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Nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE : répercussions au Canada et ailleurs

5 juin 2023 Bulletin sur le commerce international Lecture de 6 min

Déterminée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030, l’Union européenne (« UE ») a adopté, le 10 mai 2023, un règlement (le « Règlement ») établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (« MACF »)[1].

Le MACF est un dispositif conçu pour favoriser l’équité dans le commerce de produits touchés par les normes climatiques mondiales. En effet, il impose un tarif sur les importations de certains biens à forte intensité de carbone en provenance de pays où les normes relatives aux émissions sont moins strictes[2]. Ce mécanisme s’inscrit dans les démarches de l’UE visant à atteindre ses ambitieuses cibles climatiques et à assurer une transition équitable vers une économie décarbonée. La phase transitoire débutera le 1er octobre 2023 et le Règlement devrait être pleinement mis en œuvre en janvier 2026[3]. Les producteurs canadiens exportant vers l’UE des biens à forte intensité de carbone doivent donc s’y préparer[4].

Portée et exigences

Le Règlement reprend essentiellement le projet initial de MACF publié par l’UE en juillet 2021. Il s’applique aux mêmes secteurs et prévoit le même système de certificats.

Le Règlement prévoit plusieurs mesures importantes pour les importateurs de l’UE et les exportateurs étrangers :

  • Un tarif sera imposé sur les biens à forte intensité de carbone importés en UE dans les secteurs suivants, actuellement assujettis au système d’échange de quotas d’émission de l’UE (« SEQE») :
    • fonte, fer et acier;
    • ciment;
    • engrais;
    • aluminium;
    • électricité et hydrogène[5].
  • Les importateurs devront acheter des certificats MACF pour compenser la teneur en carbone de leurs produits. Le prix de ces certificats sera basé sur le prix des quotas intra-UE du SEQE, qui fluctue selon la demande du marché et les cibles climatiques de l’UE. En mai 2023, le prix des quotas SEQE oscillait autour de 85 €/tonne (environ 123 $ CA/tonne)[6]; c’est nettement supérieur au prix national minimal de la pollution par le carbone du Canada, fixé à 65 $ CA/tonne pour 2023[7].
  • Les importateurs devront produire annuellement une déclaration MACF énonçant la teneur en carbone des produits qu’ils importent en UE. Le contenu de cette déclaration sera examiné par un vérificateur indépendant[8].
  • Les produits en provenance de pays ayant leur propre mécanisme de tarification du carbone – dont le Canada – donneront droit à un rabais sur le prix ordinaire des certificats MACF, en fonction du montant versé dans le pays d’origine. L’UE établira un cadre d’évaluation de l’équivalence des politiques de tarification du carbone des différents pays. Ainsi, un rabais sera accordé si la politique est jugée équivalente ou partiellement équivalente au SEQE de l’UE[9].
  • L’UE éliminera graduellement son système de quotas gratuit, qui permet aux producteurs européens de compenser les émissions indirectes de gaz à effet de serre. Cette élimination graduelle coïncidera avec le déploiement progressif du MACF[10], conçu pour que cette transition ne débouche en aucun cas « sur un traitement plus favorable pour les marchandises de l’Union par rapport aux marchandises importées sur le territoire douanier de l’Union »[11].

Déploiement graduel

Du 1er octobre 2023 au 31 décembre 2025, les importateurs de l’UE seront assujettis à un MACF « simplifié » les obligeant uniquement à déclarer la teneur en carbone des produits importés[12]. Cette première phase permettra à l’UE de recueillir des données en vue de la pleine mise en oeuvre du MACF[13]. Quant aux importateurs, et aux exportateurs étrangers qui les approvisionnent, ils pourront s’habituer au nouveau système et aux exigences administratives connexes. Soulignons que le calcul de la teneur en carbone des produits, et du montant des rabais accordés selon la tarification du carbone dans le pays exportateur, s’annonce complexe.

La phase permanente débutera le 1er janvier 2026. Les importateurs de l’UE devront alors déclarer la quantité de produits couverts par le MACF et leur teneur en CO2, et acheter et remettre les certificats MACF nécessaires à leur importation[14].

Répercussions du MACF sur le commerce mondial

Le MACF aura une incidence sur les importations en provenance de pays dont le régime de tarification du carbone est peu contraignant. Pour s’adapter à ce nouveau mécanisme, certains pays pourraient conclure des accords bilatéraux avec l’UE. Le Canada serait d’ailleurs un candidat tout désigné : un tel accord aiderait les exportateurs canadiens en clarifiant et en standardisant l’arrimage entre le MACF et le régime fédéral de tarification du carbone (et les variantes provinciales) – en particulier la question du rabais sur le prix des certificats selon la tarification imposée au Canada.

Il faudra voir si d’autres pays qui exportent beaucoup de biens à forte intensité de carbone emboîteront le pas à l’UE en appliquant des ajustements carbone aux frontières. Le gouvernement du Canada a annoncé dans le budget 2021 son intention de créer un tel mécanisme, puis a tenu une consultation publique à l’automne 2021[15]. Il n’a toutefois présenté aucune proposition à ce jour.

Quant aux États-Unis, ils ont tardé à adopter des normes climatiques et n’ont aucun cadre réglementaire de tarification du carbone; ils sont donc mal placés pour adopter un régime semblable au MACF. Or quelques indices dénotent un intérêt pour la question[16]. Les États-Unis négocient actuellement un accord sur « l’acier vert » avec l’UE[17]. Une fois en vigueur, cet accord – qui serait ouvert aux autres pays intéressés – imposerait des tarifs plus élevés sur l’acier à forte intensité de carbone[18]. Plus récemment, un groupe de législateurs a proposé une « loi sur la concurrence propre » qui prévoit une taxe aux frontières sur les importations de biens à forte intensité de carbone[19].

Devant l’engouement pour ces nouvelles mesures dans un nombre croissant de pays, on peut se demander comment celles-ci s’arrimeront avec le cadre de l’OMC, notamment l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Pour en savoir plus sur les risques d’incompatibilité entre les ajustements carbone aux frontières et les règles de l’OMC, consultez notre texte « Une feuille de route pour des ajustements à la frontière des tarifs du carbone en conformité avec les principes du droit commercial ».

Points à retenir

Le MACF nouvellement adopté par l’UE transformera le commerce mondial de biens à forte intensité de carbone. Les entreprises canadiennes des secteurs touchés devront s’y adapter et implanter des mécanismes de conformité pour poursuivre leurs exportations vers l’UE. Comme point de départ, les exportateurs canadiens devraient recenser les produits qu’ils vendent sur le marché européen, puis en déterminer la teneur en CO2 pour mieux comprendre les effets du MACF sur leurs ventes, leurs coûts et leurs prix. Cela pourrait aussi les aider à faire ressortir leurs avantages concurrentiels et leurs possibilités de croissance par rapport aux pays exportateurs qui n’ont aucun régime de tarification du carbone ou dont le régime est moins contraignant que celui du Canada (pensons notamment aux États-Unis et à la Chine). Quant aux décideurs canadiens, ils pourraient négocier avec l’UE un accord bilatéral sur le MACF et se pencher sur une éventuelle refonte du régime canadien de tarification du carbone.

[1] Conseil européen, « Action de l’UE pour le climat : accord provisoire sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) », 13 décembre 2022, en ligne.
[2] Commission européenne, « Carbon Border Adjustment Mechanism », consulté le 8 mai 2023, en ligne.
[3] Commission européenne, « Carbon Border Adjustment Mechanism », consulté le 18 mai 2023, en ligne.
[4] Ce texte est notre plus récent bulletin sur les ajustements carbone aux frontières. Pour lire nos bulletins précédents, cliquez ici et ici.
[5] CE, Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, [2023] JO, L 130/66, annexe I, en ligne.
[6] CE, Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, [2023] JO, L 130/66, p. 56, en ligne.
[7] Au Canada, le prix du carbone augmentera progressivement pour atteindre 170 $ CA/tonne en 2030. Voir gouvernement du Canada, « Mise à jour de L’approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone 2023-2030 », consulté le 18 mai 2023, en ligne.
[8] CE, Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, [2023] JO, L 130/66, art. 18 et 20, en ligne.
[9] CE, Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, [2023] JO, L 130/66, art. 12 et 14, en ligne.
[10] Commission européenne, « Carbon Border Adjustment Mechanism », consulté le 8 mai 2023, en ligne.
[11] CE, Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, [2023] JO, L 130/66, p. 56, en ligne.
[12] Conseil européen, « Action de l’UE pour le climat : accord provisoire sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) », 13 décembre 2022, en ligne.
[13] Conseil européen, « Action de l’UE pour le climat : accord provisoire sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) », 13 décembre 2022, en ligne.
[14] Commission européenne, « Carbon Border Adjustment Mechanism », consulté le 8 mai 2023, en ligne.
[15] Gouvernement du Canada, « Consultation sur les ajustements à la frontière pour le carbone », modifié le 1erfévrier 2022, en ligne.
[16] Par exemple, un sénateur américain a déposé un projet de loi qui, advenant son adoption, instaurerait aux États-Unis un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Voir Sheldon Whitehouse, sénateur du Rhode Island, « Whitehouse and Colleagues Introduce Clean Competition Act to Boost Domestic Manufacturers and Tackle Climate Change », 8 juin 2022, en ligne.
[17] Maison-Blanche, « FACT SHEET: The United States and European Union to Negotiate World’s First Carbon-Based Sectoral Arrangement on Steel and Aluminum Trade », 31 octobre 2021, en ligne.
[18] Maison-Blanche, « FACT SHEET: The United States and European Union to Negotiate World’s First Carbon-Based Sectoral Arrangement on Steel and Aluminum Trade », 31 octobre 2021, en ligne.
[19] Sheldon Whitehouse, sénateur du Rhode Island, « Whitehouse and Colleagues Introduce Clean Competition Act to Boost Domestic Manufacturers and Tackle Climate Change », 8 juin 2022, en ligne.

par Neil Campbell, Talia Gordner, Lisa Page et Adelaide Egan (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement
sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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