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Restructuration corporative et droit de la propriété intellectuelle : la Cour supérieure du Québec annule un avis de résiliation et livre une première interprétation des droits d’usage sous la LACC

19 juin 2024 Bulletin Litige et règlement de différends Lecture de 5 min

À l’occasion de l’affaire Endoceutics[1], la Cour supérieure a récemment clarifié l’application de l’article 32 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[2] LACC ») afin de reconnaître que le droit de résiliation de contrat du débiteur est loin d’être absolu. La résiliation de contrat doit être réellement bénéfique à la restructuration. En matière de droit de propriété intellectuelle, il faut de plus tenir compte du fait que le droit d’usage survit à toute résiliation, ce qui peut affecter le bénéfice qu’espère tirer le débiteur de la résiliation.

La Cour en profite pour rendre la toute première décision concernant la protection statutaire que constitue l’article 32(6) de la LACC relativement au droit d’usage de la propriété intellectuelle. Cet article permettrait au tribunal d’examiner le respect des obligations contractuelles par le cocontractant avant de confirmer son maintien du droit d’usage suivant une résiliation. Cette interprétation diverge de celle en vigueur aux États-Unis pour l’application de la protection similaire offerte par l’article 365(n) du Bankruptcy Code et pour laquelle seul le respect du paiement des royautés semble être exigé.

Contexte

Endoceutics Inc. (« Endoceutics ») est une entreprise québécoise qui détenait les droits de licence d’un produit pharmaceutique distribué mondialement via des distributeurs locaux.

En 2022, compte tenu notamment de son faible taux de rentabilité et de son niveau d’endettement élevé, Endoceutics a enclenché un processus de restructuration suivant lequel l’usine de production fut cédée à une compagnie tierce détenue par d’anciens employés, tandis que la propriété intellectuelle fut transférée à Cosette Pharmaceutical Inc. (« Cosette »). Suivant les termes du contrat conclu avec Cosette, cette dernière s’engageait à verser une somme additionnelle de 10 millions de dollars dans l’éventualité où la débitrice Endoceutics résilierait son entente de distribution avec le distributeur américain et réussirait à empêcher l’application du droit d’usage statutaire reconnu à ce dernier en vertu de l’article 32(6) de la LACC. La débitrice a donc transmis un avis de résiliation suivant l’article 32 de la LACC accompagné d’un avis de défaut contractuel invoquant des manquements quant à la commercialisation du produit qui justifieraient de mettre de côté la protection des droits de propriété intellectuelle.

Résiliation relevant du pouvoir discrétionnaire du tribunal

Il est bien connu que l’article 32(2) de la LACC permet aux entreprises de transmettre un avis de résiliation contractuelle visant à faciliter leur restructuration. Les décisions rendues sous cet article reconnaissent une large discrétion au débiteur et au contrôleur en la matière, si bien que celles-ci accordent habituellement la résiliation.

Dans un récent jugement s’inscrivant dans le cadre de l’affaire Endoceutics, la Cour supérieure vient cependant confirmer que le droit de résiliation n’est pas absolu et que, face à une opposition, il en revient au tribunal d’exercer sa discrétion judiciaire afin d’évaluer si cette résiliation doit être accordée, tel que le prévoit le paragraphe 4 de l’article 32 :

32(4) Pour décider s’il rend l’ordonnance, le tribunal prend en considération, entre autres, les facteurs suivants :

a) l’acquiescement du Contrôleur au projet de résiliation, le cas échéant ;

b) la question de savoir si la résiliation favorisera la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement viable à l’égard de la compagnie ;

c) le risque que la résiliation puisse vraisemblablement causer de sérieuses difficultés financières à une partie au contrat.

La Cour souligne que les critères de l’article 32(4) LACC ne sont pas exhaustifs. Elle écrit :

[95] En cette matière, le Tribunal exerce une discrétion judiciaire. Il doit procéder à son analyse en fonction des trois critères exprimés et d’autres éléments qu’il estime pertinents et appropriés.

[96] Il doit s’agir d’une évaluation globale, qui s’avère équitable et raisonnable et qui tient compte de l’ensemble des parties prenantes sans se limiter aux seuls intérêts des débitrices et de ceux du cocontractant qui s’oppose.

Dans l’affaire en cause, la Cour conclut que l’entreprise Endoceutics n’a pas réussi à convaincre le tribunal que la « restructuration réussira mieux avec (plutôt que sans) la résiliation »[3]. Pour parvenir à cette décision, le juge saisi de l’affaire a notamment pris en compte l’opinion du Contrôleur concernant le projet de résiliation, qui est certes valorisée mais ne lie pas automatiquement le tribunal[4]. De plus, considérant que l’usine et les emplois avaient été sauvés grâce à une transaction ayant eu lieu antérieurement à l’envoi de l’avis de résiliation, la preuve ne démontrait pas qu’un effet bénéfique aux efforts de la restructuration découlerait de la résiliation[5]. En tenant compte des divers facteurs pertinents en l’espèce, notamment le fait que les droits du distributeur seraient conservés en vertu de l’article 32(6) de la LACC en dépit la résiliation des contrats[6], la Cour a ainsi annulé l’avis de résiliation émis.

Usage statutaire d’un droit de propriété intellectuelle

L’article 32(6) de la LACC offre une protection législative aux détenteurs de droits de propriété intellectuelle en maintenant leur droit d’utilisation de ladite propriété intellectuelle, et ce malgré la résiliation, intervenue dans le cadre d’une restructuration, de l’entente qui leur a attribué un tel droit. L’article précise en effet que « la résiliation n’empêche pas la personne de l’utiliser ni d’en faire respecter l’utilisation exclusive, à condition qu’elle respecte ses obligations contractuelles à l’égard de l’utilisation de ce droit ».

Les tribunaux canadiens n’avaient encore jamais eu l’occasion d’interpréter ces termes. Dans la décision Arrangement relatif à Endoceutics inc., la Cour supérieure affirme que l’application de l’article 32(6) de la LACC ne peut se limiter au seul respect des obligations financières. La Cour estime en effet que les « obligations contractuelles » visées par l’article vont au-delà du simple paiement des royautés convenues. Ainsi, la Cour offre une interprétation divergeant de celle en vigueur aux États-Unis pour l’application de la protection similaire offerte par l’article 365(n) du Bankruptcy Code, lequel ne semble requérir que le respect du paiement des royautés. Ce faisant, la Cour supérieure du Québec ouvre la voie à ce que les tribunaux examinent le respect des obligations contractuelles par le cocontractant avant de confirmer le maintien de son droit d’usage suivant une résiliation.

Dans le contexte spécifique de l’affaire en cause, les obligations contractuelles, telles que définies par l’article 32(6) de la LACC, comprennent également l’obligation de fournir les « efforts commerciaux raisonnables » de développement auxquels le distributeur américain a souscrit[7]. Analysant la preuve, la Cour reconnait que ce distributeur avait dans les faits respecté ses obligations contractuelles de commercialisation et de distribution. Ainsi, même si la résiliation de l’entente de distribution requise par la débitrice avait été accordée, celle-ci n’aurait pas affecté le droit du distributeur américain d’utiliser le droit de propriété intellectuelle qui lui avait été préalablement conféré, ni même le droit d’en faire respecter l’utilisation exclusive.

À retenir

  •  Le droit de résiliation en matière de restructuration n’est pas absolu et le tribunal conserve une large discrétion;
  • Les intérêts de l’ensemble des parties prenantes, et non uniquement ceux de la débitrice et du cocontractant visé, doivent être pris en compte;
  • L’interprétation nouvelle du tribunal de ce que constituent les « obligations contractuelles à l’égard de l’utilisation de ce droit [de propriété intellectuelle] », telles que définies par l’article 32(6) de la LACC, ne se limite pas à l’obligation de payer les royautés convenues, mais pourrait englober le respect d’autres obligations contractuelles; et
  • L’application de ce principe demeure toutefois contextuelle et ne vaut pas à titre de règle générale pour toutes les situations impliquant l’usage d’une licence technologique[8].

[1] Arrangement relatif à Endoceutics inc., 2024 QCCS 1482.
[2] Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36.
[3] Arrangement relatif à Endoceutics inc., préc., note 1, par. 129.
[4] Id., par. 99-100.
[5] Id., par. 113.
[6] Id., par. 130.
[7] Id., par. 153.
[8] Id., par. 145.

par Joséane Chrétien, Sidney Elbaz et Eva Langrais

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis. Il est préférable d’obtenir un avis juridique spécifique.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s. r. l. 2024

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