêt commercial reposent sur une épreuve suffisante et appropriée ».

La lettre présentée par le commissaire montre clairement l’ampleur possible de sa demande. Il y est indiqué qu’une partie importante des plaintes relatives à l’écoblanchiment que reçoit le Bureau « portent plutôt sur des déclarations environnementales plus générales ou prospectives concernant une entreprise ou une marque dans son ensemble (p. ex. des indications concernant le fait d’être « net zéro » ou la « carboneutralité d’ici 2030 »)) [7].

En outre, les expressions « épreuve suffisante et appropriée » et « méthode reconnue à l’échelle internationale » constituent de nouveaux termes qui ne sont pas définis dans la Loi sur la concurrence et sur lesquels les tribunaux ne se sont pas encore attardés. À cause de cela, leur signification est incertaine à l’heure actuelle. Cette incertitude complique les choses, puisque le cadre juridique et les pratiques exemplaires du secteur en matière de pratiques environnementales continuent à se développer (par exemple, le critère permettant d’évaluer si des éléments corroboratifs constituent une « méthode reconnue à l’échelle internationale » n’est pas clair). En outre, les déclarations ne sont pas limitées à celles contenues dans les campagnes de marketing, et peuvent s’appliquer aux déclarations faites au public par une entreprise conformément à d’autres régimes réglementaires (comme les lois sur les valeurs mobilières, les réglementations spécifiques au secteur, etc.)

Droit privé d’action – Marketing trompeur – Déclarations environnementales

Dans le passé, le commissaire était la seule partie qui pouvait déposer une demande d’ordonnance contre une entreprise prétendument engagée dans des pratiques commerciales trompeuses en vertu de la Loi sur la concurrence[8].Toutefois, le projet de loi C-59 a modifié la Loi sur la concurrence afin de prévoir que des parties privées puissent, à compter du 20 juin 2025, déposer directement des demandes auprès du Tribunal de la concurrence (avec l’autorisation du Tribunal, en fonction d’un critère d’intérêt public) afin d’obtenir une ordonnance en vertu des dispositions civiles sur les pratiques commerciales trompeuses.

Les groupes non gouvernementaux et sans but lucratif ayant des mandats environnementaux, entre autres, utiliseront fort probablement ce nouveau droit privé pour faire appliquer la loi. Il ne leur sera pas possible d’entamer de telles procédures avant juin 2025. Un délai de prescription d’un an s’y applique. Donc, toutes les « déclarations au public » publiées à compter du 20 juin 2024 pourraient potentiellement être ciblées par de telles procédures privées.

Orientations du Bureau de la concurrence

Le 4 juillet 2024, le Bureau de la concurrence a annoncé qu’il lancerait une consultation publique, sur une base accélérée, afin d’élaborer des orientations pour aider les entreprises à se conformer aux modifications sur l’écoblanchiment. Le Bureau a déjà affiché un formulaire de rétroaction sur les orientations qui permet aux parties de lui transmettre directement leurs commentaires[9].

Compte tenu de l’incertitude liée à l’application et aux éléments normatifs des nouvelles dispositions sur les déclarations en matière d’environnement, et de l’inexistence d’une période de transition après la date de la sanction royale (qui aurait permis aux entreprises d’envisager comment s’adapter à la nouvelle loi), lesdites orientations sont d’importance cruciale. Toute orientation aidera vraisemblablement à apporter aux modifications la clarté souhaitée. Malgré cela, les orientations se limiteront à indiquer l’approche que le Bureau prévoit utiliser pour évaluer les déclarations en matière d’environnement. Ni le Bureau, ni les tribunaux (y compris le Tribunal de la concurrence), ni les parties privées cherchant à agir contre les entreprises aux termes des nouvelles dispositions ne seront liés par les orientations. En conséquence, l’incertitude se poursuivra jusqu’à ce que la jurisprudence soit établie.

Prochaines étapes

Nous fournirons d’autres mises à jour au fur et à mesure de l’évolution de la situation, y compris lorsque le Bureau publiera les orientations proposées en matière de conformité.

Les nouvelles dispositions sont complexes et suscitent de l’incertitude. Le défaut de les respecter pourrait avoir des répercussions importantes sur les entreprises. Les entreprises devraient, conséquemment, évaluer et peut-être même modifier leurs déclarations existantes en matière d’environnement et mettre en place des processus à suivre lorsqu’elles en font de nouvelles, de manière à cerner les préoccupations potentielles et à atténuer leur responsabilité.

Si vous souhaitez bien comprendre les répercussions, sur votre entreprise, des dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses, notamment les nouvelles dispositions relatives à l’écoblanchiment, ou si vous avez des questions sur l’évolution du droit de la concurrence au Canada, veuillez communiquer avec le groupe Droit de la concurrence et de l’antitrust de McMillan.

[1] Veuillez consulter nos bulletins résumant les modifications apportées au droit de la concurrence par le projet de loi C-59 : McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.,

[2] Voir le plan du commissaire : Plan annuel 2024-2025 – Vers l’avant et vers le haut : Renforcer la concurrence pour les Canadiens et Canadiennes.

[3] Le commissaire a le droit de contester les déclarations trompeuses alléguées devant les instances civiles (paragraphe 74.01(1)) ou criminelles (paragraphe 52(1)), la principale différence entre lesdites instances étant l’exigence, en matière criminelle, que l’entreprise ait fait une déclaration fausse ou trompeuse « sciemment ou sans se soucier des conséquences ». Le commissaire a indiqué qu’il déposerait des accusations criminelles dans les cas où il existe « des preuves claires et convaincantes que l’accusé ait donné au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses ».

Remarque importante : le commissaire a recommandé les modifications énoncées au nouvel alinéa 74.01(1)(b.2) (en ligne ici). Il a même cité un mémoire présenté par Ecojustice et Association canadienne des médecins pour l’environnement : [TRADUCTION] « La disposition [sur les déclarations publicitaires trompeuses] devrait […] être élargie aux déclarations non liées aux produits, comme les engagements et les plans carboneutres d’une société. Ces types d’engagements et de plans devraient être appuyés par une modélisation […] » (en ligne ici).

[4] Dans son mémoire initial intitulé « L’avenir de la politique de la concurrence au Canada », le commissaire n’avait pas recommandé d’étendre les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses pour inclure spécifiquement les déclarations en matière d’environnement. Ledit mémoire constituait une réponse à la consultation et au document de travail du gouvernement du Canada sur l’avenir de la politique de la concurrence au Canada (en ligne ici).

[5] Voir la lettre de présentation du commissaire daté du 1ᵉʳ mars 2024.

[6] Comme l’a souligné le commissaire dans sa lettre datée du 1ᵉʳ mars 2024, les déclarations sujettes à examen en vertu de la disposition sur les déclarations fausses et trompeuses alors en vigueur ne sont pas assujetties à un renversement du fardeau de la preuve, et « il peut être difficile pour le Bureau de prouver qu’elles sont fausses ou trompeuses sur un point important ».

[7] Le commissaire, lors de son plaidoyer en faveur de l’élargissement des dispositions de manière à y inclure cette nouvelle modification dans sa lettre de présentation du 1ᵉʳ mars 2024, a fait référence aux commentaires publics reçus d’Ecojustice et Association canadienne des médecins pour l’environnement : [TRADUCTION] « La disposition [sur les déclarations publicitaires trompeuses] devrait […] être élargie aux déclarations non liées aux produits, comme les engagements et les plans carboneutres d’une société. Ces types d’engagements et de plans devraient être appuyés par une modélisation […] » (Ecojustice et Association canadienne des médecins pour l’environnement, 1ᵉʳ déc. 2023). Voir aussi les commentaires soumis par Ecojustice et Association canadienne des médecins pour l’environnement en mars 2023 (en anglais seulement) : (en ligne ici).

[8] Depuis plusieurs années, les parties privées peuvent poursuivre les annonceurs pour publicité trompeuse. Toutefois, la preuve d’un lien de causalité et d’un préjudice ou d’une perte pour le plaignant devait appuyer de telles réclamations. En général, une telle preuve est difficile à faire dans des cas de publicité.

[9] Voir «Déclaration du Bureau de la concurrence concernant les orientations sur les nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence relatives à l’écoblanchiment ».

par Beth Riley, Dan Edmondstone, James Musgrove et Conner Wylie.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis. Il est préférable d’obtenir un avis juridique spécifique.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024

 

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