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Les télécoms russes, nouvelle cible des sanctions canadiennes, et la (non-)approche du Canada en matière de permis généraux

16 août 2023 Bulletin sur le commerce international Lecture de 6 min

Le 19 juillet 2023, le Canada a annoncé une série de sanctions contre la Russie, avec l’ajout de 39 personnes et de 25 entités à la liste des personnes désignées avec lesquelles les Canadiens ne peuvent pas faire affaire[1].

Ce qui distingue cette série de sanctions, c’est qu’elle vise des services de base aux consommateurs en s’attaquant à de grandes sociétés de télécommunications russes, telles que MTS et MegaFon. Les sanctions visent également des sociétés de paiement s’adressant aux consommateurs, telles que Yandax Pay et MIR-Card. Ces restrictions devraient toucher les Canadiens qui se rendent en Russie, ainsi que les entreprises canadiennes qui ont des échanges commerciaux avec ces fournisseurs de services de télécommunications et de services financiers. En outre, les nouvelles sanctions ciblent le complexe militaro-industriel et le secteur nucléaire de la Russie, ainsi que les entités et les personnes impliquées dans les démarches visant à « russifier » la culture de l’Ukraine. Jusqu’à présent, le Canada a sanctionné 430 entités russes et plus de 1 300 particuliers.

Depuis mai 2023, le Canada a également sanctionné 6 autres particuliers haïtiens[2], 14 particuliers iraniens[3], et 24 particuliers et 17 entités ukrainiens[4]. Le Canada a également imposé ses premières sanctions contre des parties moldaves, en inscrivant 7 particuliers et 1 entité sur la liste[5].

Conséquence des sanctions contre les sociétés de télécommunications russes

Les sociétés MTS et MegaFon, qui figurent parmi les plus grands noms du secteur des télécommunications en Russie, fournissent des services de communication à des millions de consommateurs et d’entreprises en Russie et dans les pays voisins. Leur désignation comme entités sanctionnées signifie qu’il est désormais interdit aux Canadiens au pays et à l’étranger d’effectuer des opérations sur les actifs (y compris l’argent, les actifs numériques et les biens incorporels) de MegaFon et de MTS, ou de conclure des transactions avec ces entités. Les Canadiens ayant conclu des contrats (y compris des forfaits de téléphonie mobile) avec l’une ou l’autre de ces entités peuvent désormais être considérés comme traitant avec une entité sanctionnée, ce qui est contraire à la législation canadienne. C’est le cas même si la personne ou l’entité canadienne n’est pas établie en Russie. De même, les nouvelles sanctions du Canada peuvent avoir des conséquences sur les accords d’itinérance, d’interconnexion ou autres, et les entreprises canadiennes doivent revoir les accords existants pour rester en conformité avec le droit canadien.

Comme nous le verrons plus loin, le Canada n’a pas délivré de permis généraux ni de dérogations qui permettraient aux Canadiens vivant à l’étranger de continuer à faire affaire avec ces entreprises.

Permis généraux : l’approche américaine et l’approche canadienne

Les régimes de sanctions permettent habituellement aux autorités de délivrer des permis généraux ou des licences générales, autorisant certaines transactions, activités ou opérations qui seraient autrement interdites. Parmi ces transactions figure la participation à l’aide humanitaire, aux activités diplomatiques et à certaines transactions personnelles ou commerciales jugées essentielles ou conformes à l’intérêt national.

L’Office of Foreign Assets Control des États-Unis a délivré au moins 34 licences générales en rapport avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis février 2022[6]. De même, l’Office of Financial Sanctions Implementation du Royaume-Uni a délivré au moins 29 licences générales en rapport avec la Russie et la Biélorussie depuis février 2022[7].

Fait notable, le Canada n’a jamais délivré de permis général aux termes de ses lois sur les sanctions. Les particuliers et les entités visés par les sanctions canadiennes sont tenus de demander au ministre des Affaires étrangères un permis individuel autorisant des transactions spécifiques[8].

Les dernières sanctions prises par le Canada à l’encontre des entreprises de télécommunications russes constituent un exemple éloquent de sa politique de délivrance des permis d’application générale, différente de celle des États-Unis. En avril 2023, les États-Unis ont ajouté la société MegaFon à leur liste de Specially Designated Nationals (« SDN ») [ressortissants spécialement désignés]. Il est ainsi interdit aux ressortissants américains d’entretenir des relations commerciales avec ces entités. En revanche, les États-Unis ont également délivré la licence générale 25C, qui autorise [traduction] « toutes les transactions normalement accessoires et nécessaires à la réception ou à la transmission de télécommunications impliquant la Fédération de Russie » qui seraient autrement interdites (à quelques exceptions près)[9]. Les États-Unis ont également délivré la licence générale n° 65 [traduction] « Autorisant les transactions liées aux télécommunications et à certaines communications sur Internet auxquelles participe MegaFon PAO […] », qui tient compte du fait que MegaFon a une empreinte à l’extérieur de la Russie en autorisant des transactions auxquelles MegaFon participe au Tadjikistan et en Ouzbékistan[10].

Par exemple, grâce à la licence générale n° 65, un citoyen américain vivant en Ouzbékistan et titulaire d’un abonnement de téléphonie mobile auprès de MegaFon peut continuer à recevoir ses services de télécommunications et à payer sa facture de téléphone sans enfreindre les sanctions imposées par les États-Unis. Par contre, un ressortissant canadien placé dans la même situation se trouverait en infraction avec les lois canadiennes sur les sanctions.

Les enjeux politiques de cette situation sont considérables. En raison du nombre considérable de Canadiens susceptibles d’être concernés, il se pose de sérieuses questions sur la légitimité et le caractère exécutoire du régime de sanctions du Canada. Cette question pourrait être résolue au moyen d’un permis d’application générale qui exempterait certaines activités semblables à celles visées par les licences générales américaines 25C et 65C.

Restrictions élargies sur les armes et le matériel connexe

Les sanctions les plus récentes élargissent également les restrictions que le Canada a imposées sur les armes et le matériel connexe. Le Canada a déjà interdit en février 2023 l’importation, l’achat ou l’acquisition de tout type d’armes, de munitions, de véhicules ou de matériel militaires, et de pièces de rechange de l’une ou l’autre de ces marchandises de la Russie ou de toute personne en Russie[11]. Les modifications récentes étendent cette interdiction à l’importation et à l’exportation de ces biens vers la Russie[12]. Ces modifications interdisent également les services de fourniture, de transfert, de fabrication, d’entretien ou d’utilisation d’armes et de matériel connexe.

L’effet pratique de cette interdiction pourrait être minime puisque depuis janvier 2021, les exportations d’armes et de munitions vers la Russie sont tombées à zéro[13]. Dans la même veine, il n’y a eu depuis janvier 2023 aucune exportation de véhicules, d’aéronefs, de navires ou autre matériel de transport vers la Russie[14]. Or, il est nécessaire pour les fournisseurs de services, notamment d’assistance technique ou de réparation, et surtout ceux qui emploient des Canadiens, quel que soit leur point d’attache, de prendre connaissance de cette extension de l’interdiction.

Conclusion

Le groupe Commerce international de McMillan a publié de nombreux articles sur l’évolution du respect des sanctions et se tient à votre disposition pour toute nouvelle initiative du Canada en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie :

[1] Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, DORS/2014-58; voir aussi le Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie DORS/2023-163. Le 4 août 2023, un autre particulier a été ajouté à la liste des personnes désignées (Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie DORS/2023-176).
[2] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti, DORS/2023-126.
Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti, DORS/2023-143.
[3] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran : DORS/2023-127; Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran : DORS/2023-177.
[4] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Ukraine: DORS/2023-119.
[5] Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Moldova: DORS/2023-109.
[6] Selected General Licenses Issued by OFAC | Office of Foreign Assets Control (treasury.gov), voir General Licences under the Russian Harmful Foreign Activities Sanctions.
[7] OFSI General Licences – GOV.UK (www.gov.uk).
[8] Loi sur les mesures économiques spéciales, LC 1992, c. 17, par. 4(4).
[9] General License No. 25C, Authorizing Transactions Related to Telecommunications and Certain Internet-Based Communications.
[10] General License No. 65; les États-Unis ont également délivré la licence générale General License No. 62, «Authorizing the Wind Down of Transactions Involving […] MegaFon PAO […], qui a permis de réaliser d’ici le 11 juillet 2023 certaines transactions qui seraient autrement interdites.
[11] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, 2023-32, art. 1.
[12] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, 2023-163, art. 1.
[13] L’application Web sur le commerce international de marchandises du Canada – Exportations (statcan.gc.ca), en vertu du chapitre 93 du Tarif des douanes.
[14] Ibid, en vertu des chapitres 86, 87, 88 et 89 du Tarif des douanes

par Neil Campbell, William Pellerin et Tayler Farrell

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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