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Renvoi à la Cour suprême relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact : un pas dans la bonne direction pour le secteur minier

9 janvier 2024 Bulletin secteur minier Lecture de 7 min

Le 13 octobre 2023, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a publié sa décision fort attendue sur la constitutionnalité de la Loi sur l’évaluation d’impact (la « LEI ») et de son règlement d’application, le Règlement sur les activités concrètes (le « Règlement »). La LEI a remplacé en 2019 la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). C’est désormais elle qui définit le processus selon lequel Ottawa évalue les impacts que des projets majeurs – comme ceux des secteurs des ressources naturelles et des mines – sont appelés à avoir sur l’environnement et les peuples autochtones. Ces projets font l’objet d’évaluations et d’examens gouvernementaux prescrits par la LEI et plusieurs autres lois, souvent provinciales et fédérales, qui ont d’importantes conséquences sur leur réalisation.

La CSC a jugé que certaines dispositions fondamentales de la LEI et du Règlement étaient inconstitutionnelles parce qu’elles dépassaient les limites du pouvoir de légiférer du Parlement. La Cour n’a cependant relevé aucun défaut dans le processus d’évaluation d’impact lui-même ni dans son application aux projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l’étranger.

Plus précisément, la LEI confère au ministre de l’Environnement et du Changement climatique le pouvoir de désigner certaines activités comme des « projets désignés » en vertu de la LEI si elles peuvent avoir des impacts négatifs en matière environnementale, sanitaire, sociale et économique dans des domaines de compétence fédérale[1]. Le principal problème soulevé par la Cour est que la LEI cherche à conférer compétence exclusive au gouvernement fédéral sur des projets dans leur entièreté et que, ce faisant, elle empiète sur des domaines relevant de la compétence des provinces plutôt que de limiter l’évaluation fédérale aux domaines de compétence fédérale[2]. Pour consulter une analyse plus en profondeur de la décision, voir notre bulletin intitulé Supreme Court of Canada Rules Impact Assessment Act Unconstitutional: Implications and Future Directions (en anglais).

Les réactions des provinces et la suite des choses

Comme on pouvait s’y attendre, plusieurs provinces ont vu dans la décision une victoire importante pour elles dans le bras de fer perpétuel qui les oppose à Ottawa quand il est question de réglementation encadrant le secteur des ressources naturelles et l’environnement.

Le ministère du Procureur général de l’Ontario a annoncé presque immédiatement que la province entendait contester en cour l’actuelle LEI[3], au motif qu’il est injuste qu’une loi inconstitutionnelle entrave des projets d’infrastructures fort nécessaires dans une province en plein essor[4]. L’Ontario a déposé des requêtes en révision judiciaire relativement à deux projets qui font actuellement l’objet d’une évaluation d’impact fédérale : l’un concerne la construction de l’autoroute 413 et l’autre, la construction d’un stationnement souterrain à Ontario Place[5]. Cette démarche semble prématurée et malavisée dans la mesure où les modifications que le gouvernement fédéral s’est engagé à apporter à la LEI risquent de conduire le tribunal à reporter l’audition des requêtes de l’Ontario. Il se pourrait aussi que les modifications soient déjà en vigueur quand les requêtes seront entendues[6].

Cela dit, l’Ontario avance un argument très valable lorsqu’il dit que la décision de la CSC valide son opinion de longue date selon laquelle le processus d’évaluation d’impact fédéral fait double emploi avec les normes d’évaluation environnementales déjà rigoureuses et mondialement reconnues de la province[7]. La décision de la CSC fait naître l’espoir que toute révision de la LEI améliore forcément l’harmonisation entre les processus fédéral et provinciaux, ce qu’accueillerait favorablement l’industrie.

Sans surprise, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, figure dominante de l’opposition provinciale aux politiques fédérales, voit la décision de la CSC comme une grande victoire pour la préservation des droits des provinces[8] et a profité de l’occasion pour encourager les entreprises à reprendre la construction de centrales au gaz naturel[9]. Elle est même allée plus loin, déclarant que la décision enlevait à Ottawa son pouvoir d’imposer la carboneutralité au secteur de l’électricité, et prédisant que le règlement fédéral à venir visant à plafonner les émissions du secteur des hydrocarbures serait lui aussi invalidé[10].

En Saskatchewan, le premier ministre, Scott Moe, et la ministre de la Justice et procureure générale, Bronwyn Eyre, ont tous deux appuyé la décision de la CSC, qui souligne selon eux l’importance des droits et de la compétence des provinces en matière de ressources naturelles, d’environnement et de production d’électricité[11]. Ils ont aussi dit espérer que la décision mène le gouvernement fédéral à reconsidérer son intervention dans les domaines de la production d’électricité et de la production pétrolière et gazière, avançant qu’il avait outrepassé les limites de ses compétences en ces domaines[12].

Conséquences pour le secteur minier

Comme l’examen de la LEI par la CSC découle d’un renvoi adressé à la Cour d’appel de l’Alberta, la décision n’invalide pas immédiatement la législation. Le Parlement se voit accorder la possibilité de modifier les parties de la LEI que la Cour a jugées inconstitutionnelles, et Ottawa a immédiatement annoncé qu’il comptait apporter les modifications nécessaires pour respecter l’avis de la Cour. Pour les promoteurs dont un projet est déjà en évaluation au fédéral, la première chose à retenir est que le processus se poursuit.

Dans la foulée de la décision, Ottawa a en effet publié le 26 octobre 2023 une déclaration indiquant que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’« Agence ») poursuivra les évaluations d’impact en cours en mettant l’accent sur la prévention des effets environnementaux négatifs dans les secteurs de compétence fédérale, le temps que soient apportées les modifications législatives nécessaires pour respecter l’avis de la Cour[13].

Une vingtaine de projets miniers font actuellement l’objet d’une évaluation d’impact fédérale, et d’autres sont à l’étape préparatoire[14]. Pour les projets déjà désignés dont l’évaluation est en cours, le gouvernement a demandé à l’Agence de se prononcer à savoir si leurs impacts relèvent clairement de la compétence fédérale, en appliquant l’analyse de la CSC, et d’indiquer aux promoteurs si elle était d’avis qu’une évaluation d’impact était requise ou non.

Deuxième chose à retenir : tant que la législation modifiée ne sera pas en vigueur, Ottawa ne prendra aucune décision de désigner des projets en vertu de la LEI. Entre-temps, les promoteurs de projets relevant surtout de la compétence provinciale (comme des projets miniers pour lesquels une évaluation d’impact fédérale est en cours) pourraient en profiter pour contester le processus fédéral et tenter de le faire cesser en faisant valoir qu’il est suspect du point de vue juridique et que le processus provincial est suffisant (et légal). Le promoteur d’un projet déjà désigné pourrait également chercher à limiter la portée de l’évaluation fédérale, compte tenu de la nouvelle norme légale que fixe la CSC. Une telle démarche sera particulièrement valable si l’Agence n’adhère pas à cette norme ou si elle le fait d’une manière que le promoteur juge inadéquate.

Puisque Ottawa s’engage à rendre la LEI conforme aux directives de la Cour, il va de soi qu’il ne compte pas la revoir en profondeur[15]. Il cherchera plutôt à modifier de manière ciblée les éléments de la loi qui ne répondent pas aux critères constitutionnels. C’est autour des effets négatifs liés aux compétences fédérales (p. ex., les espèces en péril, les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, les émissions et les changements climatiques, les droits des peuples autochtones) que le texte de la LEI doit être resserré, pour les cas où un projet relève principalement de la compétence provinciale[16]. Cela dit, la CSC a été tout aussi catégorique sur un autre point : le fait qu’un projet soit réglementé principalement par une province (comme le sont tous les projets de ressources naturelles non renouvelables, dont ceux touchant le pétrole et le gaz, les sables bitumineux, l’exploitation minière en roche dure et le charbon, ce que la CSC a une fois de plus confirmé) ne signifie pas que la province en question ait le pouvoir exclusif de légiférer en la matière. Autrement dit, et c’est la troisième et dernière chose à retenir, aucune activité ne relève exclusivement de la compétence d’une province lorsqu’il est question de protection de l’environnement.

Fait important pour les promoteurs des secteurs des mines, de l’énergie et des infrastructures, cet exercice offre à Ottawa l’occasion parfaite de modifier le processus d’évaluation d’impact de manière à enrayer l’une des principales pierres d’achoppement en la matière, à savoir l’existence de cadres d’évaluation des impacts redondants et incompatibles. Si la LEI modifiée réussissait à mieux harmoniser les obligations fédérales et provinciales dans ce domaine important, dans l’esprit même du fédéralisme coopératif, elle servirait plus efficacement les intérêts de tous les Canadiens[17].

Ce qu’on ne saura pas avant plusieurs années, c’est si la décision de la CSC sur la LEI nuira en définitive aux efforts d’Ottawa pour mieux réglementer les émissions de gaz à effet de serre, par exemple en les plafonnant dans divers secteurs, dans le cadre de l’engagement du Canada à lutter contre les changements climatiques.

À quoi la LEI révisée pourrait-elle ressembler? Selon nous, deux avenues s’offrent au gouvernement fédéral. La première serait d’inscrire explicitement dans la loi que des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » sont des effets qui sont clairement et exclusivement liés à des domaines de compétence fédérale. La deuxième, moins attrayante, serait de revenir au mécanisme législatif qui a précédé la LEI et d’adopter une approche fondée sur des éléments déclencheurs, où l’évaluation repose sur un processus décisionnel fédéral. Comme l’approche des éléments déclencheurs que prévoyait, par exemple, l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale était problématique à divers égards tant en théorie qu’en pratique, on peut espérer qu’Ottawa choisira ce qui semble être la voie la plus simple et la plus efficace pour rendre la LEI constitutionnelle, tout en se rapprochant de ses objectifs de simplifier le processus d’évaluation d’impact et de réduire les formalités administratives et l’incertitude qui entourent les projets, en général et dans le sillage de la décision de la CSC.

[1] Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, par. 204.
[2] Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, par. 154.
[3] Wendy Cox et Mark Iype, Western Canada: Ontario seeks to finish the job Alberta started by taking the federal impact assessment act to court, The Globe and Mail, 25 octobre 2023, par. 1 et 7.
[4] Id., par. 8.
[5] Id, par. 12.
[6] Id., par. 18.
[7] John Woodside, Premiers declare victory over Supreme Court impact assessment ruling everyone else says, not so fast, Canada’s National Observer, 13 octobre 2023, par. 5.
[8] Id., par. 3.
[9] Don Braid, Smith is ecstatic as a horrible federal law finally get the trashing it deserves, Calgary Herald, 13 octobre 2023, par. 6.
[10] Id., par. 6-7.
[11] J. Woodside, préc., note 7, par. 7; gouvernement de la Saskatchewan, Supreme Court Strikes Down Federal Impact Assessment Act Reference Case, 13 octobre 2023, par. 3.
[12] Gouvernement de la Saskatchewan, préc. note 11, par. 3.
[13] Gouvernement du Canada, Déclaration sur les dispositions provisoires relatives à l’administration de la Loi sur l’évaluation d’impact en attendant des modifications législatives, 10 octobre 2023.
[14] L’Association minière du Canada, MAC statement on the Supreme Court of Canada’s opinion on the constitutionality of the Impact Assessment Act (en anglais seulement), 13 octobre 2023.
[15] Woodside, préc., note 7, par. 19-20.
[16] Woodside, préc., note 7, par. 21-22.
[17] Gouvernement du Canada, Déclaration des ministres Guilbeault et Virani sur l’avis de la Cour suprême du Canada concernant la constitutionnalité de la Loi sur l’évaluation d’impact, 13 octobre 2023, par. 1 et 5.

par Ralph Cuervo-Lorens, Sasa Jarvis, Cory Kent et Olivia Marty (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2024

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