Québec : les franchises et la loi 96
Québec : les franchises et la loi 96
Introduction
Sanctionné le 1er juin 2022, le projet de loi no 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « loi 96 »)[1], vise à mieux protéger la langue française au Québec. Il bonifie – et modifie – des lois prises précédemment dans ce domaine, notamment la Charte de la langue française (la « Charte »)[2], qui a introduit, dans les années 1970, les premières exigences sur l’utilisation du français dans les contrats commerciaux, les publicités, l’affichage public et les marques.
Nombre des dispositions de la loi 96 auront forcément des effets sur les entreprises fonctionnant sur un modèle de franchise, si le franchiseur ou le franchisé est situé au Québec. Le présent article porte principalement sur les changements qui touchent la traduction de contrats commerciaux, les nouvelles règles sur les langues en milieu de travail, les marques de commerce et l’affichage public, ainsi que les plaintes et les pénalités en cas de contravention.
Il n’y est pas question des exigences liées à l’usage du français dans les sites Web, les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux et les autres documents de nature commerciale. Quoiqu’importantes pour les franchiseurs et les franchisés, ces exigences restent largement inchangées (c’est-à-dire que les documents en question doivent être disponibles en français), outre l’ajout d’une précision : la version française des documents disponibles dans une « autre langue » doit être accessible dans des conditions au moins aussi favorables.
Contrats commerciaux et contrats d’adhésion
À compter du 1er juin 2023, nulle partie ne pourra demander à l’autre de signer un contrat type ou un contrat d’adhésion dans une autre langue sans que la version française du contrat ait d’abord été remise à l’autre et que celle-ci ait donné son consentement[3]. Selon l’usage courant, les franchiseurs pouvaient établir un contrat en anglais seulement, à condition d’insérer une clause confirmant la volonté expresse des parties contractantes que le contrat et les documents s’y rattachant soient rédigés et signés en anglais seulement. Il demeure toutefois possible d’insérer une clause semblable dans un contrat qui n’est pas un contrat d’adhésion.
Sont des contrats d’adhésion les contrats 1) dont les clauses principales ont été imposées ou rédigées par une seule des parties, 2) sans que l’autre soit libre de négocier les modalités[4]. Par conséquent, à moins que le franchiseur puisse prouver que le franchisé pouvait librement négocier les modalités du contrat de franchisage, les tribunaux québécois considéreront, comme par le passé, qu’il s’agissait d’un contrat d’adhésion[5].
De plus, la traduction est aux frais de l’auteur du contrat et ne peut être facturée au franchisé.
Une règle similaire à celle qui vaut pour les contrats d’adhésion s’applique aussi à de nombreux contrats de consommation. Lorsqu’un franchisé ou un franchiseur fournit des services aux consommateurs, que ce soit ou non dans le contexte d’un contrat d’adhésion, le contrat doit d’abord être rédigé en français, après quoi le consommateur peut demander qu’il soit traduit dans une autre langue avant de le signer[6].
Si le franchiseur n’observe pas ces règles, le signataire peut exiger la nullité du contrat sans preuve de préjudice ou réclamer des dommages-intérêts même si le contrat est maintenu. À noter que la loi 96 rehausse les amendes pour non-conformité (voir plus loin[7]).
Usage du français en milieu de travail
Ce n’est pas d’hier que les employeurs doivent utiliser le français dans les communications écrites qu’ils adressent à leur personnel, dont les offres d’emploi ou de promotion. La loi 96 ajoute cependant à la liste des documents à fournir en français, entre autres, les offres de mutation, les contrats individuels de travail, les communications écrites adressées à un travailleur en particulier ou à une association de travailleurs, les formulaires de demande d’emploi, les documents ayant trait aux conditions de travail et les documents de formation produits à l’intention du personnel[8].
La loi 96 touche aussi aux processus d’embauche, en ce sens que l’employeur ne peut plus exiger d’un employé un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que le français, à moins 1) d’indiquer les raisons de cette exigence au moment de diffuser l’offre d’emploi, 2) de démontrer que l’accomplissement des tâches nécessite une telle connaissance et 3) de démontrer que l’entreprise a, au préalable, pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer une telle exigence. Par exemple, l’employeur peut, comme moyen raisonnable, essayer d’attribuer les tâches nécessitant une connaissance de l’anglais à son personnel actuel avant de chercher à recruter des personnes maîtrisant cette langue.
La nouvelle loi introduit par ailleurs des mesures élargissant la francisation ainsi qu’une évaluation, par l’autorité compétente, du caractère suffisant de la présence du français dans les milieux de travail (p. ex., outils de travail, infrastructures de TI). C’est dans ce contexte qu’à compter de juin 2025, les franchises employant 25 personnes ou plus (le seuil est actuellement de 50) devront instituer un comité de francisation et, à la demande de l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF »), se conformer à d’autres obligations visant à promouvoir l’usage du français au travail. Si l’OQLF estime que l’utilisation du français n’est plus généralisée, il peut ordonner à la franchise d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action pour remédier à la situation[9].
Affichage public et marques de commerce
L’affichage public, les affiches et la publicité commerciale doivent déjà être en français. Il peut y avoir du contenu dans une autre langue, mais, en règle générale, le français doit généralement figurer de façon nettement prédominante. Définie dans un règlement d’application de la Charte, l’expression « nettement prédominante » signifie habituellement que le français doit être deux fois plus gros ou avoir un impact visuel beaucoup plus important.
Sous le régime de la loi 96, le critère de prédominance nette s’applique même au contenu visé par une marque de commerce, qui pouvait anciennement s’accompagner d’une mention en français « suffisante »; par exemple, un descripteur comme « magasin » devait précéder la marque de commerce XYZ, sans nécessairement être prédominant.
En outre, la loi 96 élimine l’exception prévue dans la Charte pour les « marques de commerce reconnues », qui permettait d’utiliser une marque – enregistrée ou non – dans une autre langue que le français, tant que la version française n’était pas enregistrée. Dans le nouveau cadre législatif, les franchiseurs qui ont une marque de commerce non enregistrée et qui souhaitent utiliser un nom dans une autre langue doivent déposer une demande auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’« OPIC ») afin que leur marque soit enregistrée avant 2025. Il leur est fortement recommandé d’entamer les démarches dès que possible, car actuellement, le processus d’enregistrement peut prendre trois ans.
Plaintes et pénalités en cas de contravention
Pour garantir aux consommateurs le « droit d’être informés et servis en français », la loi 96 s’accompagne d’une procédure officielle de traitement des plaintes du public. En plus de permettre à la personne qui formule une plainte de demander une injonction ou de se prévaloir d’un autre recours en vertu du Code civil du Québec[10], la Charte habilite dorénavant l’OQLF à surveiller le traitement des plaintes du public. Dans certains cas, l’OQLF peut ouvrir un dossier concernant la plainte, aviser le plaignant de ce fait et, à sa demande, l’informer du traitement de la plainte et, le cas échéant, des mesures de conformité qui seront prises[11].
À noter que la loi 96 rehausse les pénalités imposées aux contrevenants. Les amendes pour les personnes morales ont été augmentées de la manière suivante[12] :
Anciennement | Actuellement | |
Première infraction | 1 500 $ | 3 000 $ à 30 000 $ |
Deuxième infraction | 3 000 $ à 40 000 $ | 6 000 $ à 60 000 $ |
Infraction subséquente | Même montant que pour la deuxième infraction | 9 000 $ à 90 000 $ |
De plus, lorsqu’une infraction à la loi 96 se poursuit durant plus d’un jour, elle constitue une infraction distincte pour chaque jour durant lequel elle se poursuit[13].Les administrateurs sont réputés avoir connaissance de l’infraction et pourraient donc engager leur responsabilité personnelle à ce titre[14].Cependant, avant d’imposer une pénalité, l’OQLF a l’obligation positive d’informer l’« auteur [du manquement] » de son infraction à la Charte ou à ses règlements et de lui donner l’occasion de se conformer[15].
[1] SQ 2022, c 14.
[2] RLRQ c C-11.
[3] 44 de la loi 96.
[4] 1379 du Code civil du Québec; Mancilla c. Franchises Coq & Rico inc., 2018 QCCS 1014, au par. 97.
[5] Distribution Stéréo Plus inc. c. Télévision J.M. Beaudoin inc., 2007 QCCS 5105.
[6] 156 de la loi 96.
[7] 204.21 et 205 de la Charte (version modifiée par la loi 96).
[8] 29 de la loi 96.
[9] 88 de la loi 96.
[10] 204.16 de la Charte.
[11] 165.15 et suivants de la Charte.
[12] 205 et 207 de la Charte.
[13] 208.0.1 de la Charte.
[14] 208.4.2 de la Charte.
[15] 177 de la Charte.
par Enda Wong et Émile Catimel-Marchand
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023
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