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Les entreprises canadiennes doivent se préparer à une nouvelle obligation de faire rapport sur les chaînes d’approvisionnement et le travail forcé

13 mars 2023 Bulletin sur le commerce international et droit des affaires Lecture de 5 min

Le Parlement met la touche finale à une nouvelle loi qui obligera les entreprises à produire un rapport annuel sur leurs chaînes d’approvisionnement et sur le travail forcé.

Les entités du secteur privé et les organismes gouvernementaux devront ainsi déposer et mettre à la disposition du public des rapports sur les mesures qu’ils ont prises pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Le projet de loi S-211, Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (le « projet de loi ») en est à la dernière étape à la Chambre des communes[1] et devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Le premier rapport devra être déposé en mai 2024.

Dans le présent article, nous examinons d’abord à qui s’applique l’obligation de faire rapport. Nous discutons ensuite du contenu des rapports, des personnes chargées de les approuver et des pénalités applicables au défaut de produire un rapport. Enfin, nous abordons les autres obligations et interdictions prévues dans le projet de loi, y compris l’élargissement de l’interdiction d’importer des marchandises produites par recours au travail des enfants.

L’obligation de faire rapport s’applique à un vaste éventail d’entreprises canadiennes

Le projet de loi ne limite pas l’obligation de faire rapport à certains secteurs particuliers, mais l’impose plutôt à toute entité qui :

  1. produit, vend ou distribue des marchandises, au Canada ou ailleurs;
  2. importe au Canada des marchandises produites à l’extérieur du Canada;
  3. contrôle l’entité qui se livre à une activité décrite ci-dessus.

Le terme « entité » s’entend d’une personne morale ou d’une fiducie, société de personnes ou autre organisation non constituée en personne morale qui répond à l’un des critères suivants :

1. Ses actions ou titres de participation sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne;

2. Elle a un établissement au Canada, y exerce des activités ou y possède des actifs et, selon ses états financiers consolidés, remplit au moins deux des conditions ci-après:

  1. elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $,
  2. elle a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $,
  3. elle emploie en moyenne au moins 250 employés.

3. Elle répond à d’autres critères prescrits par les éventuels règlements d’application.

Par conséquent, même des entreprises non résidentes pourraient être tenues de produire un rapport annuel et de le mettre à la disposition du public. Par exemple, une société fermée étrangère qui exerce des activités au Canada et répond au critère de taille doit produire un rapport annuel et le mettre à la disposition du public si elle produit, vend ou distribue des marchandises où que ce soit ou si elle importe des marchandises au Canada. Un non-résident qui contrôle une entité canadienne répondant aux critères pourrait être tenu séparément à l’obligation de faire rapport.

Soulignons en outre la mention des états financiers consolidés, qui augmente substantiellement le nombre d’entités tenues de produire un rapport.

Contenu du rapport

Fait important, le projet de loi ne tient pas les entreprises à une norme de diligence et ne leur impose pas de mesures précises pour éviter le travail forcé et le travail des enfants ou y remédier. Les entreprises doivent plutôt faire rapport sur leurs processus et les mesures qu’elles ont prises. Comme les rapports doivent être déposés auprès du gouvernement et publiés bien en vue sur le site Web de l’entreprise, le projet de loi vise ultimement à favoriser la transparence en créant un régime de « mise au pilori ».

Le rapport annuel doit porter sur ce qui suit, dans chaque cas s’il y a lieu :

  • les mesures prises par l’entité au cours du dernier exercice pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants i) dans la production de marchandises au Canada ou ailleurs; ii) dans l’importation de marchandises au Canada;
  • la structure, les activités commerciales et les chaînes d’approvisionnement de l’entité;
  • ses politiques et ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants
  • les parties de ses chaînes commerciales et de ses chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour évaluer ce risque et le gérer;
  • l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants;
  • la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants;
  • la manière dont elle évalue l’efficacité de ses efforts pour éviter le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans ses chaînes commerciales et ses chaînes d’approvisionnement.

Le projet de loi ne prescrit pas de modalités ou de modèle précis pour le rapport, mais indique que le ministre pourra préciser ces modalités après l’adoption du projet de loi.

Approbation par le conseil d’administration et infractions 

Les rapports doivent être approuvés par le corps dirigeant de l’entreprise (habituellement son conseil d’administration)[2]. Un rapport conjoint déposé pour un groupe d’entités doit être approuvé par le corps dirigeant de chaque entité ou par un corps dirigeant qui contrôle chaque entité visée par le rapport.

Quiconque omet de produire un rapport ou fait une déclaration fausse ou trompeuse est passible d’une amende maximale de 250 000 $.

À noter qu’aux termes du projet de loi, les administrateurs et les dirigeants peuvent être tenus personnellement responsables d’une infraction qu’ils ont ordonnée ou autorisée ou à laquelle ils ont consenti ou participé.

Les entités peuvent considérer que cette nouvelle obligation de faire rapport s’ajoute à leurs obligations éthiques et ESG. Elles auraient aussi intérêt à améliorer leurs processus de diligence raisonnable et leurs procédures de surveillance applicables aux chaînes d’approvisionnement en prévision du premier rapport dû en mai 2024.

Les entreprises canadiennes doivent avoir connaissance de nouvelles mesures appliquées par le gouvernement du Canada dans sa lutte contre le travail forcé. Par exemple, les entreprises qui fournissent des marchandises au gouvernement fédéral doivent savoir que le gouvernement a instauré de nouvelles clauses l’autorisant à résilier un marché public si une marchandise est issue, en tout ou en partie, du travail forcé (voir notre bulletin précédent ici).

Le projet de loi crée une nouvelle interdiction d’importer des marchandises fabriquées par recours au travail des enfants 

En parallèle à la nouvelle obligation, le projet de loi élargit l’interdiction existante d’importer au Canada des marchandises fabriquées par recours au travail forcé. Il y ajoute les marchandises fabriquées par recours au travail des enfants. Le projet de loi contient également une définition du travail des enfants.

L’interdiction d’importer des marchandises fabriquées par recours au travail forcé est entrée en vigueur le 1er juillet 2020, après la ratification de la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique[3].

Le projet de loi pourrait avoir l’effet non intentionnel de compliquer l’application de l’interdiction d’importation, car il ne définit pas les formes de travail des enfants exactement comme le fait l’Organisation internationale du travail (« OIT »). En effet, la définition du « travail des enfants » dans le projet de loi va plus loin que celle de la Convention sur l’âge minimum de l’OIT, 1973 (No 138). En outre, le projet de loi pourrait toucher les entreprises qui, par l’entremise de leurs chaînes d’approvisionnement, emploient des enfants âgés de 15, 16 et 17 ans, sans pour autant contrevenir aux conventions de l’OIT. Les importateurs canadiens doivent prendre la pleine mesure des nouvelles obligations imposées par le projet de loi et faire attention à un éventuel manque d’uniformité entre la définition du travail des enfants dans le projet de loi et celles des conventions internationales.

Le groupe du commerce international de McMillan continue de suivre l’évolution du projet de loi et des mesures prises par le Canada pour lutter contre le travail forcé, et demeure à la disposition des entreprises pour les aider à comprendre les risques et les obligations.

[1] Parlement du Canada, Débats (Hansard), 44elégislature, 1re session, no 164 (lundi 6 mars 2023), en ligne.
[2] Le projet de loi en donne la définition suivante : « Corps ou groupe de membres de l’entité de qui relève au premier chef la gouvernance de l’entité ».
[3] Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, LC 2020, c. 1

par William Pellerin, Hannibal El-Mohtar et Tayler Farrell

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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