Les structures à deux catégories d’actions pourraient-elles être appelées à disparaître?
Les structures à deux catégories d’actions pourraient-elles être appelées à disparaître?
La modification annoncée par Teck
Ressources Teck Limitée (« Teck ») a annoncé récemment qu’elle abandonnera sa structure à deux catégories d’actions (la « SDCA ») en procédant à l’extinction, dans six ans, des droits de vote multiples rattachés à ses actions ordinaires de catégorie A (la « modification »). Une écrasante majorité des actionnaires de la société ont voté en faveur de la modification lors de l’assemblée annuelle et extraordinaire des actionnaires du 26 avril 2023.
Avant la modification, les actions ordinaires de catégorie A de Teck comportaient chacune 100 voix par action, contre une voix par action pour les actions à droit de vote subalterne de catégorie B. Le vendredi 12 mai 2023, la date de prise d’effet, chaque action ordinaire de catégorie A en circulation a été échangée contre une nouvelle action ordinaire de catégorie A et 0,67 action à droit de vote subalterne de catégorie B. Les modalités des nouvelles actions ordinaires de catégorie A sont identiques à celles des anciennes, mais elles prévoient que, six ans après la date de prise d’effet, toutes les nouvelles actions ordinaires de catégorie A seront automatiquement échangées contre des actions à droit de vote subalterne de catégorie B, qui deviendront toutes des « actions ordinaires ». Concrètement, la modification éliminera la SDCA de Teck le 12 mai 2029.
Si la SDCA est assez peu répandue au Canada, son arrivée sur le marché canadien des valeurs mobilières ne date pas d’hier, et bien des sociétés l’emploient encore aujourd’hui[1]. Dans le présent bulletin, il sera question des caractéristiques fondamentales de cette structure, de ses avantages et inconvénients et des mesures de protection des actionnaires qui l’accompagnent souvent.
Qu’est-ce qu’une structure à deux catégories d’actions?
Une société ouverte a une structure à deux ou plusieurs catégories d’actions lorsque son capital-actions se compose d’au moins deux catégories d’actions ordinaires, auxquelles sont rattachés des droits de vote (le nombre de voix par action) différents. Les porteurs des actions conférant un nombre accru de voix par action sont en mesure d’exercer un contrôle disproportionné sur la société. Les actions de cette catégorie sont généralement détenues par les fondateurs et les membres de la haute direction, qui, ainsi, conservent leur pouvoir décisionnel et ont les coudées franches pour poursuivre des objectifs à long terme sans craindre les contestations d’actionnaires davantage intéressés par les tactiques et les gains à court terme.
La SDCA confère aussi une protection contre les courses aux procurations et les offres publiques d’achat hostiles, en faisant en sorte qu’il soit plus difficile d’obtenir l’appui d’une majorité des actionnaires et de remplacer les dirigeants en place.
Sources de préoccupations
La SDCA peut également soulever des préoccupations en matière de gouvernance d’entreprise. De par sa nature, elle crée un décalage entre les droits de vote et la participation dans la société. Dans le cas de Teck, par exemple, les porteurs d’environ 1,5 % des actions en circulation ont le droit d’exercer environ 60,5 % des droits de vote rattachés à l’ensemble des actions de la société. Les détracteurs de la SDCA font valoir qu’elle permet aux dirigeants d’une société « d’avoir le beurre et l’argent du beurre » parce qu’ils peuvent mobiliser des capitaux sans renoncer au contrôle[2]. De plus, comme cette structure autorise les dirigeants à détenir une participation relativement petite, elle peut les mettre à l’abri des répercussions financières de mauvaises décisions et des baisses de valeur du titre qui s’ensuivent.
Parallèlement, la SDCA expose les actionnaires minoritaires à des risques importants et à des résultats non souhaitables. En plus de restreindre le contrôle que peuvent exercer les porteurs d’actions à droit de vote subalterne sur la composition du conseil et la stratégie de la société, elle peut aussi faire en sorte que les porteurs d’actions de catégorie supérieure sont rémunérés comme des dirigeants, entraîner des problèmes lors de transitions à la direction et nécessiter le paiement de primes importantes si on veut supprimer la structure. En 2021, la bataille pour le contrôle de Rogers Communications a montré que la SDCA peut aussi permettre la détermination unilatérale de la composition du conseil d’administration, chose qui ne sert pas nécessairement au mieux les intérêts de tous les actionnaires[3].
Protection des actionnaires
Nonobstant les motifs de préoccupation, il existe des moyens de réduire les risques pour les porteurs d’actions à droit de vote subalterne, tout en permettant à tous les actionnaires de récolter les fruits de la SDCA. En adoptant certaines formes de protection pour les actionnaires, comme des clauses d’égalité de traitement et des clauses d’extinction, les sociétés peuvent créer une structure alignant mieux les intérêts de tous les porteurs d’actions ordinaires.
(1) Clause d’égalité de traitement
Les sociétés ouvertes canadiennes ayant une SDCA ont presque toutes adopté une clause d’égalité de traitement[4]. Cette clause permet aux porteurs d’actions à droit de vote subalterne de convertir leur participation en actions de catégorie supérieure en cas d’offre d’achat, afin que tous les porteurs participent à l’offre aux mêmes conditions. Obligatoire pour l’inscription à la Bourse de Toronto depuis 1987, cette clause a éliminé la majeure partie des « avantages privés du contrôle » que pouvait conférer la SDCA.
(2) Clause d’extinction
Une clause d’extinction détermine d’avance les conditions régissant la fin de la SDCA. Elle limite la liberté relative conférée aux porteurs d’actions assorties de droits de vote multiples. Il existe différents types de clauses d’extinction :
- clause d’extinction assortie d’une échéance : les droits de vote multiples s’éteignent après une période déterminée (comme dans le cas de Teck);
- clause d’extinction fondée sur le seuil de propriété : les actions à droits de vote multiples redeviennent des actions à droit de vote unique lorsque la participation au capital de l’actionnaire détenant le contrôle baisse sous un certain seuil;
- clause d’extinction à événement déclencheur : la SDCA prend fin si un événement donné survient, habituellement le décès ou l’invalidité du fondateur ou de l’actionnaire détenant le contrôle.
Certaines agences de conseil en vote commencent à recommander de ne pas voter en faveur des structures à plusieurs catégories d’actions et des droits de vote inégaux, sauf si la société prévoit l’extinction de la structure dans un délai raisonnable. Dans leurs lignes directrices respectives sur le vote par procuration pour 2023, Glass Lewis et Institutional Shareholder Services considèrent comme raisonnable une extinction dans un délai de sept ans ou moins[5].
Conclusion
Si la modification annoncée par Teck s’inscrit dans une tendance croissante vers la disparition des SDCA au Canada, il pourrait être prématuré de prédire leur disparition complète. Quand des mesures adéquates sont prises pour pallier les préoccupations qu’elles soulèvent, ces structures offrent aux fondateurs un excellent cadre pour mobiliser des capitaux et poursuivre leurs objectifs d’affaires avec assurance. Cela dit, les droits des actionnaires et leur protection dans le cadre des SDCA semblent susciter une mobilisation croissante. McMillan vous tiendra au courant de l’évolution de ce dossier.
[1] The David and Sharon Johnston Centre for Corporate Governance Innovation, How are publicly-traded corporations controlled?, 2021.
[2] FINRA, Supervoters and Stocks: What Investors Should Know About Dual-Class Voting Structures, 6 juin 2022.
[3] Rogers v. Rogers Communications Inc., 2021 BCSC 2184.
[4] Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, Prise de position en faveur des actions multivotantes – 11e prise de position, 2019, page 8.
[5] Glass Lewis, 2023 Policy Guidelines – Canada, novembre 2022, page 55; Institutional Shareholder Services, Proxy Voting Guidelines – Benchmark Policy Changes for 2023: U.S., Canada, Brazil, and Americas Regional, 30 novembre 2022, page 7.
par Cynthia Sargeant et Kiira Käärid (stagiaire en droit)
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