Loin de copier la FARA, le projet de loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère renvoie les précisions à plus tard
Loin de copier la FARA, le projet de loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère renvoie les précisions à plus tard
Le gouvernement du Canada a récemment présenté une proposition de Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère (la « LTRIE »)[1] que la Chambre des communes entend faire adopter le plus rapidement possible. Cette nouvelle loi établit un registre des personnes qui concluent des « arrangements » avec un « commettant étranger » à l’effet d’exercer certaines activités précises relativement aux processus gouvernementaux ou politiques au Canada. Elle devrait être mise en œuvre par un nouveau Commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère (le « Commissaire ») qui sera nommé par le gouvernement, mais qui agira en toute indépendance.
La proposition de registre canadienne ne reproduit pas les aspects controversés de la loi désuète des États-Unis intitulée Foreign Agents Registry Act (« FARA »). Sous le régime canadien, la plupart des sociétés étrangères du secteur privé ne seront pas considérées comme des commettants étrangers. Ce serait un véritable soulagement pour ces entreprises et leurs filiales canadiennes, ainsi que pour les lobbyistes, les avocats, les comptables, les consultants et autres prestataires de services canadiens travaillant pour le compte de ces entreprises qui n’auraient pas à se faire enregistrer pour continuer leur travail.
Toutefois, pour les entreprises d’État, les fonds souverains, les caisses de retraite publiques, les banques d’infrastructure et d’autres entités quasi commerciales ayant des liens avec des gouvernements étrangers dont les « agents » seront tenus de se faire enregistrer, la LTRIE prévoit que plusieurs détails non abordés soient ultérieurement précisés dans des règlements ou expliquer dans des avis consultatifs et des bulletins d’interprétation du Commissaire.
Le contexte :
Le projet de loi C-70 a été déposé alors qu’avait lieu l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux[2]. Auparavant, le gouvernement libéral avait annoncé qu’il entamerait des consultations publiques sur la création d’un « registre des agents étrangers » en début décembre 2022[3], et des consultations publiques ont effectivement eu lieu entre mars et mai 2023[4].
On se demandait si le registre canadien s’apparenterait à la FARA, qui englobe non seulement les « agents étrangers » de gouvernements et de partis politiques étrangers, mais aussi toute personne, société de personnes, association, société ou organisation non américaine, ce qui comprend les sociétés étrangères du secteur privé. Pour bon nombre d’entreprises internationales exerçant des activités aux États-Unis qui s’en offusquent, la FARA a une portée trop générale, mais vague et ambiguë, avec une série d’exemptions relatives au commerce, au lobbying enregistré, à la fourniture de conseils juridiques et aux activités religieuses, scolaires, universitaires ou scientifiques, ou encore aux beaux-arts. La FARA a créé un imbroglio en matière de conformité qui, de manière tout à fait inattendue, peut englober les entreprises du secteur privé et leurs représentants lorsque l’activité commerciale s’entremêle avec le gouvernement et les affaires publiques, même de façon négligeable, comme la programmation d’une réunion entre une entreprise étrangère et un représentant du gouvernement américain[5]. Bien que le régime canadien traite d’activités similaires à celles de la FARA, le sens plus étroit attribué au terme « commettant étranger » signifie que beaucoup moins d’entités du secteur privé étranger faisant des affaires au Canada seront visées par la LTRIE.
Qui seront les personnes visées?
Le registre prévu à la LTRIE s’appliquera aux personnes qui concluent des « arrangements » avec un « commettant étranger » et qui s’engagent dans des activités précises à l’égard des processus gouvernementaux ou politiques au Canada.
Le terme « commettant étranger » englobe ce qui suit :
- les pays étrangers et leurs gouvernements, y compris toute subdivision politique (état, province, protectorat, territoire, etc.) qui relève de la juridiction d’un état étranger, ainsi que toute faction politique ou tout parti politique actif dans cet état, quel que soit leur statut officiel;
- toute entité qui exerce ou prétend exercer les fonctions d’un gouvernement sur un territoire situé à l’extérieur du Canada, que le Canada ait reconnu ou non le territoire comme un État ou l’autorité de cette entité sur le territoire;
- les entités économiques étrangères, y compris les États étrangers ou tout groupe d’États étrangers, ou toute société ou autre entité appartenant en grande partie à un État étranger ou à un groupe d’États étrangers ou contrôlée, en droit ou en fait, par l’un ou l’autre.
Un « arrangement » s’entend d’un engagement pris sous la direction d’un commettant étranger ou en collaboration avec celui-ci en lien avec un processus politique ou gouvernemental pour :
- communiquer avec le titulaire d’une charge publique (c.-à-d. des représentants élus et leur personnel, des fonctionnaires, des employés de sociétés d’État, des personnes nommées par le gouvernement, des membres de gouvernements autochtones, etc.);
- communiquer ou diffuser des renseignements relatifs au processus politique ou gouvernemental;
- distribuer de l’argent ou des objets de valeur, fournir des services ou utiliser une installation.
La notion de « processus politique ou gouvernemental » n’est pas définie de manière exhaustive, mais comprendrait les procédures d’un corps législatif, l’élaboration de propositions législatives, l’élaboration ou la modification d’une orientation de politique ou d’un programme, la prise de décisions par des titulaires de charge publique ou des organismes gouvernementaux (comme dans le cas de l’adjudication d’un marché), la tenue d’une élection ou d’un référendum, la nomination de candidats ou l’élaboration d’une plateforme électorale par un parti politique.
La définition de « processus politique ou gouvernemental » n’est pas étrangère à quiconque s’intéresse à la Loi sur le lobbying du Canada ou aux lois provinciales sur le lobbying, qui englobent les communications avec les titulaires de charge publique sensiblement sur les mêmes processus législatifs et politiques et le processus décisionnel des élus et des fonctionnaires. La LTRIE couvre notamment les activités liées aux élections, aux référendums, aux nominations de candidats et à l’élaboration de plateformes électorales, ce que ne font pas les lois canadiennes sur le lobbying.
La LTRIE est censée s’appliquer aux activités entreprises relativement aux processus politiques ou gouvernementaux à tous les ordres de gouvernement au Canada, y compris les administrations municipales, provinciales et territoriales, et les gouvernements autochtones.
La portée précise de la notion de fourniture de services dans le cadre d’un processus politique ou gouvernemental n’est pas encore définie. Un exemple clair serait un arrangement en vue du transport par autobus de personnes pour aller voter lors d’un congrès de désignation de candidats à une élection. La « fourniture de services » pourrait tout simplement englober aussi la fourniture de services-conseils juridiques ou en relations gouvernementales à un commettant étranger sur un sujet de politique publique ou concernant des programmes ou des processus d’approvisionnement gouvernementaux, même en l’absence de communication avec un titulaire de charge publique ou de communication ou de diffusion de renseignements à une personne autre que le commettant étranger. Des orientations sous forme de bulletins d’interprétation ou d’avis consultatifs du Commissaire devraient ultérieurement apporter plus de précisions, on l’espère, quant à la manière dont il interprétera et appliquera cet aspect de la LTRIE. De telles orientations n’arriveront pour autant pas de sitôt.
Comment la loi sera-t-elle appliquée?
Le Commissaire sera nommé pour un mandat d’une durée maximale de sept ans. Il aura pour mission de veiller en toute indépendance à l’exécution et à l’application de la LTRIE, sur le modèle du Commissaire de la concurrence et du Surintendant des faillites.
En ce qui concerne l’application, la LTRIE établit les infractions suivantes :
- omettre d’enregistrer un arrangement ou une activité;
- omettre de mettre à jour les renseignements contenus dans le registre dans les délais prescrits par le règlement;
- fournir sciemment des renseignements faux ou trompeurs au Commissaire;
- commettre une entrave au travail du Commissaire dans la tenue du registre.
En cas de non-conformité, le Commissaire a le pouvoir discrétionnaire de dresser un procès-verbal qu’il fait signifier à l’auteur prétendu de la violation ou d’imposer une sanction administrative pécuniaire (« SAP ») ou de renvoyer l’affaire au Service des poursuites pénales du Canada à titre d’infraction. Une infraction est passible d’une amende maximale de 5 millions $ et/ou d’une peine d’emprisonnement maximale de 5 ans.
Sur réception d’un procès-verbal, toute personne visée a le droit de présenter au Commissaire des observations justifiant ses actes. Le Commissaire peut alors décider s’il y a lieu d’imposer la sanction, de la réduire ou de n’imposer aucune sanction.
Le Commissaire rend publiques les violations, y compris les renseignements concernant la nature de la violation, le nom de la personne en cause qui ne s’est pas acquittée de ses obligations et le montant de la sanction imposée.
L’ensemble des SAP que le Commissaire pourrait imposer sera défini par règlement, ce qui est encore attendu. De même, les obligations d’information particulières auxquelles les personnes enregistrées doivent se conformer seront également établies ultérieurement par règlement. D’après les stipulations de la LTRIE, les personnes visées devront se faire enregistrer dans les 14 jours après avoir convenu de conclure un « arrangement » avec un « commettant étranger », peu importe si une activité aux termes de l’arrangement a commencé ou non.
L’autre inconnu reste de savoir si des exemptions d’enregistrement seront établies par règlement pour certaines catégories de personnes, notamment les avocats qui fournissent des conseils juridiques protégés par le secret professionnel. Les seules exemptions prévues aux termes de la LTRIE concernent les diplomates ou les employés de commettants étrangers agissant ouvertement en leur qualité officielle d’employés. Toutefois, le projet de loi C-70 n’exempte pas les commettants étrangers de pays alliés du Canada, y compris les commettants étrangers des États-Unis. Il reste à voir si des modifications seront apportées à la LTRIE au cours du processus législatif afin d’en élargir ou d’en restreindre le champ d’application, notamment en ajoutant des catégories de personnes et d’entités qui ne seront pas soumises à la LTRIE.
Quelles sont les prochaines étapes?
Les parlementaires canadiens entendent faire adopter la loi avant la clôture de la session parlementaire à la fin de juin, de sorte que le registre et les autres aspects de la LTRIE puissent être mis en œuvre avant les prochaines élections fédérales prévues au plus tard en octobre 2025. Au regard du temps restant pour compléter le processus d’examen législatif, les choses devraient aller très vite et toutes les entreprises du secteur privé seraient bien avisées de se tenir au courant de la situation.
McMillan continuera de surveiller l’évolution de la LTRIE et restera disposée, conjointement avec sa division des affaires publiques, McMillan Vantage, à aider les entreprises à défendre leurs intérêts. Pour en savoir plus à ce propos, veuillez communiquer avec Timothy Cullen ou Stevie O’Brien.
[1] Le projet de loi C-70, Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère, édicterait la LTRIE.
[2] Commission sur l’ingérence étrangère.
[3] Voir Ottawa mènera une consultation publique sur le bien-fondé d’un registre des agents étrangers – McMillan. L’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux a débuté en septembre 2023.
[4] Voir Établissement d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère : Ottawa mènera une consultation jusqu’au 9 mai prochain – McMillan
[5] Voir, par exemple, Covington et Burling LLP, The Foreign Agents Registration Act (FARA): A Guide for the Perplexed, 31 janvier 2023 (en anglais).
par Timothy Cullen, Stevie O’Brien et William Carey (étudiant d’été en droit)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis. Il est préférable d’obtenir un avis juridique spécifique.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024
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