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Réforme importante du régime d’expropriation proposée au Québec : quoi retenir

13 juin 2023 Bulletin sur l'immobilier commercial Lecture de 3 min

Le 25 mai dernier, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a déposé le projet de loi n° 22 Loi concernant l’expropriation (le « Projet de loi 22 »), qui vise à remplacer la Loi sur l’expropriation[1]. Par cette refonte significative, le Gouvernement du Québec souhaite donner un caractère plus précis et prévisible au processus d’expropriation ainsi qu’aux coûts et aux délais y étant associés[2]. Le Projet de loi 22 concrétise un engagement qu’avait pris le premier ministre François Legault envers les municipalités du Québec en mai 2022[3] et qu’il a réitéré au cours de la campagne électorale de l’automne 2022. Datant de 1973, la Loi sur l’expropriation régit toutes les expropriations permises par les lois du Québec.

S’il est adopté, le Projet de loi 22 aura un impact considérable, notamment sur l’indemnité accordée aux propriétaires. Le montant de celle-ci sera désormais fixé sur la base de la « valeur marchande » du bien exproprié et non plus de la « valeur au propriétaire » comme c’est le cas présentement. Alors que cette dernière tient compte des revenus potentiels qu’un propriétaire pourrait tirer de son terrain, la valeur marchande qui sera désormais utilisée pour le calcul de l’indemnité reposera sur la valeur monétaire actuelle de la propriété sur le marché[4]. Le Projet de loi 22 vient donc encadrer la spéculation sur le potentiel d’un terrain. L’indemnité sera calculée sur l’usage le meilleur et le plus profitable permis au moment de l’expropriation et probable dans les trois ans suivant l’expropriation.

Selon un exemple de club de golf rapporté dans les médias, le Projet de loi 22 ferait passer l’indemnité pour ce terrain de 13,4 millions de dollars à 7,7 millions de dollars[5].

Toutefois, le préjudice causé par l’expropriation, par exemple la perte ou la diminution du chiffre d’affaires d’une entreprise, demeurera indemnisé comme il l’est en vertu du régime actuel. En d’autres mots, le fait que le Projet de loi 22 propose de remplacer l’indemnité visant la perte du droit de propriété d’un immeuble par une indemnité fixée sur la base de la valeur marchande n’impacte pas la totalité de l’indemnité pouvant être perçue en contexte d’expropriation. Ainsi, pour de nombreux propriétaires et commerçants, le Projet de loi 22 ne réduira pas drastiquement les indemnités perçues.

Sur le plan de la procédure, le Projet de loi 22 vient mettre des balises claires à l’exercice par les justiciables de leurs droits. Possiblement en réaction à certains recours judiciaires qui ont ralenti l’exécution de projets gouvernementaux, le Projet de loi 22 précise que la contestation du droit de l’expropriant à l’expropriation doit être entamée en Cour supérieure dans les trente jours qui suivent la date de l’expropriation, que la demande en contestation n’opère pas sursis de la procédure d’expropriation et que l’appel du jugement n’a lieu que sur permission.

En matière d’expropriation déguisée, le Projet de loi 22 vise également à renverser la règle jurisprudentielle confirmée par la Cour d’appel en 2021[6]. Sous le régime actuel, le recours en indemnité se prescrit dans les trois ans du moment où le requérant acquiert la connaissance ou la compréhension d’une situation d’expropriation déguisée. En vertu du Projet de loi 22, la prescription commence à courir dès l’accomplissement de l’acte municipal attaqué.

Le Projet de loi 22, qui devrait entrer en vigueur six mois suivant sa sanction, prévoit des dispositions transitoires. Ainsi, toute expropriation décidée ou autorisée par le gouvernement avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ne requerra pas de nouvelle décision ou d’autorisation en vertu de la nouvelle loi. De plus, toute instance d’expropriation à l’égard de laquelle un avis d’expropriation aura été signifié au propriétaire de l’immeuble ou au titulaire du droit réel immobilier à exproprier avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi demeurera régie par la loi actuelle. Enfin, le gouvernement pourra, par règlement, édicter des mesures transitoires additionnelles.

Le Projet de loi 22 a entamé son processus d’adoption législatif. Bien qu’il pourrait subir certaines modifications, son adoption est presque garantie. Propriétaires et praticiens devront donc composer rapidement avec ce nouveau corpus législatif dont l’impact sera assurément important.

[1] RLRQ c E-24
[2] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Cabinet de la vice-première ministre et ministre des Transports et de la Mobilité Durable, Projet de loi concernant l’expropriation – Promesse tenue : le gouvernement dépose une réforme en matière d’expropriation, 25 mai 2023, en ligne
[3] Id.
[4] IEDM,  Projet de loi 22 sur les expropriations: un recul du droit de propriété selon l’IEDM, 25 mai 2023, en ligne
[5] Tommy CHOUINARD, « Québec change les règles du jeu », La Presse, 23 mai 2023, en ligne
[6] Ville de Lorraine c. 9398-2585 Québec inc., 2021 QCCA 167
[7] Les auteurs remercient Lila Perrier, étudiante en droit, pour sa contribution à ce bulletin.

par Andrei Pascu et Martin Thiboutot [7]

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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