Un an plus tard : les sanctions économiques, désormais l’un des principaux outils de la politique étrangère canadienne; de nouvelles sanctions imposées contre des personnes russes
Un an plus tard : les sanctions économiques, désormais l’un des principaux outils de la politique étrangère canadienne; de nouvelles sanctions imposées contre des personnes russes
Le Canada condamne toujours aussi fermement l’invasion de l’Ukraine par la Russie et participe activement aux efforts de soutien à l’Ukraine, notamment avec l’annonce le 24 février 2023 d’une nouvelle série de sanctions importantes visant des biens, des entités et des personnes russes. Dans ce bulletin, nous abordons ces questions d’actualité, ainsi que les nouvelles sanctions imposées par le Canada contre Haïti, l’Iran, le Myanmar et le Sri Lanka.
Les nouvelles sanctions donnent le ton depuis l’avancée des troupes russes en Ukraine
Lors de la plus récente série de sanctions, le Canada a sévi contre 129 nouvelles personnes et 63 nouvelles entités russes[1], dont de hauts dirigeants de sociétés de défense russes et de hauts fonctionnaires du gouvernement russe. Les entités visées comprennent des sociétés de défense, des sociétés de TI et des sociétés de l’industrie pétrolière et gazière, dont Rosneftgaz, l’une des plus grandes sociétés russes. D’autres entités ont été désignées parce qu’elles soutiennent la guerre menée par la Russie; c’est le cas par exemple de Russie unie, un parti politique russe conservateur, de la Douma d’État et du Conseil de la Fédération de Russie.
Le Canada a interdit l’importation, l’achat ou l’acquisition de tout type d’armes, de munitions, de véhicules ou de matériel militaires, ou de pièces de rechange de l’une ou l’autre de ces marchandises de la Russie ou de toute personne en Russie. En pratique, le Canada n’importe presque aucune de ces marchandises de la Russie, alors ces mesures ont surtout une valeur symbolique.
Le Canada a également ajouté les « éléments chimiques dopés en vue de leur utilisation en électronique, sous forme de disques, plaquettes ou formes analogues; composés chimiques dopés en vue de leur utilisation en électronique » à la liste des biens interdits à l’exportation vers la Russie parce qu’ils peuvent éventuellement servir à la fabrication d’armes. Là encore, la valeur de l’interdiction peut être avant tout symbolique puisque le Canada a cessé d’exporter ces marchandises en Russie en 2019. L’utilisation d’éléments dopés en électronique permet de créer des matériaux dotés d’une conductivité électrique contrôlée, qui sont devenus essentiels à la mise au point de composants électroniques modernes comme les semiconducteurs.
Des entreprises canadiennes visées par des restrictions commerciales des É.-U.
Le jour même où le Canada annonçait sa nouvelle série de sanctions, le département du Commerce des États-Unis ajoutait deux entreprises canadiennes à la liste des entités assujetties à l’Export Administration Regulations (« EAR »)[2]. Les deux entreprises en question,
CPUNTO Inc. et Electronic Network Inc., toutes deux situées à Saint-Laurent (Québec), sont des distributeurs de composants électroniques. Aux dires du département du Commerce, ces entreprises [traduction] « contribuent de façon importante au potentiel industriel militaire et/ou de défense de la Russie, et elles jouent un rôle dans des activités qui portent atteinte à la sécurité nationale et aux intérêts de la politique étrangère des États-Unis »[3].
Le fait que les États-Unis imposent des restrictions à des entreprises canadiennes pour leur soutien à la Russie ne passe pas inaperçu. Les personnes des É.-U. qui souhaitent faire affaire avec ces entreprises inscrites sur la liste des entités visées devront présenter une demande de permis; celle-ci sera [traduction] « examinée selon une politique de refus systématique des articles assujettis à l’EAR »[4]. Cette nouvelle mesure indique que les États-Unis s’appuieront sur leur cadre juridique national pour sanctionner certaines entreprises dans les pays alliés qui ne respectent pas la réglementation américaine sur le contrôle des exportations ou les régimes de sanctions. Les entreprises canadiennes qui n’ont pas complètement cessé toute contribution possible au potentiel militaire et industriel de la Russie s’exposent fortement au risque d’être pareillement sanctionnées.
Collaboration internationale en matière de sanctions : récapitulatif sur l’application et dernières nouvelles
Les sanctions économiques sont devenues un outil dont le Canada et d’autres pays alliés se servent beaucoup plus fréquemment. Cependant, il faut que les sanctions soient appliquées pour produire l’impact économique recherché. Sans réelle application, il est facile de contourner, voire d’ignorer les sanctions et par conséquent, de miner leur efficacité et de réduire leur impact.
Le Canada participe toujours au Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes (le « Groupe de travail ») avec le G7, l’UE et l’Australie qui, à eux tous, ont bloqué plus de 58 milliards de dollars d’actifs russes détenus dans des comptes financiers et autres ressources économiques[5]. Pour sa part, le Canada a annoncé avoir pris quelques mesures pour l’application des sanctions.
La pression exercée par les États-Unis et son rôle de leadership pourraient changer la donne. Plus particulièrement, dans le souci de renforcer l’application des sanctions, le G7 a proposé un mécanisme de coopération de mise en œuvre (le « mécanisme »)[6]. Cette initiative a pour objectif de cibler les pays et les personnes qui aident la Russie à contourner les sanctions; pour ce faire, les membres misent sur la communication d’information, l’analyse du renseignement et la coordination des mesures entre les membres du mécanisme. La première année, le mécanisme sera présidé par les États-Unis[7]. Ces derniers arrivent au premier rang mondial en ce qui concerne l’application de sanctions, par l’entremise du Bureau du contrôle des avoirs étrangers (« BCAE »), et ils semblent signifier aux autres pays qu’ils devraient renforcer leurs propres mesures d’application en parallèle.
Canada : élargissement des sanctions à d’autres pays
Comme le montre la carte ci-dessous, le Canada a imposé des sanctions contre plusieurs pays, outre la Russie.
Territoires assujettis à des sanctions
L’année dernière, le Canada a imposé de nouvelles sanctions contre quatre pays, outre la Russie, démontrant sa volonté de poursuivre sa politique de sanctions et de se servir de celles-ci comme outils de pression économique et diplomatique :
- Haïti : Le Canada a adopté ses premières sanctions contre Haïti en 2022 au vu de la situation, « une insécurité et une criminalité incessantes, des troubles politiques et une corruption endémique »[8]. Des sanctions supplémentaires ont été adoptées le 12 janvier et le 15 février 2023. Les personnes haïtiennes sanctionnées sont généralement des membres de l’élite économique et politique qui se sont livrées à des actes de corruption ou qui ont soutenu le trafic de drogues ou d’armes. L’une des personnes sanctionnées est l’ancien Premier ministre, Laurent Salvador Lamothe, qui a depuis déposé une demande d’examen judiciaire auprès de la Cour fédérale afin de faire radier son nom de la liste. Monsieur Lamothe fait valoir que la décision de le sanctionner était déraisonnable, car elle donnait foi à des spéculations sans fondement, mais aussi que la décision de l’inscrire sur la liste des personnes assujetties aux sanctions contrevenait aux règles de l’équité procédurale[9]. C’est la première fois que la Cour fédérale est appelée à se prononcer sur l’étendue de l’obligation d’équité procédurale à l’endroit d’une personne inscrite sur la liste des personnes assujetties à des restrictions quant aux opérations en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales (« LMES»)[10].
- Iran : Le Canada maintient les sanctions contre les personnes iraniennes. Il a imposé sept séries de sanctions contre l’Iran en 2022 et deux jusqu’ici cette année, dont la plus récente le 23 février 2023. Dans cette dernière série de sanctions, 12 personnes ont été ajoutées à la liste des personnes assujetties à des restrictions quant aux opérations; ces mesures ont été prises en raison des violations des droits de la personne graves et répétées commises par l’Iran à l’égard des manifestants civils et de ses propres citoyens[11]. Pour connaître l’actualité au sujet des sanctions prises par le Canada contre l’Iran, consultez nos précédents bulletins ici et ici.
- Myanmar: Les premières sanctions contre le Myanmar ont été adoptées en 2007, après la révolution safran, mais bon nombre d’entre elles ont été suspendues en 2010, après des progrès politiques encourageants[12]. Suite au coup d’État contre le gouvernement démocratiquement élu, le Canada a de nouveau imposé des sanctions de portée plus large cette fois. Plus récemment, le 27 janvier 2023, date du deuxième anniversaire du coup d’État au pays, le Canada a ajouté six personnes à la liste des personnes assujetties à des restrictions quant aux opérations, et à l’interdiction d’exporter, de vendre, de fournir ou d’expédier du carburant d’aviation au Myanmar.
- Sri Lanka : Le 6 janvier 2023, le Canada a imposé sa première série de sanctions contre le Sri Lanka en vertu de la LMES. Il a sanctionné quatre représentants de l’État sri lankais pour des violations des droits de la personne commises lors du conflit civil de 1983 à 2009. Les anciens présidents Gotabaya Rajapaksa et Mahinda Rajapaksa étaient de ce nombre. L’objectif de ces sanctions « consiste à exercer une pression sur le gouvernement du Sri Lanka afin qu’il fasse cesser l’impunité et remplisse ses obligations en matière de droits de la personne » et à « faire valoir les coûts, les risques réels ainsi que les risques à la réputation, qu’encourent les individus expressément désignés et le gouvernement du Sri Lanka s’ils continuent d’entraver par des interventions politiques le bon fonctionnement de la justice dans les cas d’atteintes aux droits de la personne »[13].
Ce qui nous attend
Il est plus important que jamais pour les entreprises canadiennes et internationales de se conformer à la réglementation sur les échanges commerciaux. En guise de représailles à la guerre en Ukraine, le Canada et d’autres pays poursuivent sans relâche leur politique de sanctions économiques contre la Russie, créant ainsi un cadre réglementaire complexe qui ne cesse d’évoluer.
Les actions brutales et injustifiées de la Russie ont aussi eu l’effet d’un coup de massue pour le commerce mondial, perturbant au passage les chaînes d’approvisionnement sans parler des nouveaux risques qui pèsent désormais sur les multinationales. Les entreprises canadiennes peuvent se retrouver avec de nouvelles difficultés qu’elles n’avaient pas vues venir, comme les retards de livraison, les augmentations de tarifs douaniers (le Canada a révoqué le traitement du tarif de la nation la plus favorisée dont bénéficiaient la Russie et la Biélorussie; voir notre précédent bulletin ici), et des difficultés d’accès aux principaux marchés. La conformité à la réglementation sur les échanges commerciaux peut aider les entreprises à résoudre ces difficultés et à éviter de coûteuses erreurs.
McMillan conseille les entreprises qui sont assujetties à un régime de réglementation complexe, notamment en matière de sanctions, de contrôle des exportations et de douane, pour les aider à rester conformes en tout temps.
Bulletins précédents publiés depuis l’avancée des troupes russes en Ukraine en 2022
- Russie : le Canada durcit les sanctions économiques, resserre le contrôle des exportations et appuie l’exclusion de SWIFT (25 février 2022);
- Le Canada durcit ses sanctions en réponse à la crise russo-ukrainienne (4 mars 2022); Le Canada élargit son régime de sanctions contre la Russie (29 mars 2022);
- Le Canada élargit les sanctions à l’encontre de la Russie et propose d’importantes modifications législatives à son régime de sanctions (1erjuin 2022);
- Le Canada restreint les services pouvant être fournis à la Russie (13 juin 2022);
- Services, technologies de pointe, marchandise de luxe, or, sanctions contre la désinformation et régime de confiscation : les dernières répliques canadiennes à l’invasion russe en Ukraine (13 juillet 2022);
- Les sanctions canadiennes liées au Bélarus. Coup d’œil sur les nouvelles sanctions canadiennes visant la Russie et l’Iran, dont le prix plafond sur le pétrole russe (4 octobre 2022);
- Changement de cap dans le régime de sanctions : Le Canada cherche à confisquer des actifs russes pour financer la reconstruction de l’Ukraine et ajoute des restrictions au plafonnement des prix du pétrole (22 décembre 2022).
[1] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, DORS/2023-032; Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, DORS/2023-033.
[2] Département du Commerce, Bureau de l’Industrie et de la Sécurité, ajout d’entités à la liste d’entités, 88 Federal Register 12170 (27 février 2023), p. 45.
[3] Département du Commerce, Bureau de l’Industrie et de la Sécurité, ajout d’entités à la liste d’entités, 88 Federal Register 12170 (27 février 2023).
[4] Département du Commerce, Bureau de l’Industrie et de la Sécurité, ajout d’entités à la liste d’entités, 88 Federal Register 12170 (27 février 2023).
[5] Ministère des Finances du Canada, Déclaration sur les résultats du Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, 24 février 2023.
[6] Bloomberg, « G7 Set to Create New Tool to Bolster Enforcement of Russia Sanctions», 22 février 2023.
[7] Maison Blanche, Fact Sheet: On One Year Anniversary of Russia’s Invasion of Ukraine, Biden Administration Announces Actions to Support Ukraine and Hold Russia Accountable, 24 février 2023.
[8] Affaires mondiales Canada, Les sanctions canadiennes liées à Haïti, Contexte.
[9] Laurent Salvador Lamothe c. La Gouverneure générale en conseil et al, T-2697-22, avis de requête, 22 décembre 2022.
[10] Dans Gomez c. Canada (Procureur général), 2021 CF 1300, la Cour fédérale s’est penchée sur l’étendue de l’obligation d’équité procédurale envers M. Gomez dans le cadre de sa demande de radiation de la liste de personnes figurant dans le règlement d’application de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), L.C. 2017, c. 21. (M. Gomez n’était pas inscrit sur la liste dressée en vertu de la LMES.) M. Gomez faisait valoir que le ministre avait manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers lui relativement à sa demande de radiation. Par comparaison, M. Lamothe avance que c’est la décision de l’inscrire sur la liste qui constitue un manquement à l’obligation d’équité procédurale.
[11] Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran, DORS/2023-034.
[12] Affaires mondiales Canada, Les sanctions canadiennes liées au Myanmar, Contexte.
[13] Règlement sur les mesures économiques spéciales visant le Sri Lanka, DORS/2023-2, étude d’impact de la réglementation.
Par Neil Campbell, William Pellerin et Tayler Farrell
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023
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