Taxe sur le luxe applicable aux aéronefs : ce que doivent savoir les vendeurs et les courtiers non canadiens
Taxe sur le luxe applicable aux aéronefs : ce que doivent savoir les vendeurs et les courtiers non canadiens
J’assistais récemment au congrès de la National Business Aviation Association, où j’ai eu l’occasion de renouer avec mes contacts non canadiens du milieu de l’aviation d’affaires. Plusieurs m’ont fait le commentaire suivant : « Je ne comprends toujours pas parfaitement la taxe sur le luxe, mais elle gruge déjà une bonne part de mon chiffre d’affaires. »
La Loi sur la taxe sur certains biens de luxe fédérale (communément appelée la « taxe sur le luxe ») est entrée en vigueur le 1er septembre 2022, sous réserve de certaines exonérations transitoires applicables aux accords conclus avant 2022. Globalement, cette loi impose, sur certains aéronefs de passagers et véhicules automobiles dont la valeur est supérieure à 100 000 $ et sur certains navires dont la valeur est supérieure à 250 000 $, une taxe équivalant à au plus 10 % de la valeur du véhicule au moment de sa vente, de sa location ou de son importation, sous réserve de certaines exceptions. La taxe n’est perçue qu’une seule fois (lors de la vente, de la location ou de l’importation) sur les moyens de transport de luxe assujettis à la Loi.
Abstraction faite de la terminologie employée, la taxe sur le luxe n’est pas une taxe imposée aux consommateurs fortunés. Elle s’applique plutôt aux entreprises qui vendent ou qui louent des aéronefs au Canada et à celles qui en importent au Canada (sous réserve d’exclusions, d’exemptions et d’ajustements ou remboursements). Il est donc important que les détaillants et les bailleurs inscrits prévoient dans leurs contrats des recours contre les acheteurs et les locataires garantissant qu’ils pourront récupérer la taxe ou recevoir une indemnité équivalente.
Même si plus d’un an s’est écoulé depuis son adoption, la taxe sur le luxe reste mal comprise, même au sein des organismes chargés de son application (nommément l’Agence du revenu du Canada (ARC) et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC)). Cette situation est en grande partie due à l’absence de directives claires et opportunes sur la manière dont la taxe doit être appliquée ainsi qu’aux lacunes ou omissions que comportent les lois et les règlements applicables. Le ministère des Finances a cherché à corriger des lacunes précises par la publication d’un projet de règlement le 4 août 2023 (près d’un an après la mise en œuvre).
Nous présentons ci-dessous les implications de la taxe sur le luxe dans le cadre d’opérations courantes qui font souvent intervenir des parties non canadiennes :
(1) Ventes et importations d’aéronefs neufs
La taxe sur le luxe ne s’applique pas aux aéronefs achetés aux termes d’un accord conclu avant le 1er janvier 2022. Il est conseillé de conserver des pièces justificatives crédibles attestant de la date de l’accord, comme la preuve du paiement d’un dépôt avant le 1er janvier 2022.
(2) Ventes et importations d’aéronefs usagés
La taxe sur le luxe ne s’applique pas à la vente ni à l’importation d’aéronefs usagés si les conditions suivantes sont remplies :
- l’aéronef a été immatriculé auprès d’un gouvernement (au Canada ou ailleurs) avant le 1er septembre 2022;
- un « utilisateur » avait l’aéronef en sa possession avant le 1er septembre 2022 autrement que pour une fin accessoire à sa vente ou à sa fabrication (c’est-à-dire que les aéronefs d’essai ne sont pas admissibles).
(3) Importations au Canada d’aéronefs qui remplissent les critères d’exemption de la taxe sur le luxe
La taxe sur le luxe ne s’applique généralement pas à la vente ni à l’importation d’un « aéronef assujetti admissible », ce qui comprend certains appareils qui, au moment de la vente et dans l’année qui suit, doivent être utilisés au moins 90 % du temps pour des « vols admissibles ». En termes généraux, les « vols admissibles » doivent être effectués dans le cadre des activités d’une entreprise exploitée avec une attente raisonnable de profit. La définition de « vol admissible » exclut toutefois le transport du propriétaire ou d’une personne liée au propriétaire pour des « activités de loisir » ou « toute autre utilisation personnelle », même dans le cas de services d’affrètement entièrement payés par des personnes sans lien de dépendance avec le propriétaire. De plus, il est à noter que les exemptions sont provisoires, c’est-à-dire que si l’aéronef cesse à tout moment de constituer un « aéronef assujetti admissible », la taxe sur le luxe deviendra payable.
En temps normal, à l’importation d’un aéronef au Canada, l’ASFC percevrait la taxe sur le luxe applicable. Cependant, pour un aéronef répondant à la définition d’« aéronef assujetti admissible », la taxe ne s’applique pas si l’importateur présente à l’ASFC un certificat d’importation spécial au moment de l’importation. À noter à propos de ce processus :
- Pour obtenir un certificat d’importation spécial, l’importateur doit produire le formulaire L502 auprès de l’ARC.
- L’ARC n’a encore donné aucune indication sur le temps que pourrait durer le processus d’examen des demandes de certificat. Selon mon expérience, ce processus pourrait prendre au moins six à huit semaines, ce qui devra être pris en compte dans la planification de tout vol de convoyage.
- Pour ajouter aux délais possibles, l’ARC transmet le certificat par la poste ordinaire, et l’ASFC n’accepte que le certificat original (pas d’envois par courriel ni par télécopieur).
- On peut s’attendre à ce que l’ARC communique avec le demandeur pour discuter plus en détail avec lui des motifs de sa demande d’exemption, ce qui pourra également allonger le temps de traitement. L’importateur aura tout intérêt à retenir les services d’un professionnel bien au fait du processus d’exemption et des critères sous-jacents à remplir, sans quoi il s’expose à un refus.
(4) Ventes d’aéronefs au Canada faisant intervenir des acheteurs et des vendeurs non canadiens
Il n’est pas rare qu’un vendeur non canadien dont un aéronef est présent temporairement au Canada, pour fins d’entretien ou autres, propose à un acheteur non canadien de conclure une vente au Canada par commodité. Paradoxalement, une telle transaction pourrait techniquement être assujettie à la taxe de luxe.
Plus précisément, la loi, dans sa forme actuelle, pourrait s’appliquer à la vente d’un aéronef à un acheteur non-résident du Canada par un vendeur non-résident et non inscrit aux fins de la taxe sur le luxe du simple fait que la livraison a lieu au Canada, que l’aéronef soit ou non rapidement exporté pour être utilisé à l’extérieur du Canada[1]. Cependant, le législateur ne semble pas avoir l’intention d’assujettir les opérations entre non-résidents à la taxe sur le luxe dans de telles circonstances, et nous croyons comprendre que le ministère des Finances a déjà envoyé des lettres d’intention à ce sujet.
Même si telle était l’intention, il se pourrait que les autorités fiscales canadiennes ne disposent d’aucun levier pour faire appliquer la Loi à un non-résident. Plus précisément, que le non-résident réside ou non dans un territoire ayant conclu un accord de perception fiscale avec le Canada, les clauses de perception fiscale des conventions bilatérales s’appliquent généralement à l’impôt sur le revenu et le capital, dont la portée ne devrait pas comprendre la perception de la taxe sur le luxe.
(5) Exportations
L’un des changements utiles qu’a apportés le projet de règlement (annoncé précédemment) concerne les circonstances prescrites pour l’exonération pure et simple de l’achat, auprès d’un vendeur inscrit, d’un aéronef assujetti exporté du Canada, à savoir la présentation par l’acheteur d’un certificat d’exemption dans la forme prescrite. Ce certificat indiquerait le numéro d’identification de l’aéronef assujetti.
Le certificat comprendrait une attestation que certaines conditions relatives à l’exportation sont satisfaites. Les conditions d’exportation correspondent heureusement à celles concernant l’obtention d’une exonération de la TPS/TVH au point de vente pour la fourniture détaxée d’un aéronef exporté du Canada. De plus, l’acheteur doit déclarer que l’aéronef ne sera pas immatriculé auprès du gouvernement du Canada ou d’une province avant son exportation, sauf s’il n’a été immatriculé qu’à une fin accessoire à sa fabrication, à sa mise en vente, à son transport ou à son exportation. Il doit aussi déclarer qu’il assume l’obligation de payer, à l’égard de l’aéronef, tout montant de taxe qui est ou qui peut devenir payable par lui en vertu de la Loi. Le vendeur doit conserver le certificat aux fins d’audit, afin de pouvoir justifier l’exemption.
(6) Location
Dans le cas d’un aéronef, la taxe sur le luxe devient généralement payable par un locateur au moment où il octroie à une autre personne le droit d’utiliser l’aéronef aux termes d’un bail (sauf si l’opération est autrement exonérée). Cette imposition immédiate de la taxe pose des problèmes de trésorerie aux locateurs, du point de vue temporel (le locateur souhaitera-t-il recouvrer le coût de la taxe immédiatement ou au fil des paiements du locateur, auquel cas il se trouvera à financer le coût jusqu’à ce qu’il ait été entièrement recouvré?) et du point de vue du montant recouvré (comme la taxe sur le luxe payable est fondée sur la valeur totale de l’aéronef, plutôt que sur la valeur de la convention de bail).
Nous n’avons donné que quelques exemples d’opérations faisant intervenir des non-Canadiens où la taxe sur le luxe pourrait s’appliquer. À mesure que le temps passe, on constate que cette taxe pourrait s’appliquer à un éventail d’opérations plus large qu’on l’avait d’abord cru, y compris dans des cas où il n’avait vraisemblablement pas été prévu qu’elle s’applique. Dans certains cas, les autorités canadiennes se sont montrées disposées à envoyer des lettres d’intention, mais il faut alors compter un certain temps, ce qui n’est pas toujours possible vu la vitesse à laquelle se concluent la plupart des opérations touchant des aéronefs.
Indépendamment de cet aspect, la marche à suivre la plus prudente serait de procéder à la planification et aux analyses nécessaires dès que c’est raisonnablement possible, dans l’optique de gérer et de limiter l’application potentielle de la taxe sur le luxe afin qu’elle n’entrave pas les transactions commerciales.
[1] En vertu des paragraphes 7(1) et 18(1) de la Loi sur la taxe sur certains biens de luxe, la vente d’un aéronef est généralement assujettie à la taxe sur le luxe (sauf exemption) si à la fois i) le vendeur transfère par vente la propriété de l’aéronef à l’acheteur aux termes d’une convention et ii) l’aéronef est livré au Canada, ou y est mis à la disposition d’une personne, en lien avec la convention.
par Steven Sitcoff
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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