Mise au point de dernière minute : Québec tente d’atténuer l’impact de certaines des exigences les plus ambitieuses de la loi 96, en ce qui concerne les communications avec l’État
Mise au point de dernière minute : Québec tente d’atténuer l’impact de certaines des exigences les plus ambitieuses de la loi 96, en ce qui concerne les communications avec l’État
Voilà bientôt un an (soit le 1er juin 2022) qu’a été adopté le projet de loi 96 : Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi »), qui a modifié en profondeur la Charte de la langue française (la « Charte »). Comme nous l’avions alors souligné, un grand nombre des changements apportés entreront graduellement en vigueur au cours des mois et des années à venir. C’est notamment le cas de l’obligation imposée au gouvernement du Québec (l’« Administration ») d’utiliser le français de façon exemplaire et, conséquemment, de limiter considérablement les circonstances dans lesquelles les entreprises et les particuliers peuvent communiquer avec elle dans une langue autre que le français. Ces obligations entreront en vigueur le 1er juin 2023.
C’est à l’approche de cette date qu’ont été déposés le projet de règlement sur la langue de l’Administration (le « PRAA ») et le projet de règlement sur les dérogations au devoir d’exemplarité de l’Administration et les documents rédigés ou utilisés en recherche (le « projet de règlement sur les dérogations et la recherche »), lesquels entreront également en vigueur le 1er juin 2023. Ceux-ci reconnaissent certaines situations où l’Administration peut devoir continuer d’employer des langues autres que le français et où elle est autorisée à le faire.
Communications
Selon la Charte, l’Administration, dans ses communications écrites comme orales, ne peut utiliser une langue autre que le français sauf dans certaines circonstances limitées, et même dans ces circonstances, quand l’emploi du français s’est révélé impossible[1]. Le PRAA fournit des orientations sur les circonstances où une autre langue pourrait être employée. C’est le cas, par exemple, si la communication est « adressée au siège ou à un établissement de la personne morale […] à l’extérieur du Québec[2]. »
Contrats
Malgré l’obligation générale qui lui est faite d’utiliser exclusivement le français dans ses contrats et documents connexes (sauf exemptions limitées prévues par la Charte[3]), l’Administration sera désormais autorisée à joindre à ces derniers une version dans une autre langue dans un nombre beaucoup plus grand de situations[4], notamment les suivantes :
- pour encourager la participation de soumissionnaires établis à l’extérieur du Québec dans le cadre d’un appel d’offres public;
- lorsque l’Administration communique avec le siège social ou un établissement d’une contrepartie situé à l’extérieur du Québec pour conclure un contrat;
- dans certains contextes liés à l’enseignement ou aux sciences, ou relativement à des licences qui n’existent pas en français;
- lorsqu’il est impossible pour l’Administration de se procurer en temps utile et à un coût raisonnable le produit ou le service recherché.
De plus, les parties pourront choisir quelle version du contrat aura préséance en cas de divergence[5].
Permis
La Loi obligera notamment les entités demandant un permis à une autorité du Québec à le faire en français, et certaines autorités ont déjà aboli les versions anglaises de certains formulaires de demande qu’elles proposaient auparavant. Le PRLA prévoit une exemption pour certains documents[6], dont les suivants :
- les documents qui émanent d’un établissement d’une entreprise établie au Québec, lorsque cet établissement est à l’extérieur du Québec (par exemple, si les statuts d’une société doivent être présentés comme pièce justificative dans le cadre d’une demande de permis, il ne sera pas nécessaire de les faire traduire en français, pourvu que le siège de la société se trouve à l’extérieur du Québec);
- dans un contexte où l’Administration serait autorisée à communiquer avec l’entreprise dans une langue autre que le français (voir ci-dessus);
- dans certains contextes liés à la recherche.
Délais de grâce
Au-delà de ce qui précède, Québec a aussi prévu des exemptions générales qui permettront à l’Administration de continuer à utiliser des langues autres que le français pendant encore quelques années, le temps qu’elle s’adapte à la Loi[7] :
- jusqu’en juin 2025 – l’Administration peut continuer de communiquer dans une langue autre que le français, et de recevoir des documents dans une autre langue dans le cadre de demandes de permis, « lorsque la communication est nécessaire pour éviter qu’une communication rédigée uniquement dans la langue officielle compromette l’accomplissement de la mission de l’organisme de l’Administration et que ce dernier a pris tous les moyens raisonnables pour communiquer uniquement dans la langue officielle »;
- jusqu’en juin 2026 – l’Administration peut conclure un contrat avec une entreprise ne respectant pas ses obligations en matière de francisation i) dans une situation d’urgence et ii) lorsque l’entreprise est la seule en mesure de fournir le bien ou le service.
Réglementation additionnelle
Le projet de règlement sur les dérogations et la recherche prévoit quant à lui des circonstances[8] où l’Administration peut utiliser, en plus du français, une autre langue lorsqu’elle écrit (et ainsi déroger à son devoir d’exemplarité)[9], ainsi que des circonstances où des documents rédigés et utilisés en recherche peuvent être rédigés uniquement dans une autre langue que le français[10].
Comme dans le cas du PRLA, jusqu’en juin 2025 :
- l’Administration peut continuer de communiquer dans une langue autre que le français lorsqu’elle écrit pour accomplir une fonction en lien avec sa mission « lorsque l’utilisation exclusive de la langue officielle compromet l’accomplissement de cette mission et que l’organisme de l’Administration a pris tous les moyens raisonnables pour communiquer uniquement dans la langue officielle »[11];
- en plus des documents énumérés dans le projet de règlement sur les dérogations et la recherche, des documents rédigés et utilisés en recherche peuvent être rédigés uniquement dans une autre langue que le français si « l’utilisation exclusive de la langue officielle compromet l’accomplissement de la mission de l’organisme de l’Administration lorsque ce dernier a pris tous les moyens raisonnables pour que le document soit rédigé uniquement en français »[12].
À l’approche des dates ultérieures d’entrée en vigueur (le 1er juin 2024 et le 1er juin 2025), et même pendant la période où entreprises, particuliers et organismes publics s’adapteront aux changements qu’entraîne concrètement la Loi, il restera à voir quels autres orientations et règlements Québec devra mettre en place pour atténuer l’impact de certains des aspects les plus lourds et controversés de cette loi.
[1] Charte, art. 13.2.
[2] PRLA, art. 2.
[3] Charte, art. 21; par exemple, contrats de prêt et certains instruments financiers.
[4] PRLA, art. 4. Les circonstances où l’Administration peut utiliser l’anglais seulement ne changent pas. Voir la Charte, art. 21.5, et le PRLA, art. 5.
[5] PRLA, art. 14.
[6] PRLA, art. 6.
[7] PRLA, art. 18.
[8] Projet de règlement sur les dérogations et la recherche, art. 1.
[9] Dérogations au par. 13.2 (1) de la Charte.
[10] Projet de règlement sur les dérogations et la recherche, art. 2.
[11] Projet de règlement sur les dérogations et la recherche, art. 3.
[12] Projet de règlement sur les dérogations et la recherche, art.
par Émile Catimel-Marchand, Enda Wong et Mireille Germain
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023
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