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Pouce vers le haut ou accord conclu? Une cour confirme qu’un emoji est une acceptation valide d’un contrat

10 février 2025 Bulletin Litige et règlement de différends Lecture de 7 min

Introduction

Dans un bulletin précédent (en anglais), nous nous sommes penchés sur la décision South West Terminal Ltd. v Achter Land, 2023 SKKB 116 et son applicabilité à la Colombie-Britannique. Le litige portait sur la question de savoir si l’envoi d’un emoji « pouce vers le haut » dans un message texte pouvait constituer l’acceptation d’une offre, formant un contrat contraignant pour la fourniture de lin.

Cette décision a récemment été confirmée par la majorité de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Achter Land & Cattle Ltd. v South West Terminal Ltd., 2024 SKCA 115. Elle a conclu que la Cour du Banc du Roi n’avait pas commis d’erreur en déterminant qu’un contrat existait entre les parties et que l’emoji « pouce vers le haut » satisfaisait aux exigences de signature prévues par l’article 6 de la Sale of Goods Act, RSS 1978, c S-1 (« Sale of Goods Act »).

Nous résumons ci-dessous cet arrêt qui fournit des indications sur l’interprétation des emojis dans les différends contractuels. Nous présentons ensuite nos points à retenir.

Les parties ont conclu un contrat valide

(a) Intention des parties de conclure un contrat

La Cour d’appel s’est penchée sur la question de savoir si la Cour du Banc du Roi avait commis une erreur en déterminant que les parties avaient conclu un contrat. La défenderesse, Achter Land & Cattle Ltd. (« ALC ») avait fait valoir que, lorsqu’il a envoyé un emoji « pouce vers le haut », M. Achter (le mandant d’ALC) n’avait pas l’intention d’exprimer son acceptation des modalités. Il voulait plutôt indiquer qu’il avait reçu le contrat[1]. À l’appui de cet argument, ALC a souligné l’ambiguïté inhérente à cet emoji et a insisté sur le fait que reconnaître [traduction] « un langage peu clair et ambigu comme une acceptation d’un contrat ou une signature ouvrira la boîte de Pandore et causera un nombre important de litiges »[2].

La Cour d’appel s’est penchée sur la preuve relative à l’historique des relations commerciales des parties. Elle a rejeté l’argument d’ALC puisque la Cour du Banc du Roi avait correctement examiné la façon dont un observateur objectif et conscient des circonstances pertinentes interpréterait l’emoji « pouce vers le haut », et la possibilité pour cet observateur de conclure que les parties avaient l’intention de conclure un contrat et l’ont conclu. La Cour du Banc du Roi n’avait pas indiqué qu’un emoji « pouce vers le haut » signifiait invariablement « je suis d’accord », ce qui aurait été une erreur.

La Cour d’appel a ajouté que le raisonnement de la Cour du Banc du Roi reflétait de manière appropriée les subtilités de la communication humaine, ce dont les cours tiennent compte depuis longtemps lorsqu’ils interprètent l’intention d’une partie. L’utilisation d’un emoji [traduction] « apporte simplement une touche moderne »[3] à l’interprétation de la communication, mais ne modifie pas le droit de l’interprétation des contrats.

Les circonstances entourant l’utilisation de l’emoji « pouce vers le haut » ont joué un rôle important pour établir la signification de cet emoji. La Cour d’appel a souligné que les principes d’interprétation des communications aux fins de l’interprétation des contrats restent les mêmes, que la communication soit électronique ou écrite. Dans son analyse, la Cour d’appel a souligné que [traduction] « les mots seuls n’ont pas un sens immuable ou absolu », illustrant l’importance de prendre en compte la matrice factuelle pour déterminer les intentions contractuelles des parties[4].

(b)  Les parties se sont entendues sur les modalités essentielles du contrat

ALC a également fait valoir que les parties n’avaient pas conclu de contrat puisqu’elles ne s’étaient pas entendues sur les modalités essentielles du contrat. À l’appui de cet argument, ALC a soutenu que la Cour du Banc du Roi avait commis une erreur pour deux motifs.

Premièrement, ALC a souligné que le contrat prévoyait une date de livraison de [traduction] « nov. », mais qu’il ne précisait pas l’année de livraison. ALC a fait valoir qu’en omettant l’année de livraison, les parties ne se sont pas entendues sur la date de livraison, une modalité essentielle du contrat. La Cour d’appel a rejeté cet argument, considérant que les parties avaient convenu verbalement de livrer le lin en novembre 2021 et qu’elles avaient précédemment conclu des contrats sans préciser l’année de livraison. Deuxièmement, ALC a fait valoir que la Cour du Banc du Roi avait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’une seule page du contrat recto verso avait été envoyée à M. Achter. La deuxième page comprenait les conditions générales, qui, selon ALC, étaient des modalités essentielles du contrat qui n’avaient pas été acceptées par les parties. Même si ALC avait vu les conditions générales des contrats précédents, elle a soutenu que ce fait n’était pas pertinent, puisque c’était la première fois que les parties avaient conclu un contrat de production à livraison différée (achat de lin devant être livré à une date ultérieure). La Cour d’appel a également rejeté cet argument, puisque le contrat indiquait clairement que les conditions générales étaient imprimées au verso et que ces conditions générales figuraient systématiquement dans les contrats précédents entre les parties.

L’emoji « pouce vers le haut » répond aux exigences de l’article 6 de la Sale of Goods Act

ALC a également fait valoir que la Cour du Banc du Roi avait commis une erreur en concluant que le contrat avait été [traduction] « signé » comme l’exige le paragraphe 6(1) de la Sale of Goods Act, en s’appuyant en grande partie sur la Electronic Information and Documents Act  EIDA »), qui, entre autres, définit « electronic signature » (signature électronique). La Cour d’appel a rejeté cet argument, estimant que la Cour du Banc du Roi n’avait commis aucune erreur de fait ou de droit en concluant que le contrat avait été [traduction] « signé » par l’envoi de l’emoji « pouce vers le haut ».

Dans son analyse, la Cour d’appel a d’abord examiné l’interprétation correcte des mots « signed by » (signé par) au paragraphe 6(1) de la Sale of Goods Act. La Cour d’appel a fait observer que [traduction] « il n’y a guère lieu de s’attacher à l’idée qu’une signature est synonyme d’un nom écrit à la main[5] »; il convient plutôt de se demander si la signature ou la marque permet d’identifier son auteur et si elle témoigne d’une intention d’être lié par le document.

Après avoir établi ce contexte, la Cour d’appel s’est ensuite penchée sur les détails de l’argument d’ALC, ancré dans l’EIDA. Plus précisément, ALC a soutenu que, puisque M. Achter n’a jamais signé le contrat en personne, son message texte doit être admissible en vertu de l’EIDA pour être reconnu comme une signature. La Cour d’appel a résumé les quatre conditions requises pour qu’une communication électronique puisse être considérée comme une signature électronique au sens de l’alinéa 3b) de l’EIDA :

  1. la communication contient un certain type d’« information »;
  2. cette information peut être au format électronique;
  3. l’information doit avoir été créée ou adoptée par la personne afin de signer un document; et
  4. l’information doit être jointe ou associée au document.

Les première, deuxième et quatrième conditions n’étaient pas contestées : l’emoji et les métadonnées accompagnant le message texte de M. Achter contenaient clairement de [traduction] « l’information », l’information était au format électronique et était « jointe ou associée » à une chaîne de messages textes, y compris le message texte contenant la photographie de la première page du contrat.

Après avoir traité sommairement les autres éléments, la Cour d’appel s’est concentrée sur le troisième élément, à savoir que l’information doit avoir été [traduction] « créée ou adoptée » par la personne afin de signer le document. ALC a fait valoir que l’existence d’une signature dépend de la communication d’un contrat d’une manière qui identifie intentionnellement la partie signataire comme la personne exprimant l’accord. La Cour d’appel a accepté cet argument, mais a conclu que la Cour du Banc du Roi n’avait commis aucune erreur dans sa conclusion. L’emoji « pouce vers le haut » exprime l’acceptation du contrat par M. Achter. La combinaison de l’emoji envoyé et des métadonnées qui l’accompagnent permettait d’identifier M. Achter ou d’authentifier que le message texte provenait de son téléphone portable personnel et unique. Dans ces circonstances, M. Achter avait intentionnellement communiqué son accord et l’avait fait d’une manière qui permettait de vérifier intentionnellement que la communication était de lui.

Observations d’une intervenante

Une intervenante qui n’est pas une partie, Syngrafii Inc. (« Syngrafii »), a présenté des observations sur le quatrième élément de l’alinéa 3b) de l’EIDA. Elle a fait valoir que les termes « in », « attached to » et « associated with » (dans, jointe et associé à) suggèrent un lien étroit entre la marque et le document à signer, et qu’en raison de l’effet combiné de l’EIDA et de la Sale of Goods Act, une signature électronique doit être placée ou apposée à titre de modification ou ajout à la formule du contrat électronique proprement dite. En d’autres termes, Syngrafii a soutenu que l’emoji du pouce vers le haut ne devrait pas être considéré comme une signature électronique puisqu’il n’était pas apposé sur la formule du contrat électronique proprement dite. La Cour d’appel a rejeté cet argument au motif qu’il ne tient pas compte du reste du libellé de l’EIDA. En particulier, la Cour d’appel a estimé que l’expression « associated with » (associé à) a un sens différent et plus large que « in » (dans) ou « attached to » (jointe). La chaîne de messages textes, qui comprenait à la fois la photographie du contrat et l’emoji « pouce vers le haut », a été considérée comme [traduction] « associée de manière palpable » au contrat proprement dit « d’une manière très réelle et pratique[6] ».

En outre, la Cour d’appel a estimé que cet argument n’était pas conforme à la jurisprudence reconnaissant que les parties peuvent s’appuyer sur deux documents ou plus pour prouver qu’elles respectent les exigences légales. Accepter l’argument de Syngraffi irait à l’encontre de l’intention du législateur de parvenir à une équivalence fonctionnelle entre l’information électronique et les documents papier.

Points à retenir

  •  La Sale of Goods Act de la Colombie-Britannique ne contient pas de disposition équivalente à l’article 6 de la Sale of Goods Act de la Saskatchewan. Toutefois, la Cour d’appel a clairement indiqué que le paragraphe 6(1), s’il s’applique, ne sert qu’à rendre les contrats valides inexécutoires par voie judiciaire et non à rendre ces contrats invalides, nuls ou annulables. Étant donné que la Cour du Banc du Roi a conclu qu’il existait un contrat, et que la Cour d’appel l’a confirmé, l’arrêt Achter a un caractère persuasif en Colombie-Britannique.
  •  L’Electronic Transactions Act, l’équivalent de l’EIDA en Colombie-Britannique, définit la « signature électronique » essentiellement de la même façon que l’alinéa 3b) de l’EIDA. Les cours de la Colombie-Britannique ont appliqué le même critère en quatre volets pour déterminer si une information électronique répondait à la définition d’une [traduction] « signature électronique ».
  •  Si le « droit des emojis » est quelque peu nouveau au Canada, il n’en va pas de même pour le droit des contrats. La touche moderne de la présente affaire, bien qu’inhabituelle et intéressante, ne change pas grand-chose aux éléments d’un contrat valide établis de longue date ni aux principes d’interprétation des communications ambiguës.
  •  L’utilisation des emojis, comme toute communication humaine, est souvent subtile et ambiguë. L’interprétation des intentions des parties contractantes repose grandement sur les faits. En l’absence de preuve de communications antérieures entre les parties (« looks good », « ok » et « yup » (ça a l’air bien, okay et ouaip), la décision South West aurait pu être différente. On ne peut pas supposer qu’un emoji « pouce vers le haut », ou tout autre emoji, indiquera une acceptation dans tous les cas.
  •  Bien que les emojis soient fréquemment utilisés dans les communications informelles, cela ne signifie pas qu’un emoji ne peut pas lier une partie à un contrat si le critère objectif est rempli. M. Achter a présenté des éléments de preuve indiquant que son intention subjective lorsqu’il a utilisé l’emoji « pouce vers le haut » était simplement de confirmer la réception du contrat. Il a soutenu cette position en s’appuyant sur des exemples de nombreux messages informels, y compris des « blagues », que les parties s’étaient envoyées. Cette intention subjective et le caractère informel de la correspondance ne l’emportent pas sur le critère de l’observateur objectif.
  • Les cours s’efforceront de faire respecter l’intention du législateur de parvenir à une équivalence fonctionnelle entre l’information électronique et les documents papier. Les parties ne peuvent pas présumer que les méthodes électroniques ou autrement moins traditionnelles pour conclure un contrat leur permettront d’éviter ultérieurement de s’acquitter de leurs obligations contractuelles.

[1] Achter Land & Cattle Ltd. v South West Terminal Ltd., 2024 SKCA 115, par. 47.
[2] Idem, par. 48.
[3] Idem, par. 61.
[4] Idem, par. 62.
[5] Idem, par. 108.
[6] Idem, par. 122.

Par Carina Chiu, Katherine Akladios et David Burchart (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

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