Preuve que les parties ont « agi de concert » : la barre est relativement haute, conclut la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique
Preuve que les parties ont « agi de concert » : la barre est relativement haute, conclut la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique
Le 22 décembre 2023, une formation (la « Formation ») de la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique (la « Commission ») a publié les motifs de sa décision du 9 septembre 2023 rejetant la demande de NorthWest Copper Corp. (la « Société ») alléguant que Grant Sawiak, Tony Ianno et John Kimmel (collectivement, les « Défendeurs ») avaient enfreint les règles du système d’alerte énoncées dans le Règlement 62-104 – Offres publiques d’achat et de rachat (« Règlement 62-104 ») et le Règlement 62-103 – Système d’alerte et questions connexes touchant les offres publiques et les déclarations d’initiés (« Règlement 62-103 »). La Société demandait à la Commission de rendre des ordonnances empêchant les Défendeurs d’exercer les droits de vote rattachés à leurs actions pour élire les administrateurs de la Société à la prochaine assemblée générale annuelle (« AGA »), interdisant aux Défendeurs de négocier les actions de la Société pendant six mois et obligeant M. Sawiak à respecter les règles du système d’alerte.
Cette décision s’avère intéressante parce que la Commission y conclut que la barre est relativement haute, comme il se doit, quand vient le temps de prouver l’« action concertée » des parties.
Contexte
Selon la preuve déposée avec la demande, M. Ianno exprime certaines inquiétudes par rapport à la Société et à certains administrateurs dès octobre 2022. En avril 2023, M. Ianno confie à M. Sawiak ses craintes concernant la direction et l’administration de la Société. Le mois suivant, il discute avec M. Kimmel d’une éventuelle liste de candidats dissidents et offre à celui-ci de proposer un administrateur. M. Kimmel propose alors Adam Manna, son avocat personnel et l’avocat-conseil de son entreprise.
Le 19 mai 2023, M. Sawiak envoie un avis de l’actionnaire proposant une candidature, conformément aux exigences de préavis de la Société. Quatre jours plus tard, il publie un communiqué de presse annonçant la liste de candidats dissidents pour la prochaine AGA. Ni l’avis ni le communiqué ne fait mention de parties agissant de concert, et l’avis indique explicitement que M. Sawiak n’agit pas de concert avec d’autres personnes ou entreprises.
La Société décide alors de remettre l’AGA et, le jour même, indique à l’avocat de M. Sawiak qu’elle considère que celui-ci a agi de concert avec des actionnaires, dont M. Ianno et M. Kimmel, sans le déclarer en bonne et due forme. À ce moment-là, M. Sawiak détient environ 0,39 % des actions émises et en circulation de la Société, tandis que M. Ianno et M. Kimmel en détiennent, directement et indirectement, environ 3,64 % et 7,9 % respectivement.
Les allégations d’action concertée formulées par la Société sont fondées principalement sur des conversations que le chef de la direction et un administrateur de la Société ont eues avec M. Ianno et M. Sawiak ainsi que des rencontres avec un autre actionnaire important.
En réponse à la lettre de la Société, l’avocat de M. Sawiak, sans nier que son client agit de concert avec d’autres actionnaires, soutient qu’il incombe à la Société d’en faire la preuve.
Au début de juin 2023, à la demande de M. Sawiak, M. Kimmel accepte de payer une partie des coûts de la course aux procurations.
En juillet et août 2023, à l’insu de M. Sawiak et M. Ianno, M. Kimmel participe à des négociations distinctes avec la Société. Ces discussions portent sur un projet d’entente : la Société permettrait à M. Kimmel de proposer un administrateur sur la liste de la Société s’il acceptait de s’y rallier. Pendant ses échanges avec la Société, M. Kimmel affirme qu’il n’appartient à aucun groupe et qu’il agit uniquement dans son propre intérêt afin d’être représenté au conseil d’administration.
Or, le 4 août 2023, la Société coupe court aux négociations lorsqu’elle apprend, dans un préavis modifié déposé par M. Sawiak, que M. Kimmel finance la course aux procurations de ce dernier. Quatre jours plus tard, M. Sawiak annonce et dépose publiquement le préavis modifié indiquant que M. Kimmel finance la sollicitation de procurations.
Plus tard en août, la Société dépose à la Commission une demande alléguant que les trois Défendeurs, qui détiennent plus de 10 % des actions ordinaires émises et en circulation de la Société, ont enfreint les règles du système d’alerte énoncées dans le Règlement 62-103 et le Règlement 62-104 tout en agissant de concert pour changer la composition du conseil d’administration. Subséquemment, M. Sawiak dépose une demande préliminaire indiquant que le concept d’« action concertée » ne s’applique pas à la sollicitation de procurations en vue d’élire une autre liste d’administrateurs et que, par conséquent, les Défendeurs n’étaient pas tenus de diffuser une alerte en l’espèce.
Règles du système d’alerte
Le Règlement 62-104 oblige l’« acquéreur » à respecter certaines règles du système d’alerte énoncées dans le Règlement 62-103 lorsqu’il acquiert la propriété véritable soit de titres comportant droit de vote ou de titres de capitaux propres d’une catégorie d’un émetteur assujetti, soit de titres convertibles en ces titres, ou lorsqu’il acquiert une emprise sur de tels titres, qui, avec les « titres de l’acquéreur » de cette catégorie, représentent au moins 10 % des titres en circulation de cette catégorie.
Au sens du Règlement 62-104, « acquéreur » désigne toute personne qui acquiert des titres autrement qu’au moyen d’une offre publique d’achat ou de rachat. Les « titres de l’acquéreur » sont les titres d’un émetteur dont l’acquéreur ou toute personne agissant de concert avec lui a la propriété véritable ou sur lesquels il exerce une emprise à la date d’acquisition ou de cession.
Bien que le Règlement 62-104 ne définisse pas le terme « agir de concert », le paragraphe 1.9(1) indique qu’une personne est réputée agir de concert avec l’initiateur ou l’acquéreur si, par l’effet d’une convention avec l’initiateur, l’acquéreur ou toute personne agissant de concert avec lui, elle acquiert ou offre d’acquérir des titres de la catégorie visée par l’offre d’acquisition. En outre, une personne est présumée agir de concert avec l’initiateur ou l’acquéreur si, par l’effet d’une convention avec l’initiateur, l’acquéreur ou toute personne agissant de concert avec lui, elle entend exercer de concert avec l’un ou l’autre les droits de vote rattachés aux titres de l’émetteur visé.
Principales conclusions
Le concept d’« action concertée » ne s’applique pas seulement aux offres publiques d’achat et de rachat.
La Formation confirme que le concept d’« action concertée » s’applique non seulement aux offres publiques d’achat et de rachat, mais aussi à la sollicitation de procurations en vue d’élire une autre liste d’administrateurs.
Elle précise que même si la seule occurrence du terme acting jointly or in concert (agir de concert) dans la Securities Act de la Colombie-Britannique figure à l’article 98 dans le contexte des offres publiques d’achat et de rachat, le concept a une portée plus large, et rien n’indique que le Règlement 62-103 et le Règlement 62-104 doivent être interprétés restrictivement en fonction de l’article 98.
Bien que les commissions canadiennes des valeurs mobilières ne se soient jamais prononcées sur l’application du concept d’« action concertée » au-delà des offres publiques d’achat et de rachat, la Formation explique que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a étudié la question et conclu à une application élargie dans l’affaire Genesis Land Development Corp. v. Smoothwater Capital Corporation, 2013 ABQB 509.
À la lumière de la décision Genesis, du sens ordinaire des mots utilisés dans le Règlement 62-104 et du principe d’interprétation large et libérale de la législation en valeurs mobilières, la Formation conclut que le concept d’« action concertée » s’applique aussi aux sollicitations de procurations en vue d’élire une autre liste d’administrateurs, même en l’absence d’offre publique d’achat ou de rachat. La Formation s’appuie aussi sur l’intention des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») qui ressort de l’avis de mars 2013 accompagnant certaines modifications proposées au Règlement 62-103 et au Règlement 62-104, où les ACVM affirment que le système d’alerte aide les investisseurs non seulement à prédire les éventuelles offres publiques d’achat, mais aussi à prévoir les questions faisant intervenir le vote par procuration.
Acquisition nécessaire : quand les parties agissent de concert, les règles du système d’alerte s’appliquent seulement s’il y a acquisition subséquente de titres supplémentaires.
La Société soutenait que le seul fait d’agir de concert avec d’autres actionnaires en formant un groupe qui, collectivement, détient plus de 10 % des titres avec droit de vote de toute catégorie d’un émetteur (ou des titres convertibles en ces titres) suffit à déclencher l’application des règles de déclaration du Règlement 62-104.
La Formation conclut toutefois que, d’après le sens ordinaire des mots utilisés dans le Règlement 62-104, les règles du système d’alerte s’appliquent seulement si, après que les parties commencent à agir de concert, une ou plusieurs parties acquièrent des titres qui portent l’avoir du groupe à au moins 10 % des titres en circulation de cette catégorie.
Bien que cette interprétation soustraie certaines formes d’action concertée aux règles du système d’alerte, la Formation considère qu’elle ne mène pas à un résultat absurde et qu’aucun motif impérieux ne justifie le rejet du sens ordinaire de la disposition.
Pour établir que les parties ont agi de concert, le fardeau de la preuve est élevé.
La Formation conclut que la barre est relativement haute, comme il se doit, quand vient le temps de prouver l’action concertée des parties. Pour déterminer s’il y a eu action concertée, il faut mettre en équilibre la nécessité de déclarer les blocs d’actions des actionnaires et la libre circulation des opinions et des informations entre actionnaires d’une société ouverte. Selon la Formation, [traduction] « il vaut mieux exiger une preuve suffisamment claire, forte et convaincante que les parties ont agi de concert et, ce faisant, prendre le risque que certains groupes opèrent dans l’ombre plutôt qu’ajouter foi à des spéculations et créer un climat qui paralyse les discussions entre actionnaires ».
La partie demanderesse a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les parties ont agi de concert. Bien que la Formation conclue qu’elle peut admettre une preuve circonstancielle, elle doit pondérer soigneusement la force probante de celle-ci et le caractère raisonnable des autres explications possibles. Ainsi, la preuve circonstancielle doit être scrutée à la loupe si la partie adverse fournit des explications crédibles et plausibles qui apportent un nouvel éclairage.
Pour « agir de concert », les parties doivent collaborer à l’atteinte d’un but commun précis.
Jurisprudence à l’appui, la Formation conclut qu’une entente officielle entre les parties n’est pas nécessaire. Il faut toutefois des éléments de preuve montrant que les parties ont agi de concert. Pour agir de concert, les parties doivent collaborer à l’atteinte d’un but commun précis. La seule présence d’intérêts compatibles ne suffit pas : les parties doivent faire des démarches concertées visant un objectif donné.
Dans le cas d’une sollicitation de procurations en vue d’élire une nouvelle liste d’administrateurs, toutes les parties doivent travailler activement, de façon concertée, à l’élection des administrateurs dissidents.
Par conséquent, le simple fait qu’une partie finance la course aux procurations et propose un administrateur dissident ne permet pas de conclure que les parties ont agi de concert. Si la partie agit dans son propre intérêt, ne s’engage pas à appuyer les candidats dissidents et n’indique pas qu’elle le fera, on peut difficilement conclure à une action concertée.
M. Kimmel n’a pas agi de concert avec les autres Défendeurs.
Appliquant ces principes, la Formation conclut que les Défendeurs n’ont pas agi de concert. Elle s’est concentrée uniquement sur les agissements de M. Kimmel puisque, sans le soutien de ce dernier, M. Sawiak et M. Ianno n’auraient pas détenu assez d’actions pour déclencher l’application des règles du système d’alerte.
La Formation reconnaît que la preuve circonstancielle était assez forte pour justifier un examen approfondi des actions et des explications du Défendeur. Plus particulièrement, M. Kimmel avait accepté de financer la course aux procurations, proposé un administrateur dissident et discuté de ses craintes relatives au conseil d’administration de la Société avec M. Ianno.
Ces facteurs ne prouvent cependant pas, à eux seuls, qu’il y a eu action concertée : la Formation conclut que, malgré tout, M. Kimmel et les autres Défendeurs ne partageaient pas un but commun précis. La Commission a cru M. Kimmel, qui disait avoir accepté de financer la course aux procurations de M. Sawiak pour se donner d’autres options. Les actions de M. Kimmel, qui a négocié autant avec la direction de la Société qu’avec les autres Défendeurs, montrent qu’il agissait principalement dans son propre intérêt en déployant tous les moyens possibles pour être représenté au conseil d’administration.
La Formation souligne que les négociations entre M. Kimmel et la Société, qui visaient un objectif contraire à celui des autres Défendeurs, contredisent la prétention que M. Kimmel aurait agi de concert avec les autres Défendeurs. Ces comportements et l’absence d’engagement à appuyer les administrateurs dissidents amènent la Formation à conclure que, selon la prépondérance des probabilités, M. Kimmel n’a pas agi de concert avec les autres Défendeurs.
Réparations : déclaration d’abord, perte du droit de vote ensuite.
Bien que la Formation n’ait pas à statuer sur les réparations en l’espèce, elle se permet quelques mots sur les ordonnances recherchées par la Société, particulièrement les ordonnances empêchant les Défendeurs de voter pour les administrateurs à l’AGA et de négocier les actions de la Société pendant six mois.
La Formation affirme que ces [traduction] « mesures draconiennes » ne trouvent aucun appui en droit canadien. Elle insiste sur l’importance fondamentale du droit des actionnaires d’élire les administrateurs et soutient que si les effets préjudiciables pour les investisseurs peuvent être atténués par une communication accrue de renseignements, cette approche est préférable à la perte du droit de vote. En l’espèce, la Formation estime qu’une ordonnance de communication suffirait à atténuer les effets préjudiciables pour les investisseurs.
Observations
En concluant que le concept d’« action concertée » s’applique aux sollicitations de procurations et que les règles du système d’alerte trouvent application seulement s’il y a acquisition de titres, la Commission a rendu une décision prévisible, parfaitement conforme aux pratiques du secteur.
C’est cependant la première fois qu’un organisme de réglementation des valeurs mobilières affirme que la barre est relativement haute quand vient le temps de prouver l’action concertée des parties. Le grand principe qui sous-tend cette conclusion ressort clairement des motifs : [traduction] « la libre circulation des opinions et des informations entre actionnaires d’une société ouverte » l’emporte sur les exigences de déclaration, sauf s’il existe [traduction] « une preuve suffisamment claire, forte et convaincante que les parties ont agi de concert » (italique ajouté). Bien que cette remarque ait été faite dans un contexte de course aux procurations, le raisonnement semble aller bien au-delà de ce cas précis.
Il est acquis (comme le reconnaît la Commission dans sa décision) que le demandeur a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les parties ont agi de concert. Cela dit, il faudra voir comment concilier ce critère avec la conclusion de la Commission selon laquelle la barre est « relativement haute » quand vient le temps de prouver l’action concertée des parties. Si le critère de la prépondérance des probabilités exige toujours une preuve claire, forte et convaincante, il ne change pas la « hauteur de la barre ». La conclusion de la Commission pourrait compliquer la tâche de prouver que des actionnaires ont agi de concert, surtout devant un organisme de réglementation des valeurs mobilières lorsque le demandeur dispose d’une preuve limitée.
par Paul Davis, Sandra Zhao, Troy Hilson et Sam Kelley
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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